Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Article 353 du Code pénal. Un polar breton.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Et si la victime était le coupable ? Le roman de Tanguy Viel dissèque les circonstances qui ont poussé Martial Kermeur à tuer. Incarné par Vincent Garanger, l’homme s’explique face au juge d’instruction, ici Emmanuel Noblet, qui signe aussi l’adaptation et la mise en scène.

Le juge et l’assassin

Pourquoi Martial Kermeur a-t-il tué Antoine Lazenec ? Pris sur le fait – on entend, hors-champ, le corps de la victime tomber à la mer, lors d’une partie de pêche –, il ne nie pas, ne cherche pas à se justifier. Devant le juge qui l’écoute en silence, attentif, et le relance de temps à autre, il se contente de dérouler son histoire. La plume bien trempée de Tanguy Viel fait le reste. D’une écriture incisive et rythmée, l’auteur breton évoque la vie de ce cinquantenaire discret.

Vincent Garanger, veste de cuir et tenue modeste, fait profil bas devant l’élégante stature du juge (Emmanuel Noblet), mais, une fois lancé, il s’embarque, imperturbable, dans un récit circonstancié. Il cherche ses mots, hésitant. Le romancier les lui donne, ils sont sans apprêt mais bien pesés et traduisent un regard lucide sur les choses et les gens. Sans ajouter d’effets de style au texte, le comédien devient ce monsieur tout le monde sur lequel les malheurs se sont accumulés. Réduit au chômage à la suite de la fermeture de l’arsenal de Brest, il vivote comme gardien d’un domaine municipal. Divorcé, père d’un fils qui refuse de s’en laisser compter, il se laissera séduire par les promesses d’un promoteur véreux.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

L’appât du gain

En trois traits de plume, l’escroc est campé : « cow-boy » envoyé par « la providence », avec sa grosse voiture, ses souliers pointus et sa chemise à col ouvert, sans cravate. Antoine Lazenec réussit à tromper son monde en vendant du rêve avec un projet immobilier mirobolant : la construction d’une station balnéaire dans la rade de Brest. De quoi séduire les habitants dans ce coin du Finistère, marqué, en ces années 1980, par la désindustrialisation et abandonné des pouvoirs publics. « On était comme aimantés par le futur », dit Kermeur qui, lui, y laissera sa prime de licenciement et l‘estime de son fils. Un soir de beuverie et de vent, le maire, qui a cédé le château, domaine municipal, à « ce fumier » et engagé de l’argent public dans l’affaire, met fin à ses jours. Pour Kermeur, la coupe est pleine et il décide d’« ostraciser » le scélérat.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Une tempête sous un crâne

« C’est la mer qui me l’a demandé », dit l’homme à propos de son acte tragique. Dans Article 353 du Code pénal, l’océan est omniprésent. Ses tempêtes, ses eaux troubles, ses rochers sombres battus par les vagues reflètent les états d’âme du personnage. Les ambiances marines apportent un éclat de poésie aux longues phrases sinueuses de ce personnage d’habitude taiseux. La rade de Brest cet « océan moins l’océan » apparaît brièvement sur l’écran en fond de scène, derrière un décor qui évoque « un non chantier » ou les ruines du château qui a été rasé pour construire « Les Grands Sables ».

Vincent Garanger donne chair à un flot déchaîné de paroles alternant avec la froideur d’un compte rendu judiciaire. Il fait entendre la frustration des laissés pour compte de la société, leur colère rentrée, prête à exploser. La confession chargée de douleur de cette personne, coupable d’avoir cru aux promesses mensongères d’un spéculateur, illustre la fracture entre une élite déconnectée où l’argent et l’arrogance font la loi et les gens de la France périphérique. Le juge saura-t-il l’entendre ? Selon l’article 353 du code de procédure pénale : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus [...] La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction ? ». Pour sa part, le public a tranché. Ce spectacle interroge la notion de culpabilité et incite à découvrir les romans de Tanguy Viel.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Article 353 du Code pénal. Roman de Tanguy Viel (éd. de Minuit, 2017)
S Adaptation et mise en scène Emmanuel Noblet S Avec Vincent Garanger (Martial Kermeur) et Emmanuel Noblet (Le juge) S Scénographie Alain Lagarde S Création lumière Vyara Stefanova S Création sonore Sébastien Trouvé S Vidéo Pierre Martin Oriol S Costumes Noé Quilichini S Administration et diffusion Les Aventurier.e.s Philippe Chamaux S Production Cie Les Choses de la vie S Coproduction Cie À l’envi, Théâtre Durance – Scène nationale de Château-Arnoux-Saint- Auban, Théâtre du Rond-Point, Théâtre Montansier (Versailles), L’Éclat (Pont-Audemer), L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège, Théâtre des Célestins (Lyon), La C.R.E.A Coopérative de Résidence pour les Écritures, les Auteurs et les Autrices (Mont-Saint-Michel, Normandie) S Durée 1h40

Du 21 janvier au 15 février 2025 et du 3 au14 juin 2025 
Théâtre du Rond-Point,
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris 8e

TOURNÉE
20 et 21 février 2025 Théâtre de l’Union / Limoges (87)
25 février – 1er mars 2025 Théâtre de l'Étincelle / Rouen (76)
21 mars 2025 Les scènes du Golfe / Vannes (56)
27 mars – 17 avril2025 Comédie itinérante - La Comédie de Valence (26)
29 avril 2025 L’Estive / Foix (09)
23 mai 2025 Théâtre de la Madeleine / Troyes (10)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article