18 Mars 2025
La complexité des relations amoureuses est au cœur de cette ultime rencontre de deux anciens amants. Une plongée sans concession dans des cœurs mis à nu.
Elle arpente le bord de scène, toute de blanc vêtue, parée pour recevoir, perchée sur ses talons dorés. Elle attend. Un homme. On l’entend avant de le voir. Agressif, plein d’invective. Il l’insulte même. « Connasse, pourquoi m’as-tu fait venir ? » Il la rejoint sur scène mais ils ne se touchent pas, armés l’un contre l’autre, chacun à un bord du plateau. Nous sommes dans son île à elle. Elle lui a demandé de la rejoindre. Il sait qu’il y a une raison même s’il ne la connaît pas. Toutes griffes dehors, il agresse et elle essaie de calmer le jeu. Elle l’a fait venir, dit-elle, pour qu’il soit la plume qui rédigera ses mémoires de comédienne. Un faux-semblant qu’il ne manquera pas de démonter et de démolir.
Ce que la vie fait de grands amours
Peu à peu, par bribes et à grands coups de gueule et de réflexions acides, leur histoire se met en place. Elle, star de cinéma toujours sous le feu des sunlights, lui, « petit » prof de philosophie avec ses velléités de romancier. Neuf ans qu’ils ne se sont pas vus. Et leur rencontre qui revient sur le tapis. Le hasard. Il se sont aimés. Passionnément. Elle s’est enfuie un jour sans crier gare, sans explication. Et il est resté là, à ne pas savoir, à ne pas comprendre pourquoi.
Durant cette mémorable nuit – mais est-elle réelle ou convoquée par l’imaginaire de l’homme ? – ils vont régler leurs comptes, mettre leur cœur à nu pour dire ce qui n’a pas été dit quand elle est partie, solder leur relation une fois pour toutes. Leurs rôles sont réversibles. L’accusateur et l’accusé sont tantôt l’un tantôt l’autre. Ils se déchirent à coup d’épithètes peu flatteuses et de langage cru dans ce lavage de linge sale dont aucun ne peut sortir indemne.
Au cœur de leur conflit, une histoire d’amour dont on ne peut douter compte tenu de la violence de leur affrontement, mais qui laisse derrière elle un sentiment d’inachevé et de doute. S’aiment-ils encore, malgré les voies divergentes que chacun a prises ? On pourrait le penser tant le désir de faire mal à l’autre est vif.
Être ou ne pas être face à l’autre
Tandis que la journée, puis la nuit passent jusqu’au lendemain matin où l’homme doit partir, ils vont plonger dans les profondeurs du fossé qui les sépare. Au centre de leur séparation, il y a les travers insupportables, tous ces non-dits qui ressortent et qu'ils se balancent : chez elle, les compromissions auxquelles elle s'est soumise pour faire carrière, accepter des rôles vides, vendre sa beauté physique pour devenir une star ; pour lui les conversations jusqu’au bout de la nuit avec les potes fumeux pour refaire le monde sans bouger de son fauteuil, une impuissance qui trouve un refuge commode dans les paradis artificiels. Se prendre en main ou laisser faire, s’abaisser à se commettre ou préserver une « pureté » factice… rien n’est épargné, pas même leur relation au lit et leurs appétences sexuelles, dans ce corps à corps verbal et physique qui râpe et déraille sans cesse. Un combat perdant-perdant mené avec l’énergie du désespoir d’être passé à côté. Ils s’écorchent et se caressent, tantôt l’un tantôt l’autre, dans l’espoir, peut-être, de tuer définitivement l’autre en soi.
Une fonction cathartique assumée
« Cette écriture a tiré des fils en moi, débloqué des émotions. […] Il y a dans cette pièce un rapport à la catharsis », dit en parlant du texte le metteur en scène et acteur Vincent Menjou-Cortès, qui se réfère au cinéma de Bergman, de Cassavetes ou de Woody Allen, et à ces films qui « nous racontent la souffrance par laquelle nous passons quand nous sommes amoureux ». L’intérêt qu’il partage avec Vanessa Fonte pour le jeu de l’acteur vu par Stanislavski – tous deux ont suivi une master class de Lev Doline, qui travaille dans la lignée du dramaturge russe – fait le reste dans son approche du texte d’Aurore Paris.
Il y a de la justesse, une précision presque clinique dans la manière dont les deux personnages s’écharpent dans cet aller-retour permanent entre la nostalgie des temps heureux et la mise à mort des illusions qui se déroule dans un espace où la frontière entre réalisme et onirisme s’est estompée. Huis clos tout en tensions dont l’issue sera funeste pour l’un des deux et dont l’autre ne sortira pas plus indemne, ce voyage au bout de la nuit porte en lui le décorticage impitoyable de la passion enfermée dans les rêts du quotidien.
Ce pays qui nous était destiné d' Aurore Paris
SMise en scène Vincent Menjou-Cortès SAvec Vanessa Fonte, Vincent Menjou-Cortès SScénographie Fanny Laplane S Production Philippe Charmaux – les Aventurièr.es, Salut MartineS Partenaires Scène nationale du Sud-Aquitain, Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, Ville d'Hendaye, Centre culturel Mendi Zolan, Lycée Cantau (Anglet), CROMOT ParisS Création le 12 mars 2025 – Scène nationale du Sud-AquitainSDurée 1h15
Du 5 au 26 juillet 2025
Au 11 – 11, boulevard Raspail, 84000 Avignon – à 18h45 (salle 3)