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Arts-chipels.fr

Seules face à lui. Des femmes en souffrance.

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En s’inspirant d’un fait divers canadien, un féminicide revendiqué par son auteur comme antiféministe, Claire Bosse-Platière livre un texte âpre et accusateur sur le sort fait aux femmes.

Un plateau nu, pauvrement éclairé par des néons qui soulignent le caractère très ascétique du spectacle. Six comédiennes et un comédien vont se trouver sur scène pour narrer une histoire qui vient s’inscrire au nombre des tueries de masse sanglantes. Le 6 décembre 1989, à l’École polytechnique de Montréal, un jeune homme, Marc Lépine, ouvre le feu sur des étudiantes, tuant quatorze femmes et blessant quatorze autres personnes dont onze femmes. Le tueur a déclaré à voix haute et à plusieurs reprises ainsi que dans des lettres retrouvées sur lui qu’il souhaitait tuer des « féministes », avant de mettre fin à ses jours. Lors de son irruption dans l’établissement scolaire, il a séparé les hommes des femmes avant de se livrer au massacre. Il lui aura fallu seulement vingt minutes pour accomplir ce féminicide qui aura pour conséquence au moins quatre suicides.

Un texte au scalpel

C’est une écriture coup de poing que propose l’autrice. Des phrases courtes, assénées. Souvent dépourvues de verbes. À la syntaxe incomplète. Lancées comme des obus, des tirs de mitrailleuse, des scuds, des conjurations à fonction libératoire. Un bombardement de mots pour dire la souffrance, l’incompréhension, la colère devant cette haine des femmes qu’on rencontre parfois mais qui prend ici un tour tragique. Les femmes font face à leur assassin, le questionnent, cherchent à comprendre pour le dissuader d’agir. En pure perte. Pour lui, femme et féministe sont la même chose. Un mal à exterminer. Sans distinguo, sans état d’âme.

Une mise en scène du cri

La mise en scène, ici, refuse la logique habituelle du dialogue théâtral pour traduire cette violence à l’état pur. Elle juxtapose, répartit dans l’espace, dresse les comédiennes vent debout. Elles sont voix, urgence de crier, sans nuance, sans demi-teinte. Une douleur à vif qui se déverse comme un torrent impétueux, dans une volonté, pour la traduire, de ne pas « faire théâtre » sur le plan du jeu et en recourant à un éclairage volontairement déficient et sinistre – qu’on aimerait cependant moins brut de décoffrage –  pour en marquer la dimension tragique.

Un propos problématique

Cela n'empêche pas de rester perplexe devant le choix du propos par rapport à la réalité française. D’abord parce que ce type de situation s’avère peu probable dans notre pays, et par l’amalgame fait dans le spectacle entre femme et féministe, du fait de l’appui du spectacle sur ce fait divers.

Si, en France, le nombre de féminicides est en augmentation, malgré un contexte législatif plus strict et des mesures de prévention plus fortes – 136 féminicides ont été enregistrés en 2024 et une femme meurt tous les 2 jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint –, ces crimes sont distincts d’actes posés comme antiféministes. L’amalgame femme-féministe exploré par cette écriture à forte charge cathartique laisse, au bout du compte, planer la question du « pour dire quoi ? ». Est-ce pour dresser hommes et femmes dans une guerre de plus entre les sexes ? S’il est vrai que tuer des femmes, dans le contexte du fait divers, est s’attaquer au féminin, une généralisation est-elle possible ? Et quel est dans ce propos le rôle du théâtre ? Témoigner, convaincre ou manifester ? Malgré le style très intéressant de l’écriture, on a le sentiment en sortant du spectacle de n’avoir pas avancé d’un pouce quant aux querelles, même violentes, entre genres…

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Seules face à lui (éd. L’Œil du prince)
S Texte, conception et mise en scène Claire Bosse-Platière S Composition et musique live Léa Moreau S Régie Milan Denis Avec Salomé Benchimol, Paul Delbreil ou Matthew Luret, Elisa Habibi ou Claire Bosse-Platière, Fanny Kervarec, Gwenaëlle Martin, Emma Prin, Nadège Rigault S Production DGCA, Compagnie Viscérale, Théâtre13, FONPEPS, JTN S Soutiens école Supérieure d’Art Dramatique de Paris / PSPBB S Texte accompagné par le collectif A Mots Découverts S En collaboration avec le bureau de production Tapioca S Finaliste du prix Théâtre 13, du prix de la Librairie Théâtrale 2024, et du prix des comités de lecteurs de la Chartreuse 2024, Seules face à lui a également été sélectionné pour le JT24 S Durée 1h10

Du 26 au 30 mars 2024 à 19h
Nouveau Théâtre de l’Atalante, Paris

TOURNÉE
Du 17 au 20 avril 2025 ESCA / Studio d’Asnières
21 & 21 septembre 2025 Théâtre du Duende, Ivry-sur-Seine
25 & 26 septembre 2025 Anis Gras, Arcueil
10, 12, 17, 19, 24, 26 octobre 2025, Les 3T, Saint-Denis

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