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Arts-chipels.fr

Entre chiens et loups, la danse des centaures.

Phot. © Francesca Todde

Phot. © Francesca Todde

Un homme, une femme et quatre chevaux investissent le Théâtre de la mer, à Sète, pour un duo équestre poétique. Manolo et Camille font corps avec leurs montures. Tandis que le jour décline sur la Méditerranée, le piano d’Agathe de Piro et la voix de Walid Ben Selim les accompagnent. Ils seront en tournée jusqu’en 2026…

Un théâtre équestre pas comme les autres

Le Centaure est un théâtre à deux têtes. Manolo se définit comme « acteur centaure », dans le sillage d’un rêve d’enfant : « Quand je serai grand, je serai centaure et on construira un château avec des artistes et des chevaux. » Camille, elle, selon une éthique holistique, met en relation le Centaure avec le vivant dans son ensemble. En 2016, vingt ans après leur arrivée dans la cité phocéenne, les artistes ont dressé un « chapiteau-volcan » sur une ancienne zone maraîchère, dans les Hauts de Mazargue, un secteur à la fois résidentiel et classé « politique de la ville ».

Soucieux de préserver l’environnement, ils ont construit des bâtiments en teck recyclé. Écuries, logements, salon de thé, administration, pavillon de répétition sont ornés de frises en bois ajouré dans le style indonésien. Assemblés sans clous et démontables, au cas où… Pas un arbre n’a été coupé sur ce vaste terrain attribué par la Ville. Sur les conseils d’un vannier, trois mille pieds de saule s’entrecroisent autour du chapiteau, corbeille vivante… Autour du cheval, Camille et Manolo entendent marier Nature et Culture en ouvrant le site à des expériences de permaculture où ils invitent des spécialistes à former des apprentis-jardiniers…

Dans ce quartier difficile, le Centaure travaille en lien avec les milieux empêchés ou éloignés : la poésie pénètre à cheval dans la prison des Baumettes voisine et, dans les écoles, une « biblio-calèche » apporte des livres aux enfants et les encourage à écrire… Hors son territoire marseillais, le Centaure peut surgir dans une chapelle, sur une autoroute, devant un centre commercial, une gare, une maison de retraite… ou créer des événements spectaculaires, comme une gigantesque transhumance avec 4 000 animaux et 400 000 personnes convergeant de plusieurs villes de Provence vers Marseille, à l’occasion de Marseille-Capitale européenne de la culture…

Au cœur de toutes ces actions, une quinzaine de chevaux. Graal, Darwin, Silence, Sombre, Gaya et West, de puissants frisons originaires des Pays-Bas, sont les partenaires de piste de Camille. Manolo, lui, évolue plutôt sur des montures agiles et souples, venues du monde arabe et ibérique, comme Nuno, Toshiro, Bhima, Yudishtira, Sahadeva, Indra. Il y a aussi Tao, un percheron d’une tonne et Koko, un baudet du Poitou, aux tresses tombantes… Tous les mercredis, on peut venir les voir travailler ou répéter avec les artistes.

Phot. © Francesca Todde

Phot. © Francesca Todde

Aux frontières de l’animal et de l’humain

À l’aplomb du Cimetière marin, « Ce toit tranquille où marchent les colombes » chanté par Paul Valéry, le Théâtre de la mer, un ancien fort côtier, offre un écrin rêvé à ce duo. Contre l’eau et le ciel de Méditerranée se détachent deux silhouettes humaines aussi noires que leurs étalons. L’homme et la femme font corps avec leur cheval, se cherchent, se rencontrent, se quittent et se retrouvent. Avec lui, les fringants espagnols Sahadeva et Indra, avec elle, les solides Frisons, Sombre et West, sont plus que les complices de leurs chassés-croisés. L’histoire des deux centaures – aux liens incertains – se danse en quadrille, chorégraphié au pas, trot ou galop des animaux. D’abord avec lenteur, bercés par les compositions fluides et romantiques d’Agathe de Piro, au piano et les chants poétiques de Walid Ben Selim, les cavaliers évoluent en symbiose avec leur monture. Camille oppose aux galopades et virevoltes de Manolo un calme altier. Mais il y a de l’orage dans l’air et la séparation sonne le glas de la parade amoureuse, avant qu’ils ne s’accordent de nouveau en rassemblant leur petit troupeau.

À l’écoute des chevaux, les artistes centrent leur travail sur l’acceptation de la nature animale : ils ne cherchent ni à contrôler ni à dominer leurs partenaires quadrupèdes, se laissant guider par eux autant qu’ils les guident. Soutenus par une musique jouée en boucle et des mélopées nostalgiques, ils inventent une danse organique, animale, sans ruptures, un cycle ininterrompu de séquences.

