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Arts-chipels.fr

Floue, le goût des mots.

Phot. © Jeanne Paturel

Phot. © Jeanne Paturel

Ce portrait sensible d’une anorexique, écrit par Dominique Paquet et interprété avec finesse par Salomé Joly est aussi l’occasion de découvrir un nouveau théâtre parisien, le Local des autrices.

Lire ou manger ?

Issu d’une commande du Théâtre du Pélican, à Clermont-Ferrand, sur le thème « Les mythologies contemporaines de la jeunesse », Floue traite du narcissisme, dont le comble serait, pour Dominique Paquet, « la volupté que l’anorexique éprouve à regarder les métamorphoses de son corps ». L’autrice écrit essentiellement pour la jeunesse mais, étant aussi philosophe, elle s’est déjà penchée sur la question du narcissisme dans plusieurs essais : Miroir, mon beau miroir, une histoire de la beauté (Gallimard, 1997) réédité sous le titre La Beauté (2013). Ainsi est née sous sa plume Floue, une adolescente qui se prive de manger par peur de grossir et étanche sa faim en se rassasiant de mots. Elle aime se sentir vide de nourriture et, légère comme feuille au vent, pleine de mots et d’histoires. « Depuis des années, dit Dominique Paquet, je cherchais une voie narrative pour évoquer mon anorexie d’enfant et ma boulimie de mots ». Si l’autrice projette une part de son propre vécu dans la pièce, il est transcendé par une écriture vive et enlevée, et Patrick Simon met en scène avec simplicité le parcours sensible de l’adolescente.

Les mots se changent en goûts

Floue n’avale peut-être rien mais elle se rassasie des saveurs contenues dans les vocables : douée d’une forme de synesthésie – capacité d’éprouver une sensation dans une autre organe sensoriel  que celui qui a été excité –, il lui suffit de lire « citron » pour que l’acidité du fruit imprègne ses papilles, tout comme le moelleux de la crème au beurre ou la douceur du sucre filé, le vert croquant de la fève, le spumeux du champagne... De même que, chez notre héroïne, les sons provoquent des émotions gustatives, chaque synesthète a sa gamme très personnelle d’assemblage des sens. Des musiciens parlent d’audition colorée : les notes font apparaître formes, couleurs et textures dans leur champ de vision. Et, côté littérature, Vladimir Nabokov, écrivain américain d’origine russe, écrivait dans son autobiographie qu'il avait « une ouïe colorée »... Dominique Paquet use de ces étranges correspondances pour construire son personnage.

Phot. © Jeanne Paturel

Phot. © Jeanne Paturel

De la lecture à l’écriture

Salomé Joly interprète avec grâce cette jeune fille qui passe sa vie le nez dans les bouquins : ici, des piles de livres qui s’envolent. Avec ses allures de sylphide, sa blondeur lumineuse, la comédienne incarne une Floue évanescente qui se regarde maigrir devant le miroir ou en captant son image avec un Smartphone. Elle va jusqu’à découper et admirer sa silhouette, après l’avoir dessinée au sol dans une grande feuille de papier. Cet avatar – utilisé par les psychothérapeutes pour traiter l’anorexie mentale –permet ici un jeu théâtral entre la comédienne et son image et, par ce biais, elle prend la mesure réelle de son corps.

À force de se repaître de mots, Floue, comme Dominique Paquet autrefois, en vient à l’écriture. « La pièce, dit l’autrice, est aussi l’histoire d’une jeune fille qui va transmuer sa boulimie de mots en écriture et en faire un métier ! Car écrire est aussi un exercice du narcissisme ! »

Destinée principalement aux adolescents, la pièce aborde sans pathos ni moralisme une maladie grave qui en a conduit certains, majoritairement des filles, à la mort. Mais tout un chacun y reconnaîtra les turbulences physiques et psychiques éprouvées lors du passage de l’enfance à l’âge adulte. Le Groupe 3.5.81 propose au jeune public, pour accompagner le spectacle, des ateliers de philo ou d’écriture.

Phot. © Patrick Berger

Phot. © Patrick Berger

Le Local des autrices

Situé à Belleville, dans le 11e arrondissement de Paris, le Local, une salle de quartier  dirigée depuis vingt-trois ans par Gabriel Debray, allait fermer ses portes quand  Sarah Pèpe, autrice, metteuse en scène et comédienne en a repris le bail. Dans l’optique de « mettre en lumière les voix féminines », elle veut en faire un lieu d’échanges et de création. Avec ses quarante-cinq places modulables, le Local des Autrices accueille depuis février 2025 des projets initiés essentiellement par des femmes ou dédiés à des thématiques féministes : théâtre, cabaret, conférences... On y propose aussi des ateliers artistiques et des actions socioculturelles pour les habitants du quartier « Cela s’inscrit dans une logique d’éducation populaire et de médiation culturelle », dit Sarah Pèpe, qui a obtenu le soutien de la mairie du 11e, de la mairie de Paris et de l’État, via des dispositifs liés à la cohésion sociale et à la politique de la ville.

D’ores et déjà, elle propose une programmation dense et variée et, le mercredi soir, « les mercredis cabaret » : les spectateurs peuvent se rencontrer autour d’un verre avant le spectacle et, à la sortie, échanger avec les artistes. Il y a aussi, le samedi après-midi, des séances de cinéma. Aux beaux jours, une petite terrasse accueillera le public. Avis aux curieux… 

Floue de Dominique Paquet S Avec Salomé Joly S Mise en scène Patrick Simon S Coproduction Groupe 3.5.81 et Sur les quais (contact@groupe3581.com) S Création au Festival De Beaux lendemains à Saint-Brieuc le 26 novembre 2024 S Durée 1 heure

Du 6 au 30 mars 2025, du jeudi au samedi, 21h, dimanche, 18h
Le Local des autrices, 18 rue de l’Orillon, Paris 11e

Une version courte du texte est parue en 2017 aux  Éditions Théâtrales Jeunesse dans le volume dédié aux Nouvelles mythologies de la jeunesse, un corpus de textes dramatiques pour les adolescents commandés à des auteurs et autrices par le Théâtre du Pélican (Clermont-Ferrand).

 

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