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Arts-chipels.fr

Gundog. Une immersion en milieu rural pour première mise en scène.

Phot. © Cie Cagnard

Phot. © Cie Cagnard

Athéna Amara choisit, pour faire ses premières armes, un thème qui lui tient à cœur : le milieu rural. Le texte de Simon Longman, qu’elle met en scène, explore une réalité qui jure avec les fantasmes de retour au « naturel » des citadins qui rêvent la campagne.

C’est dans une zone rurale que Simon Longman situe le lieu, mais aussi le thème de la pièce. Installée par l’auteur dans la campagne anglaise, elle pourrait trouver place, de façon analogue, en Ardèche ou en Lozère, par exemple. L’intrigue, si tant est que le terme soit adapté – la pièce s’attache davantage à une manière d’être au monde qu’à des « péripéties » dramatiques, même si celles-ci existent –, s’intéresse à la vie quotidienne d’une famille d’éleveurs, cramponnés à leur terre ancestrale et en même temps pris par un désir de fuite, qui se voient confrontés à la disparition programmée de leur monde. « J’ignorais vers quoi l’histoire allait mener, déclare, de manière éclairante, Simon Longman, mais je savais que je voulais écrire sur des personnages isolés, perdus, de la campagne. »

La campagne, l’auteur la connaît, tout comme Athéna Amara. Élevé dans les West Midlands, il a grandi en milieu rural avant de postuler au Young Writers’ Programme du Royal Court. De ses souvenirs, il extrait des bribes, des images, des impressions qu’il articule pour les mettre en forme et créer une trame dramatique. Son point de départ, c’est le divorce entre la ville et la campagne, lorsque des citadins pleins de morgue et droits dans leurs bottes se transforment en donneurs de leçons au nom de la préservation de la nature face aux « défigurations » que lui font subir les ruraux. Face à eux, le choix de l’auteur est de prendre le contrepied de cette vision idyllique en plongeant sa plume dans la réalité « vraie ».

Une histoire de presque rien

Simon Longman met ici en scène une famille d’éleveurs. Le père est veuf et n’assume plus la conduite des affaires familiales. Il a démissionné et ses deux filles, Anna et Becky, ont décidé de reprendre en main la ferme dont la situation est loin d’être florissante. Pour elles, le monde extérieur n’est qu’hostilité. Aussi, lorsqu’un sans-abri, Gus, débarque, il se retrouve au bout d’un canon de fusil brandi par une des sœurs. Les choses s’arrangent et, contre le gîte et le couvert, il s’installe à la ferme pour remplacer Ben, le fils parti tenter sa chance à la ville. Mais la ville rejette celui-ci et il se voit contraint de revenir.

Parallèlement, à la ferme, la situation se dégrade. Le grand-père perd la tête, les catastrophes s’accumulent – agnelages problématiques, brebis malades, épidémies et sacrifice du troupeau, violents orages qui détruisent les plantations – et les difficultés financières deviennent inextricables. Le marasme engendre une situation de non-retour. On citera, pour mémoire, les suicides d’agriculteurs qui figurent dans les premiers rangs en nombre de suicides. En France, un agriculteur se suicide tous les deux jours…

Si le cours de la pièce suit un parcours chronologique avec la rencontre du SDF, le retour du fils « prodigue » et le long enfoncement de la famille dans le marasme, la temporalité est brisée par l’irruption de séquences qui sont comme des échappées du présent dans le fantasme ou dans le flash-back. Ce parcours chaotique reflète le point de départ de l’œuvre, cette série d’impressions accumulées qui, ensemble, font sens.

Des laissés-pour-compte dans la marche du temps

Anna, plus que sa sœur, est l’héritière de ce monde en voie de disparition. Elle a en permanence le regard tourné vers le passé, vers la bataille durement gagnée des générations qui l’ont précédée et dont elle cherche à préserver l’héritage, même si le prix à payer s’avère lourd. Sans cesse elle y revient, ce qui la condamne à s'accrocher à un bateau en plein naufrage et l’entraîne irrémédiablement mais en pleine conscience, vers sa perte et la destruction du noyau autour duquel se rassemblait la famille.

Ce que la pièce décrit, c’est une société à deux vitesses qui sacrifie sur l’autel du modernisme et de la rentabilité ceux qui n’ont pas pris le train. Ces déshérités, qu’on traite comme des chiens – d’où le titre de Gundog, « chien-fusil », qui les caractérise –, elle les encense dans le temps même où elle les abandonne. Les citadins jouent à la fermière et au jardinier cultivant son potager dans un décor de rêve tandis que les paysans authentiques se trouvent chaque jour plus marginalisés et traités avec une condescendance non exempte de mépris. C’est ce rejet qu’exprimera avec beaucoup de violence le frère revenu vivre à la campagne.

