20 Janvier 2025
Interprétée par Virginie Colemyn, la pièce de Céline Delbecq décolle et porte un regard sans pathos sur une mère pas comme les autres.
Carine Bielen en a gros sur le cœur : on va lui enlever Logan, son bébé. Il ne parle pas, il crie la nuit, il y a eu plaintes des voisins, mais il est son seul bien en ce bas monde. Aînée d’une famille nombreuse, elle a été arrachée à ses parents et placée en foyer à dix ans. Ce traumatisme affectif a fait d’elle une « handicapée », selon les normes sociales. Elle ne veut pas de ça pour son fils et revendique bec et ongles le droit d’élever son « petit moineau ». Elle s’applique à suivre les directive des « dames des centres » même si elle a du mal avec leurs « tableaux »: « Moi je fais comme je crois que c’est le mieux / c’est mon petit / après tout c’est moi qui sais ». Elle vient plaider sa cause devant des juges fictifs, le public.
Une langue musicale
Céline Delbecq, autrice belge a été lauréate des Journées de Lyon des Autrices et Auteurs de Théâtre (JLAAT), un prix qui, depuis trente ans, fait découvrir et éditer de nombreux dramaturges. Pauline Hercule, membre du comité de lecture du JLAAT, a mis en voix À cheval sur le dos des oiseaux, lors de la proclamation des prix et, convaincue par le potentiel scénique du texte, a confié son incarnation à Virginie Colemyn.
La pièce se présente comme une partition musicale : caractères typographiques et didascalies indiquent le rythme des phrases, les arrêts qui ponctuent le flot de paroles, les moindres gestes, déplacements, intonations de l’interprète. La comédienne applique à la lettre ces consignes de jeu. Sa diction emprunte au phrasé enfantin, avec petits rires, brefs emportements joyeux, apartés sarcastiques. Un parler populaire pauvre en mots mais expressif, à fleur d’émotion. « C’est curieux quand elle s’exprime, nous parvient un sentiment étrange : on dirait qu’elle n’a jamais pu tout à fait quitter ses dix ans... », précise l’autrice. Sous le verbiage naïf de cette femme de quarante-six ans résonne, ironiquement, la langue administrative des services sociaux qui l’ont prise en charge dès l’enfance et, après une batterie de tests de Ql, l’ont mise sous tutelle.
Une performance physique
Virginie Colemyn, emmitouflée dans un anorak informe, avance vers les micros qui se dressent sur le plateau, sous le regard sévère d’une musicienne (Pauline Hercule) postée à son pupitre. Elle prend la parole pour ne plus la lâcher, avec sa drôle de façon de raconter sa vie sans joie, un père indigent et lointain, un frère suicidé, la misère affective au foyer d’accueil, l’adolescence escamotée, les fugitives amours de bistrot et l’alcool pour arroser ses peines. Virginie Colemyn est Carine Bielen. À cœur et à corps ouvert, elle met à nu son personnage, forçant juste un peu le trait et, avec une dose de dérision, prend le public à témoin pour juger ceux qui la condamnent et lui enlèvent la garde de Logan. Tel un greffier, Pauline Hercule émet de petits cliquetis au clavier, comme pour enregistrer sa déposition. En athlète de la langue, la comédienne qui a été à bonne école chez Jacques Lecoq et Ariane Mnouchkine, excelle à faire passer toutes les nuances de son personnage, y compris en parodiant ceux qui ont poussé Carine Bielen dans le cul de sac où elle se trouve aujourd’hui. Mettant ainsi le public de son côté, elle rend son humanité à « un cas social ».
Une mise en scène rigoureuse
Sur le plateau dépouillé, où pousseront des colonnades de papier pour structurer l’espace, la comédienne se découpe en contrejour sur un écran blanc tendu en fond de scène. De petites cocottes en papier coloré défilent, une fontaine d’eau tombe des cintres. Hormis ces quelques respirations ludiques, l’attention du public se porte sur le texte et les moindres nuances que l’actrice lui apporte, dans une adresse directe au micro. La musique rythme discrètement le flot verbal et laisse libre place à l’émotion de chacun. À cheval sur le dos des oiseaux donne la parole à « ceux qui ne sont rien » en renversant le regard que la société porte sur eux. Il existe des milliers de Carine Bielen, pris dans les filets du contrôle social. Il faut les écouter et les entendre. Cette création de la compagnie lyonnaise Germ36 inaugure un cycle autour de la famille et de personnages féminins. Suivra un spectacle autofictionnel, Collatéral –Le projet Ma sœur.
À cheval sur le dos des oiseaux de Céline Delbecq
S Mise en scène Pauline Hercule et Pierre Germain S Avec Virginie Colemyn S Scénographie François Dodet S Lumière Lucas Collet S Composition musicale S Mathieu Ogier et Pauline Hercule S Costumes Agathe Trotignon S Conception des origamis Angélique Cormier S Production Compagnie Germ36 et Théâtre National Populaire S Coproduction Théâtre de Roanne (en cours) S Le texte, publié aux Éditions Lansman, est lauréat des Journées de Lyon des Autrices et Auteurs de Théâtre 2021 et du Prix Espiègle de théâtre en langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles S Durée 1h15
Création au TNP de Lyon Villeurbanne
Du 10 au 23 janvier 2025, mar.-sam. 20h, dim. 15h