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Arts-chipels.fr

Toutes les femmes sauf une. Un jour, tu seras mère…

Toutes les femmes sauf une. Un jour, tu seras mère…

Servir la cause des femmes, n’est-ce pas, au-delà de la stigmatisation des hommes, s’attaquer aussi à la manière dont les femmes transmettent l’héritage qu’elles ont reçu en partage, retirer les pierres de leurs jardins intimes ? C’est, au travers d’un règlement de compte intergénérationnel, le propos de ce spectacle attachant et juste qui nous interroge sur ce qu’est la maternité.

Elle évolue dans une absence de décor, la jeune femme livrée à sa propre parole qui se trouve sur scène. Elle s’adresse à ce qui pour le moment est encore une absence, la petite fille à laquelle elle vient de donner naissance. Des tubulures aux teintes changeantes forment l’univers dans lequel elle tourne et se débat, bleuies et comme privées de chaleur dans le décor aseptisé de l’hôpital, dressées comme des barrières lorsqu’elle évoque les impératifs qu’on lui oppose, plus chaudes lorsqu’elle se plonge en elle-même. Un espace mental avec pour seul point d’ancrage le rectangle lumineux qui matérialise le berceau où repose celle qui commence une vie dont elle ignore encore tout.

Toutes les femmes sauf une. Un jour, tu seras mère…

Un enfantement pas sur papier glacé

Celle qui lui parle est celle qui l’a enfantée. Elle évoque une réalité de l’accouchement sans commune mesure avec l’idéalisation qu’on prête généralement à l’événement. La souffrance, la solitude, le sentiment d’être laissée pour compte par un personnel débordé ou hermétique à l’inquiétude et à la souffrance, pour qui l’on a cessé d’être une individualité un peu perdue mais un cas à traiter au milieu d’autres urgences. Elle dit ce sentiment d’abandon, et sa rage devant les questions indiscrètes, intrusives. Vous accouchez seule ? Votre mère n’est pas là ? Et le chantage insidieux – « Vous n’allaitez pas ? Pourtant c’est dans la nature et c’est bon pour le bébé » –, l’obséquiosité compatissante de la psychologue mandatée pour l’occasion auxquels on fait face et auxquels on résiste au milieu des oublis du personnel soignant. Au centre de cette angoisse qui lui monte à la gorge, il y a cette antienne : être mère…

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

Mères, je vous hais…

À l’infante qui est née, elle va dire ce qu’elle ne sera pas : la continuation de cet héritage transmis par les générations passées, celui des femmes servantes qui ont tout abdiqué pour devenir mère à répétition, femme « au foyer » confite dans ses casseroles et son linge sale, pondeuses ménagères, mais aussi celui des femmes qui l’ont refusé, qui ont rejeté la maternité, relégué la tendresse maternelle aux oubliettes et mis en avant l’accomplissement personnel. Elle lui raconte, par bribes qui s’entrechoquent, une histoire qui croise en permanence, comme les tubes luminescents qu’elle manipule, passé et présent, l’édification de sa personnalité de femme et d’écrivaine qui a manqué d’une présence maternelle et s’est construite comme un garçon, sous le regard condescendant d’un père qui pense que, malgré tout, « il y aura bien un homme » à l’ombre duquel elle pourra s’abriter.

Femmes entre elles

Avec une présence d’autant plus intense qu’elle prend sa source dans le jeu et une lucidité rageuse, la comédienne, seule en scène, évoque ces pays de l’ennemi, des pays qui ne sont pas seulement ceux de l’extérieur, des normes sociales sur le « rôle » de la femme et de la mère, mais installés à l’intérieur, dans le jugement que portent les femmes sur elles-mêmes et sur les autres femmes. Car c’est dans l’absence de cette solidarité qu’on pourrait penser naturelle aux exclues, aux emmurées que réside sa colère, dans les injonctions de « fais ci, fais pas ça », de « comporte-toi comme si, habille-toi comme ça » qui émaillent chaque geste de la vie de tous les jours, énoncées par les femmes, que se situe la coercition. Qu’elle soit dans l’obéissance à la norme ou dans sa contestation, les femmes, si elles n’en sont pas la cause première, en sont les relais actifs, les passeuses d’autant plus efficaces qu’elles sont, d’une certaine manière, ce que nous sommes.

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

L’écriture comme catharsis et salut

La mise en scène très dépouillée laisse remonter à la surface comme bulles de savon la parole de l’autrice, qui résonne en chacune des femmes présentes dans le public. Parce qu’elles ont vécu des situations analogues ou savent qu’elles les rencontreront. Parce qu’elles aussi ont eu à combattre leurs mères, et avant elles les mères de leurs mères. Et que l’amour qu’elles leur portent sont autant d’images gravées au fer rouge, de freins et d’interdits qui se dressent et qu'il a fallu contourner ou vaincre. Alors, pour traduire la colère que suscitent ces ennemies de l’intérieur, la comédienne s’ébroue et se cabre. Avec conviction et passion, elle évoque ce qui pourrait apparaître comme une injure faite à la gent féminine, quand certaines d’entre elles se battent au quotidien pour leur reconnaissance dans l’entreprise ou pour l’égalité de leurs salaires, mais qui représente l’autre face d’un même combat : la dénonciation de la confiscation de la parole par les stéréotypes véhiculés par la société depuis des temps immémoriaux. Ce chemin de croix des femmes, il dépasse les querelles d’inclusivité et les féminisations en tout genre. Et la haine des mères et de leurs « messages », c’est dans l’opération cathartique de l’écriture qu’elle la lave, qu’elle s’en défait en « petite conne bien lettrée, bien nourrie ». Pour se soigner, se libérer de la peur de devenir sa mère. Et pour se préparer à devenir mère…

Toutes les femmes sauf une de Marie Pourchet (éd. Fayard)

Adaptation Florence Le Corre Mise en scène Mickaël Délis Avec Florence Le Corre Scénographie Vincent Blot Lumière Alexandre Dujardin Durée 1h05

Théâtre La Flèche – 77, rue de Charonne – 75011 Paris

Du 6 octobre au 8 décembre 2022 à 21h

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