10 Mars 2025
Comme souvent chez Norén, c’est à une bourgeoisie en pleine décomposition que l’auteur s’attaque avec le mordant qu’on lui connaît et une verve comique qui flirte avec le grinçant. La formule est ici poussée à son extrême par la mise en scène de Charles Berling.
Un décor bourgeois ramené à l’essentiel. Deux canapés recouverts de blanc et un bar sur roulettes sont complétés par des sièges dans lesquels les spectateurs sont invités à s’asseoir. Dans le marigot des règlements de comptes qui se préparent, le public n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur même de ce salon, témoin immergé dans une situation qui a à voir avec le quotidien, avec l’expérience vécue de chacun. C’est dans la proximité, en observant par le menu ces drôles d’insectes qui se déchirent, que nous prendrons la mesure de la violence latente de la société.
Lorsque commence la pièce, derrière un rideau situé à cour en fond de scène, après un bruit de porte qui s’ouvre, un couloir se dévoile, dans lequel on devine une table à maquillage de théâtre. Rien n’a été épargné pour nous faire pénétrer dans un univers réaliste où nous trouverons, comme dans un spectacle de boulevard, les détails de l’illusion, à ceci près que les comédiennes et les comédiens se saouleront de verres imaginaires et pisseront sans jet. Apparences et réalités révèlent le champ du jeu.
Deux couples et deux déconfitures
Deux couples, passablement éméchés, passent la porte. Le premier est composé d'Alma et de Robert. Ils sont les hôtes. Tous deux comédiens, ils finissent la soirée avec un autre couple d’amis. Elle, Hedda, comédienne et chanteuse en pleine déconfiture, s’est résolue, du moins en apparence, à n’être qu’une ravissante poupée mère de famille. Elle est l'épouse d’un psychologue-psychiatre au mutisme lourdement inquiétant. Elle débite, pour meubler une conversation sans objet et remplir le silence, banalité sur banalité, compliments obséquieux sur félicitations vides.
Pendant ce temps et d’entrée de jeu, Alma et Robert se balancent de vertes gracieusetés à la figure. Cruauté et cynisme sont au programme d’échanges qui ne se font pas à fleurets mouchetés. Alma enfonce Robert dont l’attitude montre clairement ce qu’il en pense. Rivalités professionnelles, luttes de pouvoir pimentent les échanges aigres-doux de « ceux qui s’aiment » tandis que Robert, dans un silence assourdissant d’éloquence, sert et ressert inlassablement à boire pour faire de l’alcool une liqueur d’oubli.
Dans une vaine tentative de faire diversion, Hedda se livre à un monologue qui tombe à plat avant de faire tomber le voile pour livrer, peu à peu, la réalité de son propre désastre, tant professionnel que familial. Lorsque Jonas sortira de son mutisme, apportant la touche finale à la décomposition ambiante, les masques tomberont et la comédie sociale virera au drame.
Le théâtre au cœur
C’est si simple l’amour fait partie des quatorze « Pièces de mort » écrites par Norén entre 1989 et 1995, dans lesquelles il démonte avec application les illusions dont nous nous berçons. En mettant en scène un couple de comédiens, il fait du théâtre un jeu de miroirs dans lesquels les personnages se regardent. Il n’est d’ailleurs pas indifférent que le décor du salon soit enfermé entre deux miroirs qui renvoient aux comédiens leur propre image – de comédiens qui jouent à jouer en engageant leur vie.
Le nom des personnages n’est pas non plus innocent et la mise en scène joue avec les références. Charles Berling, facétieux, ne manque pas d’ajouter au personnage de Robert la référence à De Niro en lançant à la cantonade « You talkin’ to me ? » repris à Taxi Driver de Martin Scorsese. Et pour l'auteur qu’on considère comme l’héritier de Strindberg, de Tchekhov et d’Ibsen, nommer l’un de ses personnages féminins Hedda n’est peut-être pas un hasard, même si le personnage de la femme se démarque de l’héroïne machiavélique d’Ibsen. On pourrait prolonger le jeu en remarquant qu’Alma évoque irrésistiblement le personnage d’Alma Mahler, la séductrice qui fit tomber à ses pieds, outre le compositeur, le biologiste Paul Kammerer, le peintre Oskar Kokoschka, l’architecte Walter Gropius et le romancier Franz Werfel. Quant à Jonas, qui n’a de cesse dans la Bible de se soustraire au rôle d’homme de vérité et de prophète qu’on lui a fixé, il présente, avec son rôle d’analyste dans la pièce, la même dualité de clairvoyance et de duplicité.
Voyage au bout de la nuit
C'est dans le lent se déroule d'une nuit qui n'en finit pas et que l'éclairage souligne, s'achevant dans un petit matin blafard, qui se déroule cette mise à nu d'une virulence extrême. Pas de tendresse mais des échanges acides, où pour cent la vulgarité et le sordide, étalés sans pudeur au grand jour.
