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Arts-chipels.fr

Grand Reporterre #11 – Histoires de luttes. Lapins chasseurs en colère.

Phot. © DR

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Les lapins, pauvres-péquins-que-nous-sommes, en ont marre d’être chassés. Radio Lapin, la seule radio qui se révolte, pourchasse les chasseurs et les mitraille, émet en direct.

Sur 107.8 retentit le générique de Radio Lapin. Bruit de fond émaillé d’interventions diverses un peu fouillis en fonds sonore, comme un direct en prise sur l’événement. Sur le plateau, côté cour, une table et trois micros devant un mât d’où partent des câbles. Les micros changeront de couleur de mousse selon la radio qu’ils représenteront. Côté jardin, un castelet de bric et de broc fabriqué à partir d’objets hétéroclites et de récupération, le lieu d’une certaine mise en théâtre. On est dans l’éphémère, le bricolé, le provisoire, la fabriqué à la va-vite pour l’urgence du moment.

Grand Reporterre #11. Des lapins et des hommes.

Bienvenue dans Grand Reporterre !, une série initiée par Angélique Clairand et Éric Massé qui, pour chaque édition – celle-ci est la onzième – associe, sur un même thème, des gens de théâtre et un journaliste, sur des sujets aussi divers que « Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? » ou « France, dégage ! Françafrique : la rupture ».

Au menu du jour : « Radio Lapin, histoires de luttes » et non « histoire des luttes ». Rien d’exhaustif, donc, qui vise à faire le tour de la question, mais des récits croisés, venus de tous les horizons – journalistiques, militants, réflexifs – et sur tous les terrains des luttes d’aujourd’hui – politiques, écologiques et culturelles.

Les intervenants ont un pedigree bien défini. Sacha Ribeiro et Alice Vannier ont créé la compagnie Courir à la catastrophe, un nom qui en dit long sur leur positionnement. Ils ont à leur actif, entre autres, une adaptation scénique de la Misère du monde de Pierre Bourdieu et 5 4 3 2 1 J’EXISTE (même si je ne sais pas comment faire). Tout un programme ! Avec eux, Antoine Chao, journaliste et producteur de podcasts et d’émissions de radio, a aussi couru plusieurs lièvres à la fois. Musicien, avec son frère Manu, au sein de la Mano Negra, puis « théâtreux » avec Royal de Luxe avant de devenir programmateur musical, de fonder une association de production radio, « Fréquences éphémères », et de documenter, pour France Inter, les luttes environnementales pour l’émission « C’est bientôt demain », il a les oreilles qui traînent dans les lieux où ça bouge et où ça secoue. Trois lapins qui refusent d’être chassés et se dressent contre les chasseurs.

Phot. © DR

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Pirates ! La radio sur un plateau

Le ton est vite donné alors qu’on dresse au haut du mât le drapeau noir de la flibuste léporidée, où la carotte a remplacé la tête de mort. c’est sur les câbles qui tendent le mât que seront accrochés, au fil du spectacle, les slogans et témoignages des luttes qui émaillent l’évocation à laquelle nous convient nos trois rongeurs qui affichent leur intention de saper les bases du discours dominant.

L’espace d’une soirée, s’insérant subrepticement sur la bande passante des fréquences – déjà plus qu’encombrée – et sans autorisation préalable, ils vont porter leur vision d’un monde en lutte sur tous les terrains. Radio Lapin, radio éphémère, affiche sa volonté de donner la parole aux « victimes » – les lapins et lapines – et non à leurs chasseuses et chasseurs, reprenant une déclaration de Daniel Mermet citant Howard Zinn : « Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par des chasseurs. » Des lapins qui se feront chasseurs, traqueurs d'une vérité autre.

Phot. © Bertrand Gaudillère

Phot. © Bertrand Gaudillère

Des cerises, pas des queues de cerises

Dans cette prise de parole pirate, il sera question d’écologie, bien sûr, et de l’ambiguïté de l’usage du mot « nature » qui, au-delà de sa définition environnementale, avec toutes les approximations sur ce qu’il recouvre, conduit aussi – l’histoire est là pour le dire – aux luttes anti-avortement et à l’eugénisme. S’ériger, pour les écolos, en « défenseurs de la nature » est mettre la patte sur un terrain incertain. C’est pourquoi nos lapins préféreront se définir comme « la nature qui se défend ».

On parlera de pollution environnementale, avec le témoignage d’une femme qui ne mange plus les cerises de son jardin, infectées par la pollution des airs et des eaux, mais aussi des méga bassines et des luttes en cours, saisies sur le vif au travers de radios éphémères tentant d’apporter un autre regard sur l’événement. Souvent désordonnées, un peu foutraques, dans l'urgence, ces interventions au son « sale » offrent un autre regard, une vision en direct. Le point de vue de ceux qui sont dedans quand les médias portent le plus souvent un discours de l’extérieur.

Phot. © Bertrand Gaudillère

Phot. © Bertrand Gaudillère

On a abandonné Jeanne d’Arc !

