5 Avril 2023
Cinq femmes en ligne, vêtues de robes longues, fleuries, une première bouge un bras puis une autre et une autre. Et les mouvements s’enchainent de plus en plus rapide juste au rythme de leurs souffles. Ce spectacle est un cri silencieux, un pamphlet contre les violences faites aux femmes. Cette violence de l’intime que l’on tait et qui déchire. C’est la souffrance, infligée aux femmes qui subissent et ne disent rien. La souffrance de celles qui baissent la tête et subissent sans dire un mot. Juste tenter de se protéger. Il n’y a rien que ces gestes simples qu’elles enchaînent et ce souffle qui s’accélère et tout est dit, ou plutôt tout est suggéré car justement rien n’est dit. Ce silence est assourdissant comme on dit et justement ici c’est le cas. Ces gestes simples, minimalistes nous racontent cette détresse, nous racontent ce déchirement, cette tristesse aussi, et cette douleur silencieuse faite de soumission dans un désir de protection.
C’est poignant, incroyablement émouvant, presque désespéré. Leila Ka a cette propension à nous raconter une histoire avec rien, à nous entraîner dans son univers avec juste un geste, un souffle. Elle joue sur la variation et la répétition pour en faire une litanie obsessionnelle qui nous envoute et nous laisse sans voix. Cette courte chorégraphie « Bouffées » est le début d’un spectacle pour 2024 et nous avons hâte de pouvoir le découvrir.
Dans la deuxième partie qui se nomme « C’est toi qu’on adore », Leila Ka a repris une de ces premières pièces, un duo pour en faire une courte chorégraphie avec cinq interprètes.
Les cinq interprètes ont revêtu un pantalon et un tee-shirt très banal. Dès l’abord, on pense que c’est le pendant de la première chorégraphie, juste l’autre côté de la scène. Le ton est beaucoup plus agressif, les gestes plus violents mais au fur et à mesure on révise notre position. Finalement, les interprètes se débattent aussi dans un environnement violent qui les contraint et les domine, juste leur réponse est simplement différente. Au lieu de se résigner, leur façon de réagir est plus violente. Elles résistent et luttent. Elles se débattent et se battent. On est aussi dans une histoire d’enfermement dans laquelle les danseuses subissent une violence indicible et pour ne pas subir sans rien faire elles luttent. Elles multiplient les enchainements au sol, magnifiques, superbement maitrisés alors que c’est un exercice très compliqué chorégraphiquement. Leila Ka invente et réinvente des gestes simples. Elle nous parle de la complexité des rapports humains et de la violence qu’ils portent en eux avec une économie de moyens et un minimalisme incroyablement pertinent. Ce paradoxe est le signe d’un vrai talent. La justesse de sa chorégraphie nous parle au cœur et réveille en nous un bouquet d’émotions qui nous suit longtemps après la fin du spectacle.
Leila Ka nous dit de son travail : « Je suis plus touchée par les gens fragiles et humbles que par ceux qui sont sûrs d’eux ». Ses premières créations Pode ser (2018), récompensée par de nombreux prix, et C’est toi qu’on adore (2020), illustrent parfaitement cette position.
Leila Ka débute son parcours par les danses urbaines qu’elle croise rapidement avec d’autres influences. Elle travaille en tant qu’interprète avec de nombreux chorégraphes et notamment Maguy Marin. Elle crée donc sa première pièce Pode ser en 2018, et depuis enchaine les créations. Elle est artiste associée au CENTQUATRE- PARIS, à La Garance - scène nationale de Cavaillon, en résidence longue à l'Espace 1789 et est accompagnée par le réseau Tremplin – soutien aux chorégraphes émergents – jusqu’en 2024.
Leila Ka possède cet instinct incroyable du geste essentiel et nécessaire à la narration qui nous parle au cœur. A suivre absolument !
Distribution :
Bouffées
chorégraphie et création lumière : Leïla Ka
interprétation : Leïla Ka, Jane Fournier Dumet, Zoé Lakhnati, Aïda ben Hassine, Océane Crouzier
C’est toi qu’on adore
chorégraphie : Leïla Ka
interprétation : Leïla Ka, Jane Fournier Dumet, Zoé Lakhnati, Aïda ben Hassine, Océane Crouzier
lumières : Laurent Fallot
Tournées :
Du 04 au 07 avril , Festival d’Automne, tournée universitaire
11 mai, l’Hectare – Territoire vendômois, Centre National de la Marionnette, Le Minautore, Vendôme
10 juin Malakoff, Scène national
04 juin Tulles, Festival des 7 Collines