Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Così fan tutti. Ou comment le changement d’une simple petite lettre peut être lourd de sens.

Phot. © Pascal Colette

Phot. © Pascal Colette

Cette réinterprétation bienvenue, malicieuse et pleine d’impertinence de l’opéra de Mozart, qui intègre une part de musique contemporaine, rend paradoxalement à l’opéra d’origine toute sa saveur et son contenu subversif.

Così fan tutte voit le jour au moment où, en France, le peuple s’empare de la Bastille et le contraste est grand entre le souffle de l’élan révolutionnaire, de l’appel à la liberté, et cette comédie, commandée pour être légère, au parfum de libertinage quelque peu entêtant. C’est que Mozart a grand besoin d’argent et que la commande de l’empereur du Saint-Empire romain germanique ne se refuse pas. Joseph II a d’ailleurs choisi lui-même le thème et Mozart, toujours indiscipliné, ne manquera pas d’y glisser quelques facéties de sa façon. L’adaptation de Maël Bailly, d’une certaine manière, s’inscrit dans cette démarche de jeu avec la contrainte qui installe la pièce là où on ne l’attend pas.

Elles font toutes comme ça

Le livret d’origine, n’était la musique de Mozart et ses airs magnifiques, a en effet de quoi faire frémir aujourd’hui  : un vieux « philosophe » libertin, aidé par une servante plus qu’alerte et manipulatrice, parie avec deux jeunes gens, qui vantent la fidélité de leurs promises, que celle-ci peut être mise en défaut. Plusieurs stratagèmes sont mis en place pour vaincre les réticences des deux jeunes filles, courtisées par leurs fiancés costumés en faux Turcs, d’abord de fiancé à fiancée puis en chassé-croisé, au terme desquels l’inconstance des jeunes filles sera prouvée – elles font toutes ainsi – au grand dam des jeunes gens. Une fin un peu amère et grinçante, laissée volontairement dans le vague sur qui épouse qui, viendra clore ce ballet des infidélités.

Phot. © Pascal Colette

Phot. © Pascal Colette

Une seule lettre changée et c’est le monde qui change

Aujourd’hui, la vision machiste du livret que propose l’opéra – quoique Mozart et Da Ponte l’aient tempérée au travers du personnage de Despina –, ne passe plus. Déjà en 2024, la mise en scène de Dmitri Tcherniakov au Châtelet, qui reprenait in extenso l’opéra de Mozart, transformait les jeunes filles à séduire en femmes responsables et les faisait entrer dans un jeu échangiste.

La version proposée par les Miroirs étendus va plus loin. Sous les efforts conjugués de Maël Bailly et d’Antonio Cuenca Ruiz, Così fan tutte devient Così fan tutti. Parce qu’à l’époque de Mozart, être infidèle est normal pour un homme et que, bien sûr, l’inconstance se doit d’être l’apanage des femmes, ce sont elles (tutte) qui portent la responsabilité. Mais lorsque tutte devient tutti, les femmes ne sont plus seules en cause, on passe au « tous » générique, hommes et femmes confondus. Les deux fiancées, Fiordiligi et Dorabella, ne seront plus des victimes désignées mais parties prenantes d’un jeu conscient qui ne passe plus par le déguisement de leurs fiancés. Une seule petite lettre pour changer, à défaut du monde, le sens de la pièce.

Un opéra toiletté à la sauce contemporaine

C’est, bien sûr, en habits contemporains que les personnages se présentent sur scène. Despina passe l’aspirateur dans une tenue chic, qui laisse supposer qu’elle joue un autre rôle, les « petits copains » ne sont pas au mieux de leur prestige en slip et maillot de corps et, pour tout décor, on n’a que le plateau nu. Quant au « poison » que les jeunes gens sont censés absorber pour faire tomber les dernières barrières, c’est un peu d’apéro versé dans un flacon plastique d’eau de javel.

Le cocasse est de mise et la musique en prend sa part. Car la partie orchestrale joue, elle aussi, avec la musique de Mozart. Si quatre des instruments de l’opéra d’origine – le violon, le violoncelle, la clarinette et la flûte – figurent dans l’orchestre, c’est au piano, à la guitare électrique, aux ondes Martenot, au saxophone et aux synthétiseurs qu’ils sont accompagnés pour accentuer le caractère farcesque de ce pari imbécile qui prend finalement au piège les instigateurs de la farce. Maël Bailly, tout en respectant les lignes vocales, introduit une partition musicale qui ajoute une note de délire et de dérision. Elle vient renforcer la distance prise avec le livret d’origine, remanié par Antonio Cuenca Ruiz pour lui donner une silhouette plus contemporaine.