Comme une maison qui monte et se retire avant de revenir, les dialogues oscillent entre accalmies et reprises des hostilités. On ne voit pas véritablement monter crescendo une violence de plus en plus extrême au fil de la pièce même si celle-ci trouve à la fin son point d'orgue. Elle est là dès le départ, en dormance, quand elle ne ressurgit pas en à-pic vertigineux.
Le jeu des comédiens – tous excellents dans leur rôle – fait voisiner tous les registres de la parole, du mutisme à la volubilité, de la neutralité et du presque monologue intérieur au cri et au hurlement, en faisant voler en éclats, accompagné par la gestuelle, l'univers policé des conventions bourgeoises. Les renvois de balle, rapides, en phrases courtes, sèches, provoquent le rire en même temps qu'ils effarent. De la violence au rire, il n'y a qu'un pas que la pièce franchit avec une noire allégresse. Car on rit beaucoup, et les rires du public ne sont pas uniformes. Chacun rit pour lui-même, pour l'impression de déjà-vu que la situation lui évoque, pour l'anticipation du moment qui va suivre et qu'il connaît. Mais le rire est jaune. Au pays des conventions, l'humour est sanglant et l'amour noir.
Un deuxième volet, à venir en 2026
Un deuxième huis-clos, Lost and Found , extrait du même cycle des « Pièces noires », devrait voir le jour en 2026. Aux couples dysfonctionnels succèdera une famille en crise : des parents qui s'ennuient ferme, l'espace d'un dimanche, dans leur cadre bourgeois ; des enfants adolescents qui dénotent dans le décor, la fille marginale et toxicomane, le fils accro aux sites porno et porté vers l'extrême-droite. Un mélange explosif qui ne manquera pas d'engendrer, à nouveau, malaises et rires.
C'est si simple l'amour STexte Lars Norén STraduction Haïno Höglund et Amélie Wendling SAdaptation Alain Fromager et Amélie Wendling SMise en scène Charles Berling SCollaboration artistique Christiane Cohendy et Amélie Wendling SAvec Charles Berling (Robert), Alain Fromager (Jonas), Caroline Proust (Hedda) et Bérengère Warluzel (Alma)SScénographie Charles Berling et Marco Giusti SCostumes Bernadette Villard SCréation lumières Marco Giusti S Production Châteauvallon-Liberté, scène nationaleS Coproduction Théâtre National de Nice –TNNS Diffusion Châteauvallon-Liberté, scène nationale / Billal Chegra ProductionsSCréation à Toulon le 5 mars 2025SDès 15 ansSDurée 2h
La mise en scène d'un autre texte de Lars Norén est prévue en 2026 : Lost and Found S Création 2026 S Texte Lars Norén S Traduction Johan Härnsten et Amélie Wendling S Adaptation Alain Fromager et Amélie Wendling S Mise en scène Charles Berling S Collaboration artistique Christiane Cohendy et Amélie Wendling S Avec Louise Arcangioli (Anne), Pierrick Grillet ( Peter) , Charles Berling fr alternance avec Alain Fromager (Erik) et Caroline Proust en alternance avec Bérengère Warluzel (Marie) S Scénographie Charles Berling et Marco Giusti S Costumes Bernadette Villard S Création lumières Marco Giusti S Production Châteauvallon-Liberté, scène nationale S Coproduction Théâtre National de Nice –TNN S Diffusion Châteauvallon-Liberté, scène nationale / Billal Chegra Productions S Dès 13 ans S Durée prévue 1h20
TOURNÉES (en construction)
C'est si simple l'amour Le Liberté, scène nationale, Toulon, 5 → 21 mars 2025
C'est si simple l'amour Maison des Arts du Léman ,Thonon-les-Bains, 16 → 17 mai 2025
C'est si simple l'amour Théâtre du Jeu de Paume, Les Théâtres, Aix-en-Provence, 3 → 7 mars 2026
C'est si simple l'amour & Lost and Found Espace des arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône, 10 → 21 mars 2026
Lost and Found Théâtre National de Nice – TNN Les Franciscains, 25 → 28 mars 2026
C'est si simple l'amour Théâtre National de Nice – TNN, La Cuisine, 31 mars → 2 avril 2026
C'est si simple l'amour Théâtre du Crochetan, Monthey, Suisse, 18 avril 2026
C'est si simple l'amour Théâtre de Beausobre, Morges, Suisse, 21 avril 2026
C'est si simple l'amour Théâtre d'Aix-les-bains, 23 avril 2026
C'est si simple l'amour Théâtre Théo Argence – Saint-Priest, 25 avril 2026
C'est si simple l'amour Théâtres en Dracénie – Draguignan, 28 avril 2026
C'est si simple l'amour & Lost and Found Théâtre de l'Atelier, Paris, mai/juin 2026