Gus, le sans-logis, d’une autre manière, dit la même chose. Citadin, il a tourné le dos aux principes de sa classe pour tenter de mener sa vie selon d’autres valeurs, dans lesquelles l’argent cesse de jouer un rôle. À travers ses personnages, l’auteur dénonce le gouffre qui s’élargit entre le monde citadin et le monde rural.

Phot. © Cie Cagnard

Phot. © Cie Cagnard

De l’usage de la vacuité et du minimalisme

Le style de Simon Longman est à l’unisson de ce qu’il veut montrer. Face aux trépidations de la vie citadine, il installe, dans un aller-retour entre cuisine de ferme, étable et champ, un continuum sans ponctuation, à l’image du cours uniforme des jours qui illustre le rythme du travail paysan, toujours le même, installé dans un temps où passé, présent et avenir se ressemblent.

Il s’attache, pour marquer les contrastes entre citadins et ruraux, à doter ces derniers d’un langage propre. Anna, la sœur aînée, absorbée par des tâches qui ne laissent pas place aux états d’âme, est quasiment mutique. Elle fait injure à la syntaxe qui régit habituellement les phrases. Lorsqu’elle s’exprime, c’est en phrases courtes, utilitaires, où ont été supprimés tous les mots dont la présence est implicite et qui ne sont pas nécessaires à la compréhension. Elle se place dans le faire et non dans le dire. Seul demeure le strict nécessaire. Le reste se comprend sans parler…

Une scénographie simple mais soignée et astucieuse

Le décor se résume à quelques éléments. De la paille est répandue au sol. La lumière qui, par ses modifications, évoque la temporalité apporte à la paille sur le sol d’infinies nuances qui en magnifient la matière. Des bottes de paille, installées sur la scène et réagencées au fil du spectacle, ajoutent une note rurale supplémentaire. Elles diront le changement de lieu entre l’extérieur et l’intérieur de l’étable tandis que des masses laineuses et une figuration approximative d’agneau nous introduiront, sans volonté de réalisme, dans la bergerie. Et lorsque les personnages se transporteront dans ce qui fait le cœur de la maison, la cuisine, avec sa petite table ordinaire et ses chaises tout aussi banales, la paille sera repoussée dans un coin pour faire sol net. Le dénuement est à l’ordre du jour et il est perceptible dans le décor.

Nonobstant la « fraîcheur » professionnelle des intervenants, le spectacle révèle une maturité de la vision et un soin particulier apporté aux détails. Les changements à vue sont impeccablement réglés, les comédiens, malgré leur jeunesse, bien en place. La comédienne qui joue Anna, la sœur aînée taiseuse qui porte tout l’héritage de la famille sur ses épaules, est toute de tension rentrée et de sobriété minimaliste dans son expression du personnage. Un regret cependant : l’actrice qui joue Becky, la plus jeune des deux sœurs, volubile et exubérante, en fait un peu trop dans l’entrain et la naïveté et ce sans modulations. On perçoit de ce fait malaisément son attitude pour ce qu'elle est : artificielle et de façade, une forme de défense contre un réel insupportable.

Car le texte est tout de violences rentrées qui explosent par moments, de grondements internes qui ne s’expriment que par à-coups dans un décor sonore qui tourne à l’orage. Les personnages sont sous pression permanente, mais intérieurement, et jouer cela exige un certain métier que le temps permet d'acquérir. Mais dans l'ensemble, la mise en accusation du système dressée par l'auteur n’en est pas moins claire et le galop d’essai est convaincant.

Gundog de Simon Longman Traduction Gisèle Joly
S Mise en scène Athéna Amara S Avec Aurélien Baré, Antoine Bugault, Camille Dordoigne, Joseph Lemarignier & Charlotte Leonhardt S Création musicale Simon Averous S Création lumière Colin Veyne S Scénographie Shanone David Esteves S Création costumes Eloïse Bloch S Production Compagnie Vol Plané S Coproduction Théâtre Joliette - Scène conventionnée à Marseille, Pôle arts de la scène Friche belle de mai, Réseaux traverses, ERACM S Soutiens Radio Grenouille, Montévidéo, Université Côte d’Azur S Le texte Gundog a été traduit avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtrale S Durée 1h45

Du vendredi 17 janvier au mercredi 22 janvier
Théâtre Joliette - 2 place Henri Verneuil, 13002 Marseille
TOURNÉE
7 > 22 jan. 2025 - Théâtre Joliette
24 jan. 2025 - Théâtre municipal de Vitrolles
01 fév. 2025 - Centre Dramatique des Villages
06 Fév. 2025 - Théâtre du Briançonnais

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