26 Juin 2025
Regards sur les maux et les mots, mâtinés d’associations d’idées, se donnent la main pour nous parler d’une obsession que distillent à loisir médias et magazines : avoir la ligne en prenant à l’hameçon le pêcheur-pécheur trop glouton.
Claudine Hunault est psychanalyste en même temps que femme de spectacle, metteuse en scène et écrivaine. Dans un centre médico-chirurgical de l’obésité, elle a suivi, parfois quelques mois, parfois des années, pendant dix ans, près de trois mille patients dont la maladie ne se résume pas à ce qu’ils mangent. Du livre relatant cette expérience, et des témoignages de patients qu’elle a recueillis, elle tire un livre et la matière d’un spectacle non dénué d’humour qui interrogent le rapport de notre société aux personnes en surpoids. Comment cesser de définir les personnes par leur poids ? Comment les appeler à briser les récits qui les enferment ? Comment déjouer les pièges d’une société qui pousse à consommer à tout crin, y compris des régimes ?
Une économie de moyens scéniques
Elle est seule pour faire surgir au fil du spectacle ces personnages qu’elle a suivis et dont elle porte les témoignages pour nous aider, peut-être, à regarder autrement la question de l’obésité. Et pour faire aussi que les « gros » se regardent eux-mêmes autrement. Pour tout accessoire, quelques papiers et un bout de bureau. Mais un musicien l’accompagne, un flûtiste – référence au « pipeau » qu’on nous balance concernant la nourriture aujourd’hui ? Ses sons seront comme des voix, exprimant une part de la violence que la société impose, traduisant les contradictions de ses messages, la paralysie qu’ils induisent, accompagnant la longue marche de l’obèse, ils seront bruitage et commentaire autant que « musique ».
Un patchwork pour une interrogation multidirectionnelle
C’est par les autres que Claudine Hunault commence, par ce regard qui transforme le gros alternativement en objet de moquerie ou en « bon gros », sympa, rigolo, qui n’a pas intérêt à donner de lui-même une autre image, et surtout pas celle de celui qui souffre. Claudine Hunault s’intéresse à ce qui cause nos dépendances et qui ne tient pas seulement à nos individualités ou à notre mal-être mais à un système créé par la société de consommation et qui génère l’obésité tout en plaidant pour son contraire.
On passe en revue l’appel à une consommation tous azimuts portée par la publicité de ces produits de mal-bouffe qui encombrent aujourd’hui les rayonnages des magasins d’alimentation et la même publicité qui nous incite au régime, à nous conformer à la silhouette mannequin-sac d’os qui peuple les magazines. Il suffit d’ajouter quelques pointes de déstabilisation sociale ou même de désir d’échapper au statut de femme-objet réduite à « Parle à mon cul, ma tête est malade », pour un individu de sexe féminin par exemple, pour qu’on glisse dans la spirale infernale du petit-chocolat qui en appelle un autre et du trop de nourriture. Pour s’évader, s’échapper de toutes ces pressions contradictoires dans lesquelles on ne peut faire le tri, pour combler les angoisses créées. Avec les conséquences dont on ne parle pas ou peu, mais qui n'en existent pas moins. Claudine Hunault ne fait pas l’économie des questions qui tuent : la sexualité, le désir, le plaisir des « gros ».
Comprendre et mesurer
À travers ce pas-à-pas en zigzag qui mêle, sans se départir d’un humour un poil acerbe, témoignages de patients, opinions communes, « messages » publicitaires, textes littéraires et poèmes, en avançant des hypothèses, en jetant au vent des interrogations, des mises en question, le spectacle ne donne pas de leçon ni ne propose de recette. On est loin ici des gourous qui encombrent l’espace médiatique et pratiquent le « t’as qu’à, faut qu’on ». Point ici de maîtres à penser mais plutôt une recommandation à dé-penser, à penser à côté.
Le passage en revue de tous ces éléments contradictoires renvoie simplement dos à dos les obèses et ceux qui les regardent en leur demandant de creuser plus profond, au-delà des idées toutes faites et des bons sentiments, pour définir où ils se trouvent et où ils veulent aller.
Au pays des obèses, les maigres ne sont pas toujours rois. Dans le combat de Carnaval et de Carême, la « vérité » est quelque part entre les deux.
Je me petit-suicide au chocolat de Claudine Hunault
S Mise en scène et interprétation Claudine Hunault S Création sonore Cédric Jullion S Une performance adaptée du livre Je me petit-suicide au chocolat publié au Nouvel Attila en 2023 S Production Judith Productions S Durée 1h S Dès 12 ans
Du 5 au 26 juillet 2025 (sf les 9, 16 et 23 juillet) à 14h10
Théâtre Transversal - 10 rue d’Amphoux 84 000 Avignon
Rés. contact@theatretransversal.com et www.theatretransversal.com