Phot. © Pascal Colette

Phot. © Pascal Colette

Une adaptation réussie

Le tour de force réside dans un remaniement conséquent sans que jamais pour autant on n’ait un sentiment de « trahison » de Mozart. Des trois heures de l’opéra d’origine, Così fan tutti ne conserve que deux heures de spectacle. Ramenant à la portion congrue les récitatifs, le spectacle met en valeur les arias qui émaillent l'opéra et leur virtuosité vocale. C’est merveille d’entendre les voix se chevaucher et se répondre dans cet opéra où duos, trios et quatuors déploient tout le génie musical de Mozart. Les interprètes y sont pour beaucoup. Outre que les voix se marient admirablement, elles ne prennent pas le pas l’une sur l’autre et s’élèvent avec la même intensité, créant un bel ensemble. Quant à Fiordiligi, la plus rétive à céder, elle trouve de beaux accents pour marquer son désespoir de se trouver écartelée entre sa fidélité et l’amour qu’elle ressent pour Ferrando, le petit ami de sa sœur.

Le théâtre y trouve son compte, ce qui ne gâte rien. Les chanteurs ajoutent un grain de sel très savoureux dans la distance mise à jouer leurs personnages. Les sous-entendus qui émaillent le livret apparaissent au grand jour. Les garçons, outre leur ridicule de machos sûrs de leur succès, qui se retrouvent, d’une certaine manière, pris au piège par où ils croyaient prendre devant la décision des filles de changer de partenaire, ont la déconfiture cocasse des mâles qui se retrouvent cul nu, au sens propre comme au figuré. Et la valse finale, aussi drôle que triomphante, de Despina et Alfonso forme un contraste comique avec l'attitude des mariés presque malgré eux, aussi désarçonnés que consternés, qui, de plus s'intervertissent en permanence pour laisser persister l’ambiguïté du qui épouse qui. Elle apporte une dernière note facétieuse à une pièce déjà irrévérencieuse. Et même si quelques irruptions de musique contemporaine parfois heurtent l’oreille, c’est peu de chose en regard de l’ensemble du spectacle qui fait résonner, peut-être plus que l’opéra d’origine, l’essence même de la musique de Mozart et sa théâtralité.

Così fan tutti
S Mise en scène et adaptation du livret Antonio Cuenca Ruiz S Musique Maël Bailly d'après Wolfgang Amadeus Mozart S Direction musicale Fiona Monbet S Direction artistique de Miroirs Étendus Romain Louveau en alternance avec Léo Margue S Scénographie et costumes Bastien Poncelet S Eclairagiste Philippe Gladieux S Assistanat à la mise en scène Maud Morillon S Chargée de production Flora Laborde S Photographies Pierre Martin Oriol (toile et retouches) & Antonio Cuenca Ruiz (ouverture) S Régie lumière Valentin Bodier S Régie générale Corentin Michat S Régie plateau et régie d'orchestre Olivier Bruggeman S Avec Margaux Poguet (Fiordiligi), Mathilde Ortscheidt (Dorabella), Marie Soubestre (Despina), Sahy Ratia (Ferrando), Romain Dayez (Guglielmo), Ronan Nédélec (Don Alfonso) S Avec l'Ensemble Miroirs Étendus Violon Hélène Maréchaux, Violoncelle Marwane Champ en alternance avec Amélie Potier, Saxophone Simona Castria, Clarinette Antoine Cambruzzi, Flûtes Sarah Van der Vlist, Percussions Alice Ricochon, Ondes martenot & synthétiseurs Cécile Lartigau, Guitares Jérémy Péret, Piano & synthétiseurs Romain Louveau S Création à l’Espace Malraux à Chambéry les 21 & 22 janvier 2025 S Production Miroirs Étendus - Caisse des Dépôts, mécène principal de Miroirs Étendus S Coproduction Atelier Lyrique de Tourcoing, Opéra de Lille, Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, Théâtre du Beauvaisis / scène nationale S Soutiens et accueils en résidence MC2 Grenoble, Opéra de Rennes, La Barcarolle - le Moulin à Café, Malraux scène nationale Chambéry Savoie, la Caisse des Dépôts, SPEDIDAM, Adami, CNM, DRAC Hauts-de-France, Région Hauts-de-France S Remerciements David Herrezuelo, Alexis Allemand, Paul Marques Duarte S Durée 2h S Spectacle en italien surtitré en français

Du 30 janvier au 9 février 2025 à 20h
Athénée – Louis Jouvet – 2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet, 75009 Paris

www.athenee-theatre.com

TOURNÉE
22 mai 2025 I
Théâtre Impérial de Compiègne
5-6 juin 2025 I Atelier Lyrique de Tourcoing

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article