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Arts-chipels.fr

Age of Content. L’énergie vitale contre les avatars.

Phot. © Gaëlle Astier-Perret

Phot. © Gaëlle Astier-Perret

Les danseurs virtuoses de (La)Horde – Ballet national de Marseille, possédés par le langage virtuel, trouvent le chemin de la liberté. Une chorégraphie en forme de zapping, orchestrée par Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel

Des corps virtuels

Dans le décor froid d’un entrepôt, une voiture désossée, téléguidée depuis une passerelle métallique par un mécanicien impassible, surgit d’un brouillard étouffant. Dans la lumière des phares apparaît un corps encapuchonné, visage écrasé sous un bas. Silhouette anonyme, elle monte à l’assaut de la carcasse, bientôt rejointe par une figure semblable, pour un trio insolite avec le véhicule, qui tente de les renverser. De ludique, la scène vire à la bagarre collective, quand déboule une horde sauvage : dix-huit danseurs et danseuses au comportement belliqueux, digne d’un film à la Bruce Lee.

Du Kung-fu au jeu vidéo, il n’y a qu’un pas vers la deuxième partie, construite selon le même schéma dramatique que la première : une danseuse s’avance, sous forme de son propre avatar. Sa gestuelle saccadée d’humanoïde se retrouve, répliquée à l’envi, chez ses partenaires, qui envahissent la scène.

Corps dépossédés d’âme mais possédés par un moteur algorithmique qui leur dicte des comportements stéréotypés, ils mènent des combats titanesques et se livrent à des jeux érotiques poussés jusqu’à la vulgarité... Une folie mécanique hallucinée et hallucinante s’empare du plateau avec de petites saynètes simultanées que l’œil a du mal à toutes embrasser. Entre solos, duos et mêlées de groupe, on reconnaît les images et les musiques des écrans qui captivent les nouvelles générations, jusqu’aux voix off de Golem prêtées à ces créatures. On reconnaît, dans leurs visages inexpressifs, la vacuité mélancolique des cyborgs.

Phot. © Alexandra Polina

Phot. © Alexandra Polina

Une esthétique post humaniste

A l’instar du squelette de l’automobile, de cartons tombés des cintres, livrés comme par enchantement, la danse se pare d’étrangeté, entraînée par des musiques issues des clips d’Instagram et autres TikTok. Signées Gabber Eleganza et Avia, les partitions combinent différents modes : nappes électroniques uniformes alternent avec sonorités industrielles ou, dans les moments plus dramatiques, avec des séquences de Hard Core et Post Rave.

La scénographie est à l’aune de ce monde menaçant avec une structure métallique à jardin et un écran vidéo géant qui s’étale comme un gouffre rouge et noir en fond de scène. Les maquillages, appliqués comme des masques, et les coiffures gominées amplifient cette impression de déshumanisation. Les costumes, inspirés de la street fashion, semblent sortis d’un défilé de couture hétéroclite où coexistent les styles « juicy », « baggy », « harajuku », etc.

Une épidémie de virtuel semble s’être emparée de ce corps de ballet où les mouvements s’enchaînent au rythme d’un scrolling compulsif et halluciné. Tout va très vite et dans tous les sens. Chacun vit dans sa bulle comme pendant le Covid, la période au terme de laquelle Age of Content a été conçu. Mais, comme pour conjurer ces temps mortifères, la pièce se termine sur une note plus légère.

Phot. © Fabian Hammerl

Phot. © Fabian Hammerl

Un hymne à la joie

Sur les boucles répétitives de The Grid, de Philipp Glass, les danseurs abandonnent leurs avatars et réintègrent leur vraie nature dans une joyeuse débandade. L’écriture chorégraphique assemble ici des motifs glanés sur les plateformes et des réminiscences du minimalisme postmoderne d’une Lucinda Childs. L’ambiance tourne à la comédie musicale façon Jerome Robbins, dans laquelle les danseurs libèrent leur énergie de bon cœur, chaque individu dévoilant enfin sa personnalité réelle, au sein d’un mouvement collectif très maîtrisé. Il est temps de redonner du contenu authentique à des individus captifs des réseaux sociaux et victimes de l’intrusion cybernétique.

Présentée à la Biennale de la Danse de Lyon en 2023, cette création du collectif (La)Horde avec le Ballet national de Marseille semble moins fluide mais plus architecturée que le débridé Room with a View. Elle met en valeur des interprètes virtuoses, aux styles et aux physiques d’une grande diversité. Entraînés aux arts martiaux, ils se font aussi cascadeurs et acrobates. Malgré quelques scènes un peu trop étirées, notamment le final, on ne peut qu’être séduit par cette œuvre collective offrant un langage passionnant à un corps de ballet soudé et d’une rare générosité. Age of Content, telle une vague déferlante, exprime, par la danse, l’abondance des contenus livrés en vrac en ligne au risque de nous submerger. Un tonnerre d’applaudissements a accompagné les saluts.

Phot. © Gaëlle Astier-Perret

Phot. © Gaëlle Astier-Perret

Age of Content
S Conception et mise en scène (LA)HORDE Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel S Chorégraphie (LA)HORDE en collaboration avec les danseurs et danseuses et les répétitrices et répétiteurs du Ballet national de Marseille S Danseurs et danseuses du BNM, Nina-Laura Auerbach, Alida Bergakker João Castro, Titouan Crozier, Myrto Georgiadi, Nathan Gombert, Eddie Hookham, Nonoka Kato, Amy Lim, Jonatan Myrhe Jorgensen, Aya Sato, Paula Tato Horcajo, Elena Valls Garcia, Nahimana Vandenbussche, Antoine Vander Linden Pierpaolo Consentino, Danas Pajarillaga, Luca Völkel S Musique Pierre Avia, Gabber Eleganza, Philip Glass S Scénographie Julien Peissel S Costumes Salomé Poloudenny, DIESEL S Assistants costumes Nicole Murru, Sandra Pomponio, Minok Terre S Lumières Eric Wurtz S Création coiffure Charlie Le Mindu S Création graphique Frederik Heyman S Répétiteur.trice.s Valentina Pace, Jackelyn Elder, Angel Martinez Hernandez, Julien Monty S Assistante artistique Nadia El Hakim S Conseils et accompagnement cascades Stunt Workshop International - Amedeo Cazzella, Alex Vu, Malik Diouf, Yann Brouet, Jonathan Bernard, Patrick Tang S Coaching vocal Deborah Bookbinder S Régie générale Rémi d’Apolito S Production CCN Ballet national de Marseille S Coproduction MC2 Maison de la Culture de Grenoble, scène nationale – Biennale de la danse de Lyon 2023 – International Summerfestival Kampnagel, Hambourg – Théâtre de la Ville-Paris – Théâtre du Châtelet – Créteil-Maison des arts – Maison de la culture, scène nationale d’Amiens – La Comédie, scène nationale de Clermont-Ferrand – L’Équinoxe, scène nationale de Châteauroux – Charleroi Danse, centre chorégraphique de Wallonie, en partenariat avec le Palais des Beaux-Arts, Charleroi – Grand Théâtre de Provence - Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône – Opéra de Dijon – Teatro Rivoli de Porto.

Du 29 mai au 7 juin 2025 Théâtre de la Ville Sarah Berhnardt, Place du Châtelet Paris 1er
Le 10 juillet Vieux Port de Marseille

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