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Arts-chipels.fr

Je n’ai pas lu Foucault, quand la peinture abolit les barreaux des prisons.

En fond, la Chambre de Van Gogh à Arles (1889). Musée d'Orsay. Phot. © Xavier Cantat

En fond, la Chambre de Van Gogh à Arles (1889). Musée d'Orsay. Phot. © Xavier Cantat

Céline Caussimon restitue, dans un seul en scène, des ateliers d’écriture sur la peinture qu’elle a menés en prison : vus par les yeux des détenus, les tableaux des grands maîtres apparaissent sous un jour nouveau.

Journal de bord d’une comédienne

Céline Caussimon a joué au théâtre et au cinéma. Chanteuse, elle a enregistré plusieurs albums chez Harmonia Mundi, dont un Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros. Autrice, elle anime aussi des ateliers d’écriture. Pour ce faire, l’idée lui est venue d’utiliser, comme support, des œuvres picturales quand, un jour, au Louvre, elle est tombée en arrêt devant Le Tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour (1635). Pour elle, cette scène, digne d’un film policier, a servi de déclic à son projet : « Pas besoin d’avoir appris la peinture pour regarder », a-t-elle pensé. Et sans autre notion d’histoire de l’art que sa propre culture générale, elle a réussi, à partir d’images célèbres, à faire s’évader quelques heures hommes et femmes enfermés derrière les barreaux, à Meaux, Fresnes, Fleury-Mérogis, Bois-d’Arcy ou Melun... 

Seule en scène avec un vidéo projecteur, la comédienne affiche les œuvres de Van Gogh, Basquiat, de La Tour, Picasso, Rembrandt... et incarne tous les rôles : détenus, surveillants et coordinatrices culturelles. « J'ai voulu témoigner de ces personnes en marge. Pour ne pas oublier qu'elles sont là, invisibles et juste à côté de nous. »

En fond, Picasso, La Celestina (1904). Musée Picasso. Phot. © Xavier Cantat

En fond, Picasso, La Celestina (1904). Musée Picasso. Phot. © Xavier Cantat

Un espace de liberté

« Amin, Thierry, Brice, Kevin, Yunes, Mathis, c’est pas des noms, c’est du chagrin », dit le texte de Céline Caussimon. Elle ne sait pas pourquoi ils ou elles sont là, ni comment ils ou elles vont réagir. Mais bientôt, derrière ces listes de noms, des personnes prennent vie, avec leurs mots à eux, qu’elle rapporte sans retouche.

Le temps du spectacle, le public va confronter son regard, sur des œuvres que souvent il croyait connaître, à l’œil neuf des détenus. Ces « taulards », une fois leur réticence à rédiger dépassée, ont su voir une foule solidaire dans la Ronde de nuit, la solitude d’une poule noire perdue dans une cour de ferme de Gauguin, la barrière qui protège l’enceinte d’une maison paradisiaque dans Étendre le linge de Berthe Morisot. « Ça ressemble à notre cellule », écrit l’un d’eux à propos de la Chambre de Van Gogh à Arles, à cause de la fenêtre à croisillons au fond de la pièce.

Avions-nous vu le couple dans l’ombre, en arrière-plan, dans Chop Suey d’Edward Hopper, qui représente en pleine lumière deux femmes dînant au restaurant ? « Une scène de rupture, selon Nadia. Ça va exploser, c’est dans le fond que ça se passe ! » Leurs textes sont le reflet de leur vécu. Quand la comédienne propose qu’on se promène dans un tableau, l’un d’eux proteste : « Se promener ici c’est sortir voir des murs ; il faut dire “on va partir dans un tableau“. » Un autre, à propos des Joueurs de cartes de Cézanne : « Ils jouent leur vie. » Certains n’ont pas perdu leur humour, comme cet homme, devant Le Voyageur contemplant une mer de nuages, de Caspar David Friedrich : « Maintenant que t’es là, comment tu vas redescendre ? »

En fond, le Toit bleu ou Ferme au Pouldu de Paul Gauguin (1890). Galerie nationale d'Australie. Phot. © Xavier Cantat

En fond, le Toit bleu ou Ferme au Pouldu de Paul Gauguin (1890). Galerie nationale d'Australie. Phot. © Xavier Cantat

Surveiller et punir

Tracasseries administratives, fouilles au corps, mitard... la violence de la prison s’insinue en filigrane dans la pièce et les échos du monde carcéral nous parviennent par bribes : « Si le jaune était une couleur de la journée, écrit Christelle, ce serait 18 heures 40, quand les portes de chaque chambre se ferment dans un grand fracas de clefs tournées dans les serrures, de crochets du haut enclenchés, puis celui du bas… et le silence. Enfin, le silence ! Celui que j’attends depuis que je me suis levée. Cette certitude que plus personne ne viendra toquer à ma porte. »

L’autrice s’interroge : « Qui a inventé la prison ? Ça sert à quoi? [...] Peut-être que Foucault a la réponse. » En introduction, elle nous avoue ne pas avoir lu Surveiller et punir : naissance de la prison (Gallimard, 1975), mais tel n’est pas le propos de son spectacle. Il s’agit pour elle de partager avec le public une expérience qui l’a marquée et dont elle nous expose les tenants et les aboutissants. Malgré une mise en scène sans grand relief et une narration un peu décousue, la sincérité de l’interprétation et les personnages qui émergent de ce récit ont de quoi toucher. Et pourquoi ne pas lire Michel Foucault dans la foulée ?

Je n’ai pas lu Foucault
S De et avec Céline Caussimon S Mise en scène Sophie Gubri S Création sonore Michel Winogradoff S Lumières Camille Dugas S Création vidéo Tristan Sebenne S Production Compagnie Les Apicoles S Projet accompagné par l’ADAMI Déclencheur S Durée 1h10

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Mars 2026 Le Séchoir / Chemillé (49)
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