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Arts-chipels.fr

Tout est bien qui finit bien. Ce que femme veut…

Phot. © Nicolas Blandin

Phot. © Nicolas Blandin

Comédie de mœurs destinée à faire rire sans être vraiment drôle, cette pièce peu jouée de Shakespeare surprend par son propos. La mise en scène de Frédéric Jessua la décortique jusqu’à l’os pour en faire ressortir le caractère âpre et ironique.

Tout commence par un enterrement : celui du comte de Roussillon, fin mélomane, nous dit-on, et la passation de pouvoir à son fils. Il est tout seul, allongé sur son cercueil et déjà ça déraille parce qu’il est question de TGV première classe, de brochure touristique, de tente Quechua et, pour remède au malaise, de barre d’Ovomaltine. La majesté de la musique religieuse se mélange à un rock métal avant que les personnages ne pénètrent un à un. Le comte n’est pas le seul dans sa route vers l’au-delà. Le roi aussi semble à l’article de la mort, rapport à une fistule que les médecins, comme de bien entendu, ne parviennent pas à soigner.

Changement de plan. On retrouve la belle Hélène, fille d’un médecin célèbre, recueillie par la comtesse de Roussillon qui se consume d’amour pour l’héritier du titre, Bertrand. Mais elle est pauvre et sans titre, donc aucun intérêt pour celui qui est un compagnon du roi et peut prétendre à un beau mariage. Mais Hélène a de la suite dans les idées et de la ressource. Si elle parvenait à sauver le roi (de France François Ier), elle pourrait gagner ses galons et épouser celui qu’elle aime, mais qui se fiche éperdument d’elle.

Il n’en faut pas plus pour déclencher une série de péripéties qui nous mèneront de la chambre du roi aux champs de bataille des guerres d’Italie, avec son lot de trahisons et de fuites. Car si Hélène obtient du Roi d’épouser celui qu’elle convoite, son mari par contrainte ne voit pas les choses de la même façon. Des histoires de bagues échangées et de substitutions au lit finiront par régler la question pour que tout soit bien qui finit bien. Mais bien ? Voire…

Phot. © Nicolas Blandin

Phot. © Nicolas Blandin

Entre la farce potache et la fable licencieuse

Shakespeare s’inspire d’une nouvelle de Boccace tirée de la troisième journée du Décaméron. Il y ajoute un peu de sel politique en transposant l’action en France et en Toscane et en ajoutant un personnage bouffon prêt à vendre père et mère pour sauver sa peau. Nous sommes en 1604 et Élisabeth Ire, la reine « vierge » d’Angleterre, vient de mourir. Mais Hélène préfère la verge à rester vierge et va s’employer à conquérir celui sur lequel elle a jeté son dévolu.

La pièce sera truffée d’allusions licencieuses où fourreau et fourneau se font face et où l’on peut entendre quelques vérités du style : « Celui qui baise ma femme préserve l’équilibre de mon couple. » Quant au marié récalcitrant, il se refuse à « passer par la casserole » et rien ne nous est épargné dans la plaisanterie à double sens. Et quand Bertrand s’en va-t’en guerre, on le met en garde : « Attention aux Italiennes ! Si vous devez vous allonger, c’est sur un champ de bataille. »

Phot. © Nicolas Blandin

Phot. © Nicolas Blandin

Femmes, femmes, femmes…

Les femmes ici mènent la danse. Outre Hélène qui se bat, bec affûté et griffes dehors, pour récupérer « son » mari, le poursuivant jusques en Italie, n’hésitant pas à prendre la place d’une jeune fille, décidée à rester vierge, que courtise Bertrand pour consommer une nuit de noces qu’on lui refuse, la comtesse file un amour sado-maso avec une femme travestie en homme et joue la solidarité féminine pour aider sa bru dans ses tortueuses entreprises.

Au milieu de ces femmes ingénieuses, fixées sur leurs objectifs en dépit du qu’en dira-ton, les hommes n’ont pas le beau rôle. Falots, fuyants, veules, lâches, traîtres, bornés, rien ne leur est épargné sans qu’on parvienne à les plaindre… Et même si, à la fin, malgré les conditions quasi impossibles fixées par le marié à son mariage, la mariée les remplit et récupère son trophée marital – une histoire qui finit « bien » –, c’est avec un « si » et une grise mine que ce mari semble se rendre à cet amour immense. L’« amoureux » qu’il se prétend devenu est d’ailleurs crucifié sur le gâteau du mariage…

Phot. © Nicolas Blandin

Phot. © Nicolas Blandin

Un dispositif scénique ingénieux

Cette intrigue à rebondissements permanents, montée sur ressorts, les comédiennes et les comédiens, qui parfois endossent plusieurs rôles, la mènent avec une verdeur, une hargne et un sens du grotesque qui en fait percevoir toute l’acidité. Le dispositif scénique contribue à révéler le rocambolesque des situations. Par un jeu aussi fûté que drôle, des panneaux montés sur roulettes, qui se plient et se déplient en un tournemain, cachant la fin d’une scène pour en dévoiler une autre qui commence à même rythme soutenu, indiquent les changements de lieu, du château de la comtesse à la chambre du roi, enfoncé dans sa baignoire, d’une scène de rue à la salle du trône et à l’Italie, entre autres. Pour corser le tout, une tourette centrale que font tourner les comédiens s’anime et se transforme à même rythme accéléré, accompagnant la course de fond de cette guerre des sexes où même la victoire a un goût amer.

Si ce montage très BD fait les délices des jeunes classes présentes aux représentations, il peut sembler manquer de nuances pour d’autres. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’il est efficace et qu’on ne se trompe pas sur le « message » que l’adaptation et la mise en scène portent. Car ce sont nos travers, sous couvert de fiction Renaissance, qu’on y reconnaît.

Tout est bien qui finit bien de William Shakespeare
S Traduction et adaptation Frédéric Jessua & Vincent Thépaut S Mise en scène Frédéric Jessua S Avec Félicité Chaton (La Comtesse de Roussillon/ La Veuve), Céline Laugier (Hélène, belle-fille de la Comtesse), Raouf Rais (Lefort/ Marianne/ Deuxième Seigneur), Vincent Thépaut (Le Premier Seigneur), Enzo Houzet (Bertrand, fils de la Comtesse), Léna Tournier-Bernard (Diane/ Le Bouffon), Charles Van de Vyver (Le Roi de France/ Le Duc de Florence/ Le Comte de Roussillon), Rony Wolf (Paroles, au service de Bertrand) S Scénographie Charles Chauvet & Frédéric Jessua S Lumière Diane Guérin S Costumes & accessoires Julie Camus S Maquillages et perruques Pauline Bry S Images Vincent Thépaut S Musique originale Richard Le Gall S Chorégraphies Georgia Ives S Chargé de production Hugo Réauté S Assistanat Clémence Ribéreau S Décor construit et peint aux ateliers Crèvecœur (27) par Emilie Gottmann, Zoé Logié de Marsan, Charles Chauvet, Enzo Houzet, Frédéric Jessua et Vincent Thépaut S Construction tournette Eric Szczuczynski S Production - la BOÎTE à outils S Coproduction Théâtre 13 S Soutien Fondation René Sando S Participation artistique Jeune Théâtre National
S Coréalisation - la BOÎTE à outils & Théâtre 13 S Aides à la résidence Moulin de l’Hydre (61) et Théâtre de l’Echangeur (93) S Durée 1h50

Théâtre 13 / Bibliothèque - 30 rue du Chevaleret, Paris 13e 
Du 13 au 23 mai 2025, lun.-ven. 20h, sam. 18h

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