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Arts-chipels.fr

Gros-Câlin. Histoires de doubles et de mues.

Phot. © Lionel Souci

Phot. © Lionel Souci

Gros-Câlin est le premier roman que Romain Gary publie sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Et il est bien question de changer de peau pour le romancier comme pour son personnage.

Un monde réduit à l’espace d’une chambre. Des bandes de papier kraft ou ce qui y ressemble ferment le fond de scène. Derrière, timidement, une silhouette se dessine avant de franchir à petits pas précautionneux la frontière qui l’amène sur la scène. Le jeune homme qui s’avance se nomme Michel Cousin – référence à une parenté que l'auteur établirait avec lui ? Il est statisticien et il vit seul. Seul ? non pas tout à fait. C’est qu’il a adopté ce qu’on appelle aujourd’hui un NAC, un nouvel animal de compagnie. Et pas des moindres : un python de deux mètres vingt de long, dans un appartement de deux pièces, quelque part dans Paris. 

Le premier roman d’Émile Ajar

Romain Gary a derrière lui déjà une longue carrière d’écrivain, et un prix Goncourt, quand il écrit Gros-Câlin. Il semble avoir quelques problèmes avec l’identité puisqu’il a déjà publié plusieurs romans sous des pseudonymes – Roman Kacew, Fosco Sinibaldi et, la même année que Gros-Câlin, Shatan Bogat –, bien que parler de lui n’ait pas constitué un obstacle à sa production romanesque, loin s’en faut. Mais Romain Gary est devenu trop célèbre et l’auteur doute que son succès soit dû seulement à la qualité de ses romans. Un écrivain mystérieux publiera donc, sous le pseudonyme d’Émile Ajar, quatre romans dont l’un, la Vie devant soi, lui vaudra un deuxième prix Goncourt, chose normalement impossible puisqu’un auteur ne peut l’obtenir, selon le règlement du Goncourt, qu’une fois. Émile Ajar apportera à Romain Gary une touche d’humanité et de poésie du quotidien en croquant des Monsieur-tout-le-monde ou presque.

Phot. © Lionel Souci

Phot. © Lionel Souci

Le roman d’un homme seul

Entrée en scène, donc, en 1974, de Michel Cousin, petit statisticien sans histoire qui partage sa vie entre le bureau – et son ascenseur dont chaque étage porte un nom de ville, de Bangkok à Singapore pour ce qui le concerne, attribué alphabétiquement – et le retour à la maison où personne ne le remarque, exception faite d’un voisin, un professeur qui porte le doux nom de Tsourès (« ennui » en yiddish) dont il ne parvient pas à se faire un ami.

Peut-on y voir, comme dans bien d’autres romans de l’auteur, un reflet de la situation dans laquelle se trouve Romain Gary ? Jean Seberg et lui se sont séparés au début des années 1970, sa prochaine compagne n’entrera dans sa vie qu’en 1978. Le python de Michel Cousin, c’est son recours contre la solitude. Il s’enroule autour de lui, lui tient chaud la nuit, est le témoin de ses pensées, le miroir dans lequel il se regarde.

Phot. © Lionel Souci

Phot. © Lionel Souci

Une adaptation en huis clos

Dans l’espace clos de sa chambre, parfois troué par la fenêtre d’où il regarde l’extérieur, ou par le passage dans le monde du dehors, de l’autre côté de la fenêtre, le comédien raconte. Les difficultés que pose la vie avec un python. Les réactions possibles de la rue, celles, horrifiées, de la femme de ménage. Il y a aussi l’alimentation du python, qui se nourrit d’animaux vivants, ce qui pose un grave problème d’autant que Cousin s’est habitué à Blondine, la souris blanche qu’il avait initialement achetée pour cet usage.

Un seul personnage trouve une matérialité dans le spectacle : un curé rescapé de guerre auprès duquel Cousin cherche conseil pour traiter ses cas de conscience. Mais las ! la mise en scène transforme le prêtre, projeté sur le mur, en un autre double, filmé, du narrateur. Encore une fois le dédoublement opère. Il dit l’étrangeté du personnage et les multiples projections de lui que constitueront ses relations avec les animaux comme avec les humains.

Phot. © Lionel Souci

Phot. © Lionel Souci

Une solitude peuplée de rêves et de fantasmes

Un personnage occupe dans la vie de Cousin une place à part. C’est l’une de ses collègues de bureau, Melle Dreyfus, autour de qui il construit tout un monde imaginaire à partir de rien. Un bonjour-bonsoir qui la transforme en femme de sa vie, capable, peut-être, d’accepter son python – soit dit en passant métaphore de la sexualité. Commencé sur le ton le plus banal, le plus quotidien, le récit de Cousin, porté par Étienne Durot, s’enfièvre et enfle pour porter le personnage jusqu’au délire. Parce que vient un moment où l’on ne distingue plus qui parle, du python ou de son propriétaire, et lequel des deux se rend au bureau.

Traversé par des notations qui font sourire en même temps qu’elles portent en elles le tragique d’un monde confronté à la solitude et à une déshumanisation croissante, c’est un texte d’écorché vif que livre, toute sensibilité dehors, avec une ironie mâtinée de compassion, Romain Gary, qui trouve en Étienne Durot, habité par son personnage, un double de plus. 

Gros -Câlin d’après le roman de Romain Gary (Émile Ajar)
S Adaptation et mise en scène Julie Roux S Avec Étienne Durot S Création lumière Thomas Rizzotti S Scénographie Aurélie Lemaignen S Création vidéo Clément Chebli S Création musique The Mothers of Love S Durée 1h05

Du 23 janvier au 16 février 2025 à 19h (voir dates sur
https://www.theatreduchariot.fr/spectacles/gros-câlin)
Théâtre du Chariot - 77 rue de Montreuil, 75011 Paris
01 48 05 52 44 lechariot.contact@gmail.com

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