5 Mai 2023
À la Fondation Henri Cartier-Bresson, deux expositions posent deux visions de l’envers du décor. Mystery Street, du photographe Vasantha Yogananthan, offre des enfants de la Nouvelle-Orléans une vision subjective de ce qui se cache derrière les portraits. L’Autre couronnement d’Henri Cartier-Bresson s’intéresse à ce qui forme l’envers de l’événement : ceux qui se sont pressés, en 1937, pour assister au couronnement du roi d’Angleterre George VI.
Du 5 mai au 3 septembre 2023, les photographies de Vasantha Yogananthan et celles d’Henri Cartier-Bresson offrent deux visions particulièrement contrastées de la manière de s’intéresser aux innombrables anonymes qui peuplent la planète. La première trouve sa source dans une commande photographique franco-américaine de la Fondation d’entreprise Hermès. La seconde correspond au travail de photo-reportage effectué par Henri-Cartier Bresson à la demande d’un quotidien communiste, Ce soir, pour couvrir le couronnement de George VI en 1937. Les deux photographes, chacun à leur manière offrent une vision « subversive » de la réalité.
Immersion, un dispositif de résidences croisées franco-américaines
Le programme de la Fondation d’entreprise Hermès, en association avec la Fondation Henri Cartier-Bresson et l’International Center of Photography à New York offre à un artiste l’opportunité d’une résidence et d’une exposition au sein de ces deux institutions photographiques, assortie d’un catalogue bilingue. Lancé en 2014, le processus est alternativement ouvert à un photographe français et à un américain, chaque fois parrainé par un professionnel de son pays pour une résidence dans l’autre. Mystery Street, du photographe français d’origine sri-lankaise Vasantha Yogananthan, s’inscrit dans ce dispositif.
Mystery Street : les enfants graves de la Nouvelle-Orléans
C’est en écoutant la respiration du monde que Vasantha Yogananthan photographie, réalisant ses reportages en immersion et sur une longue durée, attentif à un sujet ou à un lieu. Il passe ainsi quatre ans en France sur la plage de Piémanson, au cœur du Parc naturel de Camargue, et huit années au Sri-Lanka, questionnant le mythe du Rāmāyana. Cette approche qui bannit le sensationnel au profit d’un être-là est perceptible dans les photos d’enfants qu’il réalise dans le cadre d’Immersion à la Nouvelle-Orléans. Dans cette région en passe de disparaître, parce que située à vingt mètres au-dessous du niveau de la mer, un dialogue s’établit entre ce monde dont la mort est programmée et les générations d’enfants de huit à douze ans qu’il choisit comme sujets et qui sont au seuil de l’adolescence, d’une vie qui s’ouvre en même temps que se referme l’enfance. On n’est donc pas surpris de les voir, pleins de gravité, absorbés dans une rêverie ou une occupation souvent solitaire.
Au-delà du premier plan
Nombre de ces photographies dépeignent un monde dont le premier plan est flou, comme s’il fallait aller chercher la vérité au-delà, dans le fond qui transparaît derrière l’obstacle que crée le premier plan, comme s’il fallait voir au-delà de ce qui s’impose à nous, approfondir le regard, passer au-delà des apparences. À ce regard « philosophique » qui noie parfois les personnages dans le décor qui les absorbe, les dissout, s’ajoute le regard du photographe-architecte qui distribue avec art les surfaces horizontales ou la présence des obliques sur les photographies, ou encore utilise le cadre de la photographie pour faire reposer une roue de vélo montée à la verticale ou pour emberlificoter un enfant dans une série d’ensembles circulaires formés par des tuyaux colorés aux teintes primaires comme pour le plonger dans un jeu de hula hoop immobile.
Henri Cartier-Bresson, Couronnement du roi George VI, Londres, Angleterre, 12 mai 1937 © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
D’un couronnement à l’autre
Dans un tout autre registre se situent les photographies d’Henri Cartier-Bresson, réalisées à l’occasion du couronnement de George VI en 1937. Alors que l’Angleterre est en émoi pour les cérémonies du couronnement du fils d’Élisabeth II, le roi Charles III, revenir sur ces scènes insolites de l’intronisation d’un souverain pour plonger dans le tableau d’une Angleterre profonde avec ses anonymes qui peuplent les rues a la saveur discrètement décalée et humoristique d’un « mangeur de grenouille » penché sur les « rosbifs ». Loin de sacrifier aux traditionnelles photos de sacre, avec cortèges et flonflons à la clé, c’est à l’homme de la rue qu’Henri Cartier-Bresson s’intéresse. Regarder le regardeur, traquer les attitudes et les expressions de ce peuple dont la dévotion à la famille royale reste un mystère pour les républicains que nous sommes a fourni la matière de ce reportage à l’envers, à rebours, au revers des ors et des lustres.
Des scènes savoureuses
Il les photographie dans toutes les positions, ces observateurs qui ont pour certains passé une nuit entière, allongés sur des journaux, pour être aux premières loges et finir parfois, comme l'un d'entre eux, saisi par la photographie, assommé de fatigue et endormi au moment où passe le cortège. Juchés sur ce qu’ils trouvent, parfois hissés sur les épaules de plus costauds qu’eux – et ce ne sont pas seulement des enfants qu’on trouve dans cette position-là – ils se haussent du col, bourgeois en haut de forme ou en melon, ouvriers la casquette vissée sur la tête, employées de bureau ou ménagères sorties pour l’occasion, enfants et adultes confondus. L’événement les a rendus inventifs. Jumelles et télescopes ont été sortis. Les miroirs réfléchissants permettent aux autres de profiter du spectacle. On retrouve la faculté d’Henri Cartier-Bresson de capter l’insolite et d’extraire du quotidien sa saveur particulière.
Entre ces deux perceptions de l’univers de la rue s’élabore un dialogue subtil né de leur grand écart. Si tous deux nous révèlent l’envers des choses, leur face cachée ou perdue dans une banalité qui les rend généralement invisibles, l’un est plus un regard du dedans qui se traduit à travers la photographie, l’autre la réflexion que renvoie la lentille de l’appareil photographique, cependant choisie par le photographe, qui permet de regarder autrement. Même si la réciproque pourrait être vraie et que la frontière entre subjectivité et objectivité est plus que poreuse. À cela il faut ajouter l’interprétation du regardeur, qui joue les arbitres. Un jeu à trois dont la coexistence de ces deux expositions permet de mesurer toute la complexité.
Henri Cartier-Bresson, Couronnement du roi George VI, Londres, Angleterre, 12 mai 1937 © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Vasantha Yogananthan - Mystery Street
Dans le cadre du dispositif Immersion, de la Fondation d'entreprise Hermès, en association avec la Fondation Henri Cartier-Bresson et l'International Center of Photography à New York. Commissaires de l’exposition Agnès Sire et Clément Chéroux, directeur, Fondation HCB
Henri Cartier-Bresson - L'Autre couronnement
Commissaire de l’exposition Clément Chéroux, directeur, Fondation HCB
Du 5 mai au 3 septembre 2023, du mardi au dimanche : 11h – 19h
Fondation Henri Cartier-Bresson - 79 rue des Archives – 75003 Paris
+33 (0)1 40 61 50 50 www.henricartierbresson.org