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Arts-chipels.fr

1998. Danser contre l’oubli.

Tú, solo tú. Phot. © Frédéric Iovino

Tú, solo tú. Phot. © Frédéric Iovino

Thomas Lebrun fait revivre deux soli de Bernard Glandier et un duo de Christine Bastin, des pépites qui ont marqué sa jeunesse mais sont toujours aussi contemporaines. Il complète la soirée par un duo de son cru.

« Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienveillance… »

Cette phrase de René Char dit l’urgence qu’éprouva Bernard Glandier (1957-2000), déjà atteint par la maladie de Charcot en 1998, quand il confia son solo Pouce ! à Thomas Lebrun : « Le jour où tu ne le danseras plus, tu le transmettras à ton tour à un jeune », dit-il au jeune interprète d’alors qui fait de même aujourd’hui avec José Meireles et Hugues Rondepierre (en alternance).

Un solo au féminin y répond : Tú, solo tú, datant de la même époque, avec celle qui le créa, Montaine Chevalier, laquelle le transmet également à Anne-Emmanuelle Deroo, qui le danse en alternance. Ces deux pièces exigeantes condensent l’art de cet artiste qui a marqué le paysage de la danse contemporaine française. On y retrouve la rigueur d’un Dominique Bagouet, dont il fut l’un des brillants interprètes avant de fonder sa propre compagnie. Il figure parmi les initiateurs de l'association « Les Carnets Bagouet ». Toujours une histoire de mémoire. « Ce programme est composé de pièces que j’ai adorées lorsque j’étais jeune. Bernard est disparu et on ne voit plus guère les œuvres de Christine, j’avais envie de faire découvrir ces pièces aux jeunes spectateurs », confie Thomas Lebrun.

Pouce ! Phot. © Frédéric Iovino

Pouce ! Phot. © Frédéric Iovino

Gros plans sur corps solitaires

Dans Pouce ! comme dans Tú, solo tú, les personnages paraissent pris au piège d’une force mystérieuse qui les retient dans un espace restreint découpé par la lumière. L’homme de Pouce ! s’y déchaîne tandis que la femme de Tú, solo tú semble, dans l’attente, chercher un point de fuite. Les deux pièces obéissent à une construction similaire, méticuleuse, mais les approches diffèrent. Au masculin les mouvements se font muscles tendus, les positions guerrières pour, au finale, se soumettre à un destin inéluctable, au son d’une berceuse yiddish. Au féminin la gestuelle est sinueuse, avec les mouvements de tête d’une pouliche qu’on voudrait apprivoiser, sur des airs de flûte. Dans les deux pièces, le style ciselé de Bernard Glandier s’y révèle, à la loupe.

Noce. Phot. © Frédéric Iovino

Noce. Phot. © Frédéric Iovino

Duos de choc

Noce de Christine Bastin obéit la même économie de gestes. Il se dégage de ce duo au masculin sidérant de puissance l’animalité brute de deux corps en rut mais qui s’appréhendent avec une délicatesse extrême. Quand l’un se dérobe, l’autre le retient, créant une suite de postures aux équilibres improbables. Allelujah de Jeff Buckley accompagne ce mariage entre vigueur et douceur. Une attirance magnétique se développe à travers une copulation pudique aux variations infinies, où se séparer relève du déchirement. Le public est happé par la puissance et la grâce qui émanent de Maxime Aubert et José Meireles, tout désignés porter cet héritage.

Le Titre n’a pas d’importance, créé par Thomas Lebrun pour 1998, apporte un contrepoint au duo masculin. De blanc vêtues, Montaine Chevalier et Anne-Emmanuelle Deroo, qui se partagent la reprise de Tú, solo, évoluent dans une atmosphère éthérée sur les musiques discrètes de Maxime Fabre, alternant chant, jazz et boucles répétitives. Main dans la main tout au long de la danse, elles restent à une distance pudique. Pas de rapports de force heurtés dans leur désir contradictoire de se rapprocher ou de s’émanciper. Les corps ne se quittent pas mais s’accordent l’un à l’autre une liberté, exprimée par l’extension des bras vers le haut, des torsions vers un ailleurs. On y lit tout à tour le lien intime de deux amantes, la douceur d’une relation mère fille, le jeu ludique d’amies d’enfance... Une sororité bienveillante habitée de douceur qui émeut comme nous a bouleversé Noce. Le titre n’a pas d’importance porte un regard d’aujourd’hui sur le féminin, en léger décalage avec les pièces précédentes. Pour autant, ces dernières ne nous semblent pas datées mais revivifiées.

Après la belle recréation d’Ulysse de Jean-Claude Gallotta par l’une de ses interprètes, Josette Baïz, avec les enfants de son école aixoise, la démarche de Thomas Lebrun montre que toutes les notations, vidéos et autres systèmes de captation du mouvement ne valent pas ce passage de témoin direct de danseur à danseur.

1998 s’inscrit dans la ligne de la 27e édition du festival Faits d’Hiver qui s’est tenu du 20 janvier au 15 février 2025, dans une vingtaine de théâtres en Île-de-France. Christophe Marin, son directeur souhaitait, par des créations, recréations, redécouvertes, hommages, revivifications historiques... mettre en lumière la mémoire de la danse : « l’hier contemporain ».

Le titre n'a pas d'importance. Phot. © Frédéric Iovino

Le titre n'a pas d'importance. Phot. © Frédéric Iovino

Dans le cadre du festival Faits divers, à Micadanse

Pouce ! S Solo de Bernard Glandier créé en 1994 et transmis à Thomas Lebrun en 1998 et légué en 2001. Transmis par Thomas Lebrun à José Meireles et Hugues Rondepierre, en 2024 pour 1998 S Chorégraphie Bernard Glandier S Interprètes (en alternance) José Meireles, Hugues Rondepierre S Musique Robert Devisée, Sara Gorby, Giancinto Scelsi S Durée 10 min

Tú, sólo tú S Solo de Bernard Glandier créé en 1997 et interprété par Montaine Chevalier, extrait de la pièce Faits et Gestes et légué en 2001 S Transmis par Montaine Chevalier à Anne-Emmanuelle Deroo, en 2024 pour 1998 S Chorégraphie Bernard Glandier S Interprètes (en alternance) Montaine Chevalier, Anne-Emmanuelle Deroo S Musique Claude-Henri Joubert, Jiacinto Scelsi S Durée 11 min

Noce S Duo de Christine Bastin créé en 1999 pour la pièce Be S Transmis par Christine Bastin et Pascal Allio à Maxime Aubert et José Meireles en 2024 pour 1998 S Chorégraphie Christine Bastin S Interprètes à la création Michel Abdoul, Pascal Allio S Interprètes Maxime Aubert, José Meireles S Musique Jeff Buckley S Durée 15 min

Le titre n’a pas d’importance (création 2024) S Chorégraphie Thomas Lebrun S Interprètes Montaine Chevalier, Anne-Emmanuelle Deroo S Musique Maxime Fabre, Dez Mona S Durée 20 min

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