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Arts-chipels.fr

La Disparition de Josef Mengele. Une traque qui interroge notre responsabilité.

La Disparition de Josef Mengele. Une traque qui interroge notre responsabilité.

La pièce, tirée du roman d’Olivier Guez, évoque la fuite, incessante mais victorieuse, de « l’Ange de la mort » d’Auschwitz, réfugié en Amérique latine, qui échappa jusqu’à sa mort aux recherches, trente années durant.

Deux chaises très ordinaires occupent la scène dont le fond apparaît comme un mur souvenir. On reconnaît les photos d’Adolf Eichmann et de Klaus Barbie, de portraits de membres de sa famille, au côté d’autres dont on imagine qu’ils furent les nazis qui protégèrent Mengele. Des gros titres de presse évoquent sa traque, une carte d’Amérique latine le lieu de son exil. Y figurent aussi quelques reproductions de peinture qui ont marqué l’histoire de Josef Mengele : le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich et le Chevalier, la Mort et le Diable d’Albrecht Dürer, car ce fils de la bourgeoise allemande aisée baignait dans la culture et la musique, qui l’escortera sa vie durant. Un raccourci qui raconte déjà à lui seul l’histoire.

Le comédien qui entre sur scène s’assied sur l’une des chaises. Il n’en bougera pas ou presque durant tout le spectacle. Et pourtant, si ce qu’il va nous raconter n’agite pas le personnage, vissé sur son siège, l’histoire qu’il narre d’une voix pressée et comme mue par une urgence, mais avec une neutralité presque agressive, nous concerne et nous émeut. Il est Josef Mengele. Il a quitté l’Europe pour Buenos Aires en 1949 et, caché sous une fausse identité, a recommencé sa vie. 

La grande histoire d’un bourreau sans remords

Ce que nous livre Olivier Guez, c’est le point de vue de Josef Mengele et son récit n’en est que plus glaçant. Car le « médecin » qui envoya à la chambre à gaz près de quatre cent mille juifs à Auschwitz, qui préleva parmi les prisonniers des jumeaux ou des personnes contrefaites pour mener sur elles toutes sortes d’expériences à fin d’études « génétiques » destinées à l’amélioration de la race « pure », aryenne, qui collectionna, comme on épingle des papillons, des yeux sur les murs, n’eut jamais le moindre repentir.

Bon petit soldat des directives du national-socialisme, homme « ordinaire » suivant avec application les ordres, « l’Ange de la mort » d’Auschwitz n’a été, selon ses affirmations, qu’un exécutant qui dit sans rire qu’envoyer les juifs à la chambre à gaz leur a épargné les longues souffrances du travail auquel ils auraient été soumis. On retrouve la ligne de défense d’Eichmann à Jérusalem en 1961 : il n’a fait que suivre les ordres et a œuvré, comme le ferait tout soldat en guerre, pour défendre sa patrie.

Phot. © Elwin

Phot. © Elwin

Chronique de la communauté allemande nazie en Amérique du Sud

Olivier Guez rapporte par le menu la force de la communauté nazie en Amérique du Sud et l’incroyable chaîne de solidarité qu’elle crée en Argentine, un pays alors largement enrichi par la guerre, avec le soutien du président au pouvoir, Juan Perón, et de son épouse Eva. Il montre leur impunité totale, leur vie dans l’opulence et au grand jour avec les capitaux sortis d’Allemagne, jusqu’à ce que l’opinion internationale s’émeuve et qu’ils soient recherchés, sans grand acharnement d’abord jusqu'à l'enlèvement spectaculaire de Ricardo Klement-Adolf Eichmann par le Mossad le 11 mai 1960. Alors commence la traque qui mènera Mengele au Paraguay puis en Argentine et au Brésil. Dernier des nazis retrouvés, Klaus Barbie, dit Altman, le « boucher de Lyon », identifié l’année où meurt Mengele, sera extradé par la Bolivie en 1983.