À son point de départ, Radio Lapin commence fort : il s’ouvre sur la récupération par Marion Maréchal, née Le Pen, d’Antonio Gramsci, membre fondateur du PC italien et théoricien marxiste emprisonné durant onze ans pour ses idées politiques. Il sera question plus tard de l’emblématique Jeanne d’Arc, cette jeune femme illettrée d’extraction populaire qui réussit en quelques jours là où d’autres, masculins et plus « éduqués », ont échoué pendant des mois. Une incarnation de réussite féminine et populaire d’une grande modernité, mise sous le boisseau au profit exclusif d’une certaine idée de la « France » gérée par l’extrême-droite.

La gauche a laissé échapper cette figure hautement symbolique de réussite et elle lui revient, par un effet boomerang, à la figure, ce que le spectacle, appuyé sur différents textes, nous invite à questionner aux travers de livres tels que le Puy du faux de Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, la vidéo Blast et d’autres ouvrages sur la confiscation de la culture « populaire » par l’extrême-droite.

Des lapins, chasseurs de fachos déguisés

Radio Lapin, dans son passage en revue des turpitudes qui guettent la culture, aborde aussi les « levées de dons » caritatives des initiateurs des Nuits du Bien commun. Le premier, Pierre Édouard Stérin, est le fondateur du projet Périclès (Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes) qui vise à propulser l’extrême-droite dans mille municipalités aux prochaines municipales. Le deuxième, Stanislas Billot de Lochner, soutien fervent de Marion Maréchal et admirateur de Zemmour, préside des associations proches de l’Opus Dei et de Civitas. Le troisième, Thibaut Farrenq, spécialiste de l’événementiel, s’illustre dans les levées de fonds dans les milieux catholiques traditionnalistes et a été candidat suppléant RN en Vendée. Sous prétexte de « lever des dons à destination d’associations et d’ONG œuvrant pour le Bien Commun » se cache un moyen d’instrumentaliser l’argent public et de bénéficier d’avantages fiscaux.

Il sera aussi question d'une association comme « La maison de Marthe et Marie » qui, sous couvert d’aider les femmes enceintes en situation précaire, maintient des liens étroits avec le mouvement pro-vie et ne cache pas son racisme en exigeant des titres de séjour pour les personnes étrangères à l’Europe. On y évoquera aussi le projet « reporté » de Raconte-moi la France, financé à hauteur de 500 000 euros par la Région Auvergne-Rhône-Alpes sous la direction de Laurent Wauquiez, qui a par ailleurs supprimé cinq millions d’euros aux structures culturelles de cette même Région.

Phot. © Bertrand Gaudillère

Phot. © Bertrand Gaudillère

Les médias sur la sellette

Il est, bien sûr, question de délivrer un autre discours que celui du pouvoir et des dominants, qui passe par les médias. Antoine Chao, utilisant une intervention à l’antenne de Jean-Pierre Elkabbach, rappelle qu’en mai 1968, les journalistes des radios et télés nationales avaient interdiction de couvrir les manifs en direct. Il fait aussi état de la quasi-impossibilité aujourd’hui d’effectuer un véritable travail de grand reporter sur le terrain. Alléguant les motifs d’impératifs économiques, la possibilité de consacrer un temps long pour faire un travail d’enquête fouillé a disparu au profit de la course à l’événementiel et au sensationnel qui caractérise notre époque.

Un éclatement perturbant

Bien d’autres thèmes viendront agiter les oreilles de ces lapins revendiqués qui font entendre d’autres sons de cloches – Pâques n’est pas loin –, dont la mélancolie qui saisit la gauche, présentée comme un moyen possible de rebondir et sujette à débat. Mais c’est sans doute là que le bât blesse. Trop d’informations noie l’information qui s’atomise en incidences qui vont de-ci, de-là. Le spectateur, s’il n’est pas un militant pur et dur, a du mal à se repérer dans cette évocation en fondus-enchaînés de bruts de manif, de témoignages sur le vif, d’interviews et d’extraits de textes qui partent dans tous les sens, vu la multitude des sujets abordés.

Si les militants, venus là pour trouver dans ce miroir le reflet de leurs luttes, plongent avec délices dans cet aquarium rempli de plantes, vertes, comme il se doit, pour les autres, même si les points soulevés, incontestablement intéressants, interrogent, c’est moins simple quant à l’objectif recherché car on se perd dans tous ces combats alignés. Et même si l'appel à la résistance est clair, la démonstration, trop éclatée, peine au final à convaincre.

Phot. © Bertrand Gaudillère

Phot. © Bertrand Gaudillère

Grand Reporterre #11 - Radio Lapin, histoires de luttes
S Conception et mise en pièce de l'actualité Sacha Ribeiro, Alice Vannier S Avec le journaliste Antoine Chao S Collaboration artistique Angélique Clairand S Scénographie Benjamin Hautin S Régie lumières Quentin Chambeaud S Collaboration technique Thierry Pertière, Christophe Reboul S Production Théâtre Point du Jour, Lyon S Durée estimée 1h30

CRÉATION ET TOURNÉE
5 et 6 mai 2025, Théâtre du Point du Jour, Lyon (69)
16 juillet 2025, Festival Contre-courant CCAS La Barthelasse, Avignon (84)
3 au 4 novembre 2025, Théâtre des Célestins, Lyon (69), en coréalisation avec le Théâtre du Point du Jour
Du 12 au 15 novembre 2025, Théâtre de la Cité Internationale, Paris

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