Indissociables, hommes et bêtes forment une tribu hybride dont chaque membre se distingue par sa personnalité. Tel cheval renâcle, quand un autre se plie à la volonté humaine. Est-ce la bête qui se cabre ou son cavalier qui cherche à impressionner la centauresse rétive ? Et si les cavaliers s’étreignent subrepticement, ils n’oublient pas de câliner leurs montures, qui répondent à leur caresse par un baiser.

Phot. © Stéphane Aït Ouarab

Phot. © Stéphane Aït Ouarab

Le vivant en partage

Entre terre et eau, à la lisière du jour et de la nuit, les frontières entre humains et bêtes s’estompent, donnant corps à des figures chimériques qui, depuis l’Antiquité, célèbrent la dualité de l’homme, une créature de la nature comme les autres. Le centaure devient ici quête d’un lien perdu avec notre être animal et, au-delà, une réunion avec l’ensemble du vivant.

Le dramaturge Fabrice Melquiot écrivait, dans une pièce qu’il a mis en scène pour ce théâtre équestre : « Le centaure est une promesse. Je rêve d’un galop pour ma moitié humaine. Je rêve d’une parole pour ma moitié animale : le centaure espère l’impossible, de toutes ses forces rassemblées ; il interroge l’animal humain, déplaçant les frontières de soi aux frontières de l’autre ; le centaure est un franchissement. »

À l’heure de l’Anthropocène, du réchauffement climatique et de la chute de la biodiversité, Entre chiens et loups s’inscrit comme la promesse d’un rapport aux vivants et aux non-humains, tel que le prônent des écosophes comme Vinciane Despret dans le sillage du sociologue Bruno Latour ou de la philosophe des sciences Isabelle Stengers.

On pense à Donna Haraway et son Manifeste des espèces compagnes pour « une éthique et une politique de la relation avec des êtres autres ». Non seulement les animaux mais le riz, les abeilles, la flore intestinale, les tulipes… « Vivre avec les animaux, investir leurs histoires et les nôtres, essayer de dire la vérité au sujet de ces relations, cohabiter au sein d’une histoire active : voilà la tâche des espèces compagnes. »

Phot. © L. Roux

Phot. © L. Roux

Entre chiens et loups S Chorégraphies Camille et Manolo S Composition musicale Agathe Di Piro et Walid Ben Selim S Univers sonore Martin Dutasta S Création lumière Bertrand Blayo S Costumes Clarisse Guichard S Au plateau, deux Centaures composés des 4 chevaux Sombre, West, Indra, Sahadeva et deux humains Camille et Manolo S Au piano Agathe Di Piro S Voix Walid Ben Selim S Régisseur lumière Bertrand Blayo, Anaïs Silmar S Régisseur général et son Philippe Boinon S Assistants de scène S Stéphane Alleno, Romance Nicoletti S Production Théâtre du Centaure S Coproduction Le Théâtre Molière Sète, scène nationale Archipel de Thau Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire ARCHAOS, Pôle National Cirque Château Rouge, scène conventionnée Annemasse, Communauté d’agglomération de la Baie du Mont-Saint-Michel

Théâtre du Centaure 2 rue Marguerite de Provence F-13009 Marseille
www.theatreducentaure.com

TOURNÉE
Création 13-14 juin 2025 Théâtre Molière Sète, scène nationale Archipel de Thau 
7-19 juillet 2025 à 20h,
Festival Villeneuve en Scène, Villeneuve-lez-Avignon
22-27 juillet 2025,
Equestria, Tarbes avec Le Parvis, scène nationale
25-27 septembre 2025,
Le Quartz, scène nationale de Brest
2 -3 octobre 2025, Scène nationale d’Albi-Tarn
6-12 octobre 2025,
Espace Malraux, scène nationale de Chambéry
15-16 octobre 2025, Château Rouge, scène conventionnée d’Annemasse
12 décembre2025, Domaine de Bayssan – Scène de Bayssan Hérault, Béziers
16-18 janvier 2026,
Cirque Théâtre d’Elbeuf,  Pôle national Cirque Normandie
6-8 mars 2026, Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire
Juin 2026, La Baie du Mont Saint-Michel ; Festival Oerol, Terschelling (Pays-Bas)
8-11 juillet 2026,
Agora Boulazac, Pôle national Cirque
Septembre 2026,Théâtre Antique d’Arles, Les Théâtres

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