Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

La Grande Dépression, tempête sous un crâne.

Phot. © Arnaud Bertereau

Phot. © Arnaud Bertereau

Sous la plume de Raphaël Gautier, le krach des années trente rejoint la dépression de son héros, dans une comédie mêlant la grande histoire et la petite. Aymeline Alix s’empare de cette écriture débridée, avec six comédiens pour une quarantaine de personnages.

D’une crise l’autre

Le Dépressif, jeune comédien angoissé par le chaos du monde et sa propre précarité économique, s’invente, pour s’en sortir, un « théâtre magique » où il convoque une galerie de figures venues du passé. Dans sa première pièce, Raphaël Gauthier, historien de formation, opère un raccourci saisissant entre l’avènement du nazisme en Allemagne et la naissance de la société de divertissement aux États-Unis, avec Mickey Mouse. Il en fait, à travers les élucubrations de son personnage principal, deux faces du populisme visant à manipuler les masses impactées par la Grande Dépression. Ce parallèle inattendu déclenche un enchaînement de scènes de part et d’autre de l’Atlantique, mêlées aux démarches du héros pour trouver une solution personnelle à son mal être. « J’ai aimé la réflexion menée par Raphaël sur la façon dont l’Histoire façonne nos inconscients et nos névroses », dit Aymeline Alix qui, lors d’une lecture à la Comédie-Française, en 2023, a découvert cette satire sur la colonisation des imaginaires par les récits porteurs d’idéologies.

Phot. © Arnaud Bertereau

Phot. © Arnaud Bertereau

Walt Disney et Hitler

Dans le théâtre magique du Dépressif apparaissent simultanément Adolf Hitler et Walt Disney : l’un, à Berlin, rassemble le peuple autour de la croix gammée, symbole de la pureté aryenne, l’autre, qui voit ses studios péricliter, va sortir du « trou noir » en inventant sa fameuse souris. Au fil de ces fictions croisées, des points communs apparaissent entre le Führer et le cinéaste. Hitler et Goebbels, son ministre de la propagande, étaient fans des dessins animés de Disney, en particulier de Blanche-Neige apologie de la ménagère vertueuse. Le cinéaste, lui, admirait les films de Leni Riefensthal à la gloire du nazisme et l’accueillit chaleureusement lors de son séjour aux États-Unis. De même, il embaucha l’ex SS Wernher von Braun, spécialiste des fusées, pour les émissions télévisées Man in Space, qu’il produisait, et il lui confia la conception de Tomorrow Land dans son parc d’attraction. À côté de ces personnalités, surgissent des créatures telles que Simba, le futur Roi Lion, avec lequel le protagoniste dialogue quand il retrouve chez sa mère la peluche de son enfance. Car, entre les scènes historiques qu’il suscite devant nous, le Dépressif s’entretient avec sa psy, travaille à Disneyland, rencontre des amis ou ressasse ses rancœurs...

Phot. © Arnaud Bertereau

Phot. © Arnaud Bertereau

Un théâtre antidéprime

Autour d’un Stanislas Roquette fébrile et tendu, qui nous embarque dans ses récits et aventures, Chadia Amajod, James Borniche, Christian Cloarec, Nathan Gabily et Agnès Proust changent de rôles comme de chemises : un vêtement, un chapeau rapidement enfilé ou retiré, un accessoire attrapé au vol, et les voilà transportés d’une temporalité et d’un espace à l’autre. Pas question de psychologie, ni de didactisme, mais un jeu simple et clair, quasi marionnettique, pour illustrer les fantasmagories de notre Dépressif. Le rythme impulsé par la musique de Nathan Gabily, la mise en scène sobre et précise d’Aymeline Alix ne souffrent d’aucun temps mort. La scénographie est fonctionnelle : avec deux grandes tables mobiles sur le plateau nu, elle permet de se projeter en un clin d’œil dans les différents lieux évoqués.

Cette comédie, habilement écrite et menée tambour battant, ne va pas sans rappeler, avec humour, que le vers est encore dans le fruit, comme le remarque l’historien Johann Chapoutot dans La Révolution culturelle nazie : « Il est frappant de constater que les idées du nazisme n’ont pas eu grand besoin d’être diffusées : elles étaient déjà là dans la société allemande comme, plus largement, dans les sociétés occidentales. Ce qui revient en propre aux nazis fut – et ce n’est pas rien – leur mise en cohérence et leur mise en application, rapide, brutale, sans concession. » Raphaël Gautier, par la pertinence de ses vues et la vivacité de son écriture s’affirme comme un auteur avec lequel il faudra compter.

Phot. © Arnaud Bertereau

Phot. © Arnaud Bertereau

La Grande Dépression S Texte Raphaël Gautier (publié chez Esse que Éditions)
S Mise en scène Aymeline Alix S Avec Chadia Amajod, James Borniche, Christian Cloarec, Nathan Gabily, Agnès Proust, Stanislas Roquette S Collaboration artistique Pauline Devinat S Dramaturgie Lillah Vial S Musique Nathan Gabily S Scénographie Fanny Laplane S Lumières Alban Sauvé S Costumes Pauline Juille S Régie générale et régie lumière Félix Lecloarec S Régie son Thomas Pattegay S Production Compagnie du 4 septembre S Coproduction Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; Le Volcan – Scène nationale duHavre S Avec le soutien de DSN – Dieppe scène nationale, du Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne, du Moulin de l’Hydre, du Centquatre-Paris, de l’Étincelle — Théâtre(s) de la ville de Rouen, de la ville duHavre, de la ville de Paris, de la DRAC Normandie, de la Spedidam, de l’Adami, de France Active, de l’ODIA Normandie S Coréalisation Théâtre de la Tempête S Durée 1h30

Du 8 mars au 6 avril 2025
Théâtre de la Tempête - Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article