19 Février 2025
Foin de la comédie-ballet à grand spectacle ! Le Bourgeois, version Bastien Ossart, joue résolument la carte du divertissement farcesque chanté-dansé et de la connivence avec le public.
Le Bourgeois gentilhomme, joué pour la première fois par Molière devant la Cour au château de Chambord le 14 octobre 1670, avec pour objectif avoué de railler l’étalage de luxe déployé par l’ambassadeur de Turquie lors de sa visite au Roi, constitue une accalmie après les polémiques qui ont salué les présentations de Dom Juan (1665), du Misanthrope (1666) et du Tartuffe (1666 puis 1669 pour sa révision). Sur une musique de Lully et avec des ballets chorégraphiés par Pierre Beauchamps, le succès est au rendez-vous et l’on fredonne les airs dans les rues de Paris alors que la pièce est présentée au Théâtre du Palais-Royal.
Depuis, d’André Jolivet à Jérôme Deschamps en passant par Jérôme Savary, la représentation de la pièce à Chambord, son lieu de création, dans une mise en scène d’Éric Ruf, ou son adaptation dans le style du bunraku japonais par Philippe Carr, le Bourgeois gentilhomme n’a cessé de revenir sur le devant de la scène et l’on peut citer, parmi ses interprètes, Michel Galabru, Michel Serrault ou Denis Podalydès, entre autres. Versions contemporanéisées ou en costumes d’époque et réinterprétations ou non de la musique et du ballet ont également traversé la destinée de ce « classique » dans lequel, selon les époques, on a pu discerner, au-delà de l’anecdote qui a donné naissance à la pièce, une vision de la société à l’époque de Louis XIV et la volonté d’une bourgeoisie montante d’accéder aux privilèges de la noblesse.
Une farce d’hier et d’aujourd’hui
C’est une version quelque peu revisitée que propose le Théâtre Les Pieds Nus, dans laquelle insolence joyeuse et esprit de cabaret prédominent. Le visage grimé de manière clownesque, passé au blanc, les pommettes rouges et les lèvres outrageusement peintes, les traits accentués, c’est dans l’univers du divertissement et du clownesque que se placent d’emblée les comédiennes et les comédiens qui se présentent en groupe pour entamer, sur un air jazzy une présentation du spectacle. « Bienvenue, Willkommen, Welcome », nous annoncent-ils, dans une référence appuyée au film de Bob Fosse, Cabaret.
Sous le signe de la farce et du too much
Le ton est donné, le reste suivra, à l’avenant, et dans la même veine. Tout est trop, too much, et placé sous le signe de la liberté par rapport au texte d’origine, même si les morceaux de bravoure de la pièce d’origine restent présents. On ne perdra ainsi pas une miette des querelles entre les maîtres à danser, à penser ou à ferrailler ou des considérations de Monsieur Jourdain sur la prose et les vers, pas plus qu’on ne manquera de se divertir de la « consécration » du Grand Mamamouchi.
Armés de coiffures plus grotesques les unes que les autres, les acteurs se métamorphoseront au fil des besoins – Cléonte avec sa banane version Elvis, qui jouera aussi Dorante, l'intriguant noble qui se joue des émois du Bourgeois, la perruque en étages sur la tête, Madame Jourdain avec sa pâtisserie verte tour de Babel, version choucroute-poireau, ou Lucile avec ses boucles de mousse multicolores et tirebouchonnées de jeune première quand elle ne s'emparera pas du personnage de Dorimène avec son grand nœud-nœud version Alsacienne. Quant à Monsieur Jourdain, c’est coiffé d’une gigantesque citrouille qu’il se transformera en Grand Mamamouchi. On ne fait pas dans la dentelle à petits points mais dans le gros trait, la simplification outrancière assumée.
Du décalage comme principe fondateur
Dans cette version résolument décalée du modèle d’origine, les comédiens viennent commenter l’intrigue. Ils se livrent à des simulacres de comédie musicale pour constituer les intermèdes. Ça danse, ça chante en chœur, ça joue avec les codes du bel canto, ça mélange avec allégresse les styles de musique, ça invite les spectateurs à devenir complices du spectacle, à frapper dans les mains pour marquer la mesure. On y parle de réseaux sociaux et les références à aujourd’hui font leur apparition, créant un mélange parfois savoureux dans cette conjugaison des temps. Et lorsqu’à la fin la boucle de la fable est bouclée, l’espace du cabaret se referme. Il ne reste plus aux spectateurs, visiblement contents, qu'à applaudir…
Le Bourgeois gentilhomme. D’après Molière
S Adaptation et mise en scène Bastien Ossart S Avec Bastien Ossart (Monsieur Jourdain), Nicolas Quelquejay (Cléonte), Benoît Martinez (Covielle et Dorante), Iana Serena de Freitas ou Joyce Franrenet (Nicole), Liwen Liang-Gelas ou Lauren Chekman (Lucile et Dorimène), Mathilde Guêtré-Rguieg ou Marine Lansman (Madame Jourdain) S Lumières Florian Derval S Costumes Théâtre Les Pieds Nus S Production Théâtre Les Pieds Nus S Coproduction Théâtre du Chêne Noir, Avignon S Coréalisation Théâtre Lucernaire
Du 12 février au 18 mai 2025, mar.-sam. 21h, dim. 18h
Le Lucernaire 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Rés. • sur internet: www.lucernaire.fr • par téléphone 01 45 44 57 34