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Arts-chipels.fr

L’Exception et la règle. Le droit du plus fort.

L’Exception et la règle. Le droit du plus fort.

C'est une version chorale que propose Bernard Sobel avec les jeunes comédiens du Thélème Théâtre École, associés à des professionnels. Une relecture de Brecht qui nous rapproche du monde contemporain.

C'est sur un plateau nu que seuls habitent les acteurs que le metteur en scène situe cette fable qui pourrait commencer comme un conte oriental. Il était une fois un Coolie, un Guide et un Marchand et ils avaient partie liée. Le Marchand, pressé de devancer ses concurrents dans une négociation qu'il avait en tête, mettait la pression sur le Guide qu'il avait engagé et sur le Coolie, dernière roue du carrosse, esclave qui ne dit pas son nom. Il suffit de remplacer leurs noms par patron, contremaître et prolétaire pour transposer l'affaire dans un tout autre contexte, ce que fait Brecht en utilisant cette parabole.

L'arrière-fond de la révolte spartakiste et de la Première Guerre mondiale

Brecht a écrit ce texte en 1929-1930. Le souvenir de l'écrasement de la révolte spartakiste et de l'assassinat de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, en janvier 1919, sont encore frais, tout comme le sentiment d'horreur que Brecht retire du premier conflit mondial auquel il a participé en tant qu'infirmier. Depuis la seconde moitié des années 1920, il est acquis au marxisme et le thème de la lutte des classes est présent dans l'Exception et la règle qui met en scène un marchand âpre au gain, qui n'hésite pas à licencier son guide dès qu'il pense être en mesure d'atteindre sa destination sans lui et qui pousse, par ses exigences, le porteur, homme à tout faire, à l'accident de travail – ici un bras cassé – avant de le liquider purement et simplement.

Phot. © Hervé Bellamy

Phot. © Hervé Bellamy

Une mise en scène chorale et minimaliste

La volonté de détacher la fable de tout réalisme s’exprime dès le début du spectacle. Un groupe compact de jeunes comédiens s’installe sur scène pour livrer toute l’histoire. Ils assumeront collectivement la totalité du texte, l’un relayant l’autre, parfois tous ensemble, en indiquant au passage le nom du personnage qui intervient et en mentionnant didascalies et titrage des tableaux mentionnés dans le cours du texte. Nous voici transportés dans une narration prise en charge par le collectif, à la manière d’un chœur grec, introduits dans un récit épique où se raconte une histoire exemplaire.

Deux parties et deux traitements scéniques

Deux temporalités rythment la pièce. La première s’achève avec le meurtre du Coolie. La seconde s’ouvre sur le procès du Marchand, mis en accusation par la veuve du porteur. Le groupe s’efface pour laisser place aux personnages qui en seront les protagonistes : le juge et ses assesseurs, la veuve, le marchand, le guide, l’hôtelier, dernier témoin du départ du marchand et du coolie, le chef de la caravane qui suivait le marchand de près. Sur un espace aussi nu que précédemment, répartis aux quatre coins de la scène avec le juge au centre, ils vont débattre. Se dessinera, derrière le témoignage à charge du Guide, la menace qui pèse sur lui de se voir refuser tout travail ultérieur pour avoir pris le parti du Coolie. Là, les comédiens campent des personnages. Le Marchand prend les allures d’un homme excédé, qui a tout perdu et n’a réagi qu’à une agression et le Juge, plus accro à sa flasque d’alcool qu’à se préoccuper du droit, montre la collusion de la justice avec le pouvoir.

Phot. © Hervé Bellamy

Phot. © Hervé Bellamy

L’exception et la règle

Au-delà de la dénonciation d’une justice de classe, Brecht met en avant un argument que Bernard Sobel explore dans ses prolongements contemporains. Car, si le meurtre du Coolie par le Marchand ne fait aucun doute et que celui-ci le reconnaît, la notion de légitime défense constitue un questionnement central. Le Marchand avance qu'il s’est senti attaqué par le Coolie alors que celui-ci, dans un geste d’humanité, voulait simplement lui offrir de l’eau de sa gourde. Le Marchand a tiré, comme aujourd’hui les policiers qui allèguent une menace potentielle pour justifier les meurtres qu’ils commettent.

La règle, c’est la haine que doit normalement l’employé vis-à-vis de celui qui l’emploie. Que le Coolie y ait fait exception, parce qu’il est simplement humain, n’empêche pas que la situation soit soumise à la règle… Sous la simplicité apparente de la fable apparaît la complexité de la problématique dans laquelle le pouvoir et l’injustice font leur nid, et Bernard Sobel, dans l’épure qu’il nous livre, la rend lumineuse.

L’Exception et la règle de Bertolt Brecht
S Mise en scène de Bernard Sobel assisté de Sylvain Martin S Traduction Bernard Sobel et Jean Dufour S Dramaturgie Daniel Franco S Création lumière Laïs Foulc S Avec les comédiens du Thélème Théâtre École Balthazar Corvez-Jubin, Léone Feret, Anna Gallo, Léo Michel, Ursula Ravelomanantsoa, Valentine Regnier, Samy Taibi, Alma Teschner, Lucie Weller, Félix Winterhalter S Et Marc Berman (Le marchand), Julie Brochen (La femme), Boris Gawlik (L’hôtelier), Claude Guyonnet (Le juge), Matthieu Marie (Le guide), Sylvain Martin( Le chef de la deuxième caravane), Félix Winterhalter (L’Assesseur) S Production La Compagnie Sobel et le 100ecs S Durée 1h

Du 20 février au 2 mars 2025, du jeudi au samedi à 19h dimanche à 14h30
Théâtre de l’Épée de bois – Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris

https://epeedebois.com

En diptyque avec la Mort d’Empédocle de Friedrich Hölderlin, dans une mise en scène de Bernard Sobel, mais les deux spectacles peuvent se voir isolément. Voir notre article https://www.arts-chipels.fr/2024/02/la-mort-d-empedocle.une-grece-fantasmee-qui-interroge-notre-temps.html

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