14 Juin 2024
Valérie de Dietrich et Vanessa Larré, dans leur adaptation et leur mise en scène, transmettent avec une sobriété très bienvenue l’impact éminemment politique du texte de Virginie Despentes qui donne du féminisme une vision post #Metoo totalement déculpabilisée et libérée.
Un plateau nu sur lequel trois femmes ont pris place, accompagnées par un guitariste. Leur allure indique la diversité du genre : jupe pour l’une, jeans fendus pour une autre, coupe à la garçonne pour la troisième. En jogging ou sexy. Trois figures pour une même femme, celle qui raconte son histoire à la première personne, qui écrit « de chez les moches pour les moches ». D’emblée elle donne le ton. Elle parle d’elle en tant que femme qui règle, d’une certaine manière, son compte à une ou des visions de la femme qu’elle ne partage pas. « Franchement je suis bien contente pour toutes celles à qui les choses telles qu’elles sont conviennent. C’est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là ». Elle le dit sans colère, mais avec une clairvoyance qui témoigne d'un certain état de fait de la condition féminine, post-révolution sexuelle et post #Metoo. Un portrait au scalpel qu’elle taille dans le vif des « revendications » féministes, de leurs incohérences parfois et de leurs contradictions.
Une femme une et multiple à la fois
Se mettant en scène, Virginie Despentes trace le portrait d’une femme née en 1969 et grandie dans une société où les femmes, libérées, du moins en apparence, ont acquis un droit autonome à l’existence. Cela ne l’empêche pas, à dix-sept ans, d’être, avec une amie, violée par trois hommes. Un viol qui l’amène, d’une certaine manière, à se construire « contre », pour sauvegarder sa « virilité ». La prostitution choisie est l’une des réponses qu’elle apporte à ce mépris de la chair féminine véhiculée par une société où une femme est mère porteuse ou putain, asservie. Elle retourne sa veste de femme « blanche idéale » dans un monde régi par les concepts de classes, de « races » et de genres édictés par des hommes, où les femmes n’ont pour rôle que celui de la soumission passive. Au-delà du néo-féminisme trash qu’on lui attribue, Virginie Despentes avance sur un terrain contemporain où de nouvelles voix, pas seulement féminines, s’élèvent pour réclamer un monde plus égalitaire où ne dominerait plus la loi du plus fort, où la tolérance deviendrait un véritable droit de cité.
Le viol, une blessure du dehors, un chancre du dedans
D’une comédienne à l’autre, sur le rythme lancinant d’une musique minimaliste et répétitive, toutes trois explorent les conséquences du viol initial, qui conditionne l'évolution à venir d’une vie entière. Elles exposent la difficulté de porter plainte, tant du côté des autorités que par la charge que fait peser toute action qui désigne du doigt à l'opinion publique comme à son entourage la femme violée, « salie ». Elles dénoncent l’omerta qui couvre le mot « viol » et le remplace par un autre, ce qui consiste à l’effacer. Elles évoquent ces femmes qui se battent et réagissent, prennent le risque de faire du non-dit un dit, mais qui portent toute leur vie dans leur chair le souvenir du viol comme un traumatisme ineffaçable. Une culpabilité de n’avoir pas su ou pu résister au violeur, comme une laideur du dedans, une lâcheté.
Revanche des femmes ou refondation ?
La force du texte de Virginie Despentes réside dans l’absolue lucidité avec laquelle elle aborde la question du viol, et derrière elle celle de la prostitution, de la pornographie et du plaisir. Parce qu’avec le désapprentissage de la docilité, la conquête de la liberté n’est plus pour elle affaire de revanche, qui emprunterait pour les retourner et les combattre les arguments de l’ennemi. Elle est dans la prise en compte de son propre vouloir, débarrassé de son passé, rendu à son désir, non pas un pouvoir inversé où les femmes, d’une certaine manière, adopteraient la comportement de ceux qui le leur ont fait subir, mais dans la contestation de la relation même de pouvoir, qu’il s’agisse de sexualité ou de classe sociale.
La force du spectacle est, à travers ces trois femmes et leur compagnon musicien à la présence hautement symbolique, d’énoncer clairement les termes de cette libération. À travers ce portrait de femmes installées dans leur liberté d’être s’exprime la négation d’une terreur trop longtemps intériorisée et sa pure disparition. Simple et efficace, la mise en scène qui fait dialoguer ces femmes comme les trois voix d'un même texte, le plus souvent face au public, ne vise nullement à recréer des personnages ou à introduire une dramatisation. Elle restitue la puissance et l'impact de ce brûlot tranquille en affirmant, en guise de conclusion: « Nous, les femmes, nous ne sommes pas les plus terrorisées. » Dont acte.
King Kong Théorie.
S Texte Virginie Despentes S Adaptation Valérie de Dietrich et Vanessa Larré S Mise en scène Vanessa Larré S Avec Anne Azoulay, Valérie de Dietrich, Marie Denarnaud et Stan Bruno Vallette S Scénographie, lumière Laïs Foulc S Son, musique live Stan Bruno Vallette S Vidéo Christian Archambeau S Costumes Ariane Viallet S Production déléguée Théâtre Silvia Monfort S Coproduction La Pépinière théâtre, Enfithéa et E.DH S Durée 1h15
Du 4 au 15 juin 2024, du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h
Théâtre Silvia Monfort – 106, rue Brancion, 75015 Paris https://theatresilviamonfort.eu