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Arts-chipels.fr

Singulis et simul. Être soi-même et les autres à la fois.

© J. P. Leong

© J. P. Leong

Peut-on réconcilier culture savante et culture populaire, art urbain et art de cour ? Frédéric Nauczyciel et le Studio House of HMU, de Paris à Beyrouth en passant par Baltimore, répondent par l’affirmative dans un spectacle plein d’inventivité et de vie.

En fond de scène, au milieu des bruits de circulation, une femme contemple des affiches électorales. Elle interroge : « Est-ce qu’ils ou elles aident votre communauté ? » La voici remplacée par un danseur dont le pantalon à volants accentue le mouvement chaloupé. On pourrait le croire, n’était le costume, tout droit sorti d’un bas-relief égyptien, le corps de face, le visage de profil. Il avance précautionneusement, le dos cambré, un pas devant l’autre, comme si marcher cessait d’être une évidence, comme si le croisement qu