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Arts-chipels.fr

Bovary, un mariage et un enterrement.

Phot. © Danny Willems

Phot. © Danny Willems

Adapté en langue flamande par un Belge, Michael De Cock, mis en scène par une Catalane, Carme Portaceli, le roman de Gustave Flaubert devient un duo entre une Emma survoltée et un Charles effacé, enfermés dans un mariage malheureux. Une intéressante mise en perspective de ce conte cruel.

Le roman d’une femme en cage

Le plateau est vide, à l’exception d’un vieux piano droit. Au fond un rideau gris. L’homme débraillé, en slip et chemise, qui apporte des vases de fleurs se prépare-t-il pour d’heureuses épousailles ou pour des funérailles ? Le ton est donné dès l’apparition de la lumineuse actrice Maiike Neuville, avec ses phrases désabusées lancées au public : « Rien au monde ne vaut qu’on le recherche. Tout est mensonge... » Ses adresses à la salle se multiplieront au fil du spectacle, histoire de nous faire partager son destin. « Emma Rouault », se présente-t-elle à la veille des noces, avant de raconter les circonstances qui l’ont amenée à épouser le docteur d’une bourgade de province : un mariage de raison. Puis, quittant ses habits de jeune fille, c’est étroitement corsetée et engoncée dans une robe blanche à panier qu’elle vivra désormais avec Charles, sans amour.

De la terre, déversée pour l’occasion dans un coin de la scène par les régisseurs, annonce quelque chose de funeste. On connaît — ou l’on est supposé connaître — le sort tragique de l’héroïne. Restait à Michael De Cock et Carme Portaceli, de nous le conter. Ils croisent de nouveau leurs points de vue, après leur adaptation commune du roman de Virginia Woolf, Mrs Dalloway, en 2019.

Phot. © Danny Willems

Phot. © Danny Willems

Aujourd’hui comme hier

Pour Carme Portaceli, « Emma Bovary est le personnage qui convient pour entreprendre une réflexion sur les rêves, sur l’amour romantique et sur combien le regard de la société fait tort aux femmes. Emma, tout comme les femmes contemporaines, est aux prises avec les attentes et le regard de la société sur la féminité. [...] Nous luttons contre les images que nous avons intériorisées. »

Sa mise en scène va droit au but, tout comme le texte, sans fioriture. Dirigée par ses soins, Maaike Neuville compose un personnage en accord avec la sensualité prêtée par Flaubert à son héroïne. Elle incarne une femme puissante, débordant d’une énergie contenue, prête à imploser. Le diable au corps et la rage au ventre, à partir de sa rencontre avec Léon et Rodolphe — qu’elle prend pour de l’amour —, elle joue une Emma très physique, malgré le costume qui l’enserre jusqu’à étouffer ses élans.

C’est elle qui, entre les scènes dialoguées avec son mari, raconte, ses amants, ses lectures, ses aspirations mystiques, son dégoût pour Charles et pour sa fille Berthe. « Je ne l’aime pas, il m’énerve [...] Je suis un monstre », se fustige-t-elle en public, rappelant que cette histoire de femme adultère fit scandale dans la France bien-pensante de 1856, au point de déclencher un procès. « J’ai essayé shopping et fucking [...] la vie est un cauchemar, et j’ai fait une mauvaise combinaison », conclut-elle dans le vocabulaire d’aujourd’hui.

Phot. © Danny Willems

Phot. © Danny Willems

Et Monsieur  Bovary ?

Bovary, c’est l’histoire de Monsieur et Madame, qui, dans le roman, se focalise, dès le titre, sur la malheureuse Emma. Charles fait ce qu’il peut, aveuglé par son amour pour elle, époux empressé jusqu’à l’imbécilité. Lui, futur veuf, elle, bientôt suicidée, sont l’un comme l’autre victimes de la société de leur temps. En contrepoint du jeu éruptif de sa partenaire, Koen de Sutter interprète avec délicatesse un Charles insignifiant, agaçant, dans l’ombre de sa bouillante compagne dont il semble ignorer les tourments et les tromperies, même quand il la prend en flagrant délit de mensonge.

On le voit s’endormir à l’opéra, dans une scène traitée un peu à part, qui subsume la disparité du couple. On a le plaisir d’y entendre la soprano Ana Naqe, dans une aria de Lucia di Lamermmoor de Donizetti, dont elle a chanté le rôle-titre, au cours de sa carrière. Emma est emballée, Charles n’y entend rien. Le minable docteur, chirurgien raté, passe ici à côté de l’histoire, ne montrant au public que sa piteuse apparence, sans qu’on puisse s’apitoyer sur son sort. Mais, une fois veuf, il fera entendre sa cause : « Peut-on connaître une femme ? », épilogue-t-il.

Loin du « bovarysme » et du romantisme dont on l’a souvent affublée, l’Emma de Carme Portaceli et Michael De Cock rend son tablier à Flaubert : l’actrice jette son corset aux orties et son personnage s’évade en se donnant la mort. Le seul choix de sa vie ! Charles en homme de son temps n’aura rien compris, malgré les fleurs dont il ornait à foison la cage dorée où sa femme s’étiolait et où, comme une araignée tisse lentement sa toile, il lui préparait un tombeau.

La metteuse en scène, directrice du Théâtre national de Catalogne a, dans ses quelque soixante-dix spectacles créés en Espagne et en Europe, toujours veillé à donner plus de visibilité aux femmes, notamment aux héroïnes de la littérature. On pourra voir à la suite de cette création hispano-flamande, invitée au théâtre des Amandiers de Nanterre, sa version catalane d’Anna Karénine du 7 au 10 mai. Elle prépare pour bientôt, à Barcelone, un Maria Magdalena, loin de toute hagiographie. À suivre.

Quant à Michael De Cock, acteur et écrivain, directeur artistique du Théâtre royal flamand de Bruxelles, il est actuellement en tournée avec un solo : Paris and Micky – Seule l’imagination peut nous sauver.

Phot. © Danny Willems

Phot. © Danny Willems

Bovary d’après le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert En flamand surtitré français
S Adaptation Michael De Cock S Mise en scène Carme Portaceli S Avec Maaike Neuville (Emma Bovary), Koen De Sutter (Charles Bovary), Ana Naqe (chant) S Conception lumière Harry Cole S Paysage sonore Charo Calvo S Chorégraphie Lisi Estaras S Dramaturgie Gerardo Salinas S Directrices de production Catherine Vervaecke & Ella De Gregoriis S Assistants mise en scène Inge Floré, Ricard S Conception décor et costume S Marie Szersnovicz S Régie de plateau Davy De Schepper S Lumière Dimi Stuyven S Son Bram Moriau S Machinerie Justine Hautenhauve, Willy Van Barel S Costumes Eugenie Poste & Heidi Ehrhart S Surtitrage Inge Floré S Traduction : Anne Vanderschueren, Trevor Perri S Distribution et directrice de tournée Saskia Liénard S Production KVS, Théâtre royal flamand de Bruxelles S Coproduction Perpodium S Avec le soutien de Tax Shelter van de Belgische Federale Overheid via Cronos Invest S Spectacle créé en 2021 au KVS, Théâtre royal Flamand de Bruxelles S Durée 1h30

Du 29 avril au 3 mai 2025
Théâtre des Amandiers, Nanterre (92)
Autour du spectacle : rencontre avec Carme Portaceli le 3 mai l’issue de la représentation

TOURNÉE
23 et 24 mai 2025 au KVS, Théâtre royal flamand de Bruxelles

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