Phot. © Elwin

Phot. © Elwin

Une plongée familiale chez les Mengele

La pièce, à la suite du livre, montre que le soutien familial ne fait jamais défaut à Josef Mengele. Durant toute sa cavale, il correspond avec elle par le biais de divers messagers, même si, la traque s’intensifiant, la correspondance s’avère moins fluide. Les affaires sont les affaires et Josef épouse même sa belle-sœur devenue veuve pour éviter que l’entreprise familiale de machines agricoles ne tombe dans d’autres mains. Toujours l’argent est là pour arrondir les angles, pour empêcher les dénonciations.

Cependant, à la mort du père de Josef, les cartes se redistribuent. D’exil en exil, Josef vieillit, tombe malade, s’enfonce dans la paranoïa. Ses dernières années de criminel traqué, vivant dans un relatif dénuement au Brésil, seront aussi celles du procès qui ne sera pas public, mais privé. Le fils de son premier lit, dont il ne s’était jamais soucié mais dont il quête l’affection et une sorte de reconnaissance, accepte de le rencontrer dans l’espoir que sa confession démente les propos qui circulent le concernant. Le jugement de son fils sera le seul que Josef Mengele aura à essuyer.

Phot. © Elwin

Phot. © Elwin

Un texte porté sans pathos par Mikaël Chirinian

C’est avec un sentiment d’urgence et des mots qui se télescopent que le comédien aborde le texte. Témoignage d’un homme traqué, ou qui se sent tel bien avant que ne s’abatte sur lui la traque effective, confession d’un égocentrique qui ne considère les interventions des autres que comme une perte de temps et ne s’anime que lorsqu’il met en avant sa propre valeur, indifférence de celui qui détient la raison contre tous les autres et que n’effleure jamais le doute, détachement d’une créature sans états d’âme… Mikaël Chirinian adopte le rythme sec et froid du nazi omnipotent et tyrannique que Mengele restera toute sa vie. Les seuls moments de « lyrisme » du personnage se rapporteront à la glorification de la « Grande » Allemagne.

Judéo-Arménien, doublement marqué par le génocide, l’acteur ne s’épanche pas dans le pathos ou la sensiblerie. Il ne se glisse pas davantage dans la peau de Mengele dont il parle en disant « il ». Factuel et presque clinique, il nous montre la métamorphose d’un homme ordinaire en monstre et la manière dont le Mal absolu se pare de normalité.

À travers l’exemplarité du « cas » Mengele, l’auteur nous met en garde contre la disparition de la mémoire et contre l’oubli qui effacent les crimes du passé pour en produire de nouveaux. Un message dont l’actualité est aujourd’hui criante. Mais foin de grands criminels. Les plus dangereux, pour marcher dans les pas de Primo Levi, « ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter. » La messe est dite…

Phot. © Elwin

Phot. © Elwin

La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez (Grasset)
S Adaptation et jeu Mikaël Chirinian S Mise en scène Benoit Giros S Création sonore Isabelle Fuchs S Création costume et scénographie Sarah Leterrier S Création lumière Julien Ménard S Régie générale Éric Schoenzette S Création du spectacle le 29 juin 2024 au Théâtre du Chêne noir (Avignon) S Production Compagnie L’idée du Nord S Coproductions Matrioshka Productions et le Théâtre du Chêne Noir S Le spectacle bénéficie du soutien du dispositif Adami Déclencheur S La Compagnie L’idée du Nord est conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication, la Direction Régionale des Affaires Culturelles Centre Val de Loire et par La Région Centre Val de Loire S Le roman d’Olivier Guez a obtenu le Prix Renaudot en 2017 S Durée 1h20

La Pépinière Théâtre - 7 rue Louis Le Grand, 75002 Paris www.theatrelapepiniere.com
À partir du 24 janvier 2025 Les vendredis et samedis à 19h00, le dimanche à 15h00

Le 11 mars 2025 à L'Archipel, Granville

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