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Arts-chipels.fr

À nôs amours. Le théâtre onirique et tourmenté de Mishima.

Phot. © DR

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Alors qu’on célèbre le centenaire de la naissance de Yukio Mishima, ces deux courtes pièces tirées de Cinq nôs modernes offrent l’occasion de se replonger dans l’œuvre de l’écrivain.

En 1955, Cinq nôs modernes valent à Yukio Mishima, au Japon, le prestigieux prix Kishida dans la catégorie Théâtre. Le théâtre n’est pas une activité exceptionnelle pour Mishima, auteur d’une cinquantaine de pièces dont le Tambour de soie, lui aussi partie des Cinq nôs modernes, que Kaori Ito et Yoshi Oïda présentèrent à Paris en 2020. Composées entre 1950 et 1955, ces pièces ont pour ambition de renouveler la matière traditionnelle du nô et des contes japonais et de les placer dans un cadre moderne.

Ces formes courtes sont en même temps emblématiques de l’œuvre de l’auteur et de ses obsessions. Mishima déclarera, à propos de l’œuvre : « C’est dans mes pièces de théâtre, notamment dans les Cinq nô modernes, que je suis parvenu à me confesser avec le plus de hardiesse et de sincérité. »

La compagnie Tamago choisit de mettre en scène deux des cinq nôs de l’œuvre : Aoi et Hanko, traduits par Marguerite Yourcenar.

Phot. © DR

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Entre fantastique et érotisme

On retrouve dans ces deux pièces des sujets de prédilection de l’auteur.

Aoi raconte l’histoire d’une femme délaissée, internée dans un étrange hôpital psychiatrique où les obsessions sexuelles ont leur place. La nuit, l’esprit de la maîtresse de son mari vient perturber son sommeil et la hanter douloureusement. Au moment où la pièce commence, l’homme a décidé de mettre fin à leur liaison et la maîtresse déploie toute sa séduction pour tenter de le garder. Leur affrontement, dans une nuit où distinguer le réel du fantasme s’avère difficile, aura des conséquences tragiques.

Hanjo est aussi une histoire de passion et de perte. Une geisha d’une grand beauté a rencontré un homme dont elle est tombée éperdument amoureuse. Il est parti en promettant de revenir et, devenue folle, elle l’attend de jour en jour. Une femme peintre, qui s’est éprise d’elle mais vit un amour platonique, en a fait sa muse. Elle l’héberge et la protège. Mais voici que l’amant revient…

On retrouve dans ces pièces des éléments caractéristiques de l’œuvre de Mishima : la référence à l’homosexualité, une certaine cruauté des rapports existant entre les personnages et sa recherche esthétique permanente et obsessionnelle d’une beauté indissociable de l’érotisme.

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Un spectacle qui puise son inspiration dans la culture japonaise

La traduction de Marguerite Yourcenar est d’une grande beauté et d’une élégance qui rend hommage au style de l’auteur et on a plaisir à entendre ces textes et à prendre la mesure de leur force et de leur impact.

La mise en scène, elle, puise ses références dans les pantomimes dansées du nô. Très dépouillée, elle mêle théâtre et chorégraphie. Dans le premier des nôs, Aoi, l’atmosphère fantastique se trouve renforcée par cette stylisation des rapports entre les personnages qui passe par l’expression plastique. Elle nous projette dans un univers onirique où distinguer la réalité du fantasme devient difficile. La maîtresse, qui peuple les cauchemars de l’épouse abandonnée, se livre, succube malfaisante, à une gestuelle lascive et hypnotique pour tenter d’enjôler le mari. Quant à sa diction, elle rappelle ces voix si marquantes du cinéma japonais, avec ces paroles jetées plus que dites, borborygmes venus du fond de la gorge qui disent la violence de cette société qui masque sous la caresse et le minimalisme une sauvagerie extrême. Mais cette manière de cracher les mots s’avère dans le spectacle parfois difficile à comprendre.

Hanjo, quant à lui, reste trop schématique. Si l’affrontement du jeune homme et de l’artiste peintre apparaît clairement, la disparition du fantastique, absent de ce nô, n’est pas compensée par ce qui fait la force de ce texte : un érotisme absolu, fait de frustration et de désir, qui en imprègne la texture. On reste en surface et Clément Boecher, qui joue le jeune homme qui revient, a, avec sa plastique parfaite habillée en marcel, des allures de jeune homme à la Jean-Paul Gaultier qui affaiblissent le personnage dans son opposition à l’artiste lesbienne. Si l’homosexualité de Mishima – il l’exprime dans Confession d’un masque, qui précède les Cinq nôs – est connue, le travestissement, dans le spectacle, du jeune homme en homme-objet minimise la puissance d’un thème phare de Mishima : la relation Éros-Thanatos, très présente dans l’œuvre, qu’elle réduit ici à une citation de façade.

La tentative d’ancrer ces courtes pièces dans la culture japonaise est louable, mais, enfermée dans ses codes, il lui manque un peu de chair à vif qui rende compte de ce qui court sous la surface de l’œuvre. On n'en retiendra pas moins le plaisir d’entendre à nouveau ce beau texte.

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À nôs amours - Aoi & Hanjo Extrait des Cinq nô modernes de Yukio Mishima, traduction Marguerite Yourcenar
S Mise en scène Sandra Koelsch S Direction d’acteurs Leïla Guérémy S Interprétation Clarisse Plichart, Clément Boecher et Sandra Koelsch S Création lumières Quentin Defalt S Création sonore Sylvain Boccara S Production Cie Tamago S Soutiens à la création Fondation franco-japonaise Sasakawa, Nouveau Gare au théâtre, ville d’Épinay-sur-Seine S Diffusion Passage Production - François Nouel S Durée 1h15 S À partir de 12 ans

Vu en avant-première, le 16 juin 2025, à l'espace Bertin Poirée, à Paris
Du 5 au 26 juillet 2025 (sf 9, 16 & 23/07)
Au Théâtre des Amants – 79 ter, rue de Paris, Avignon (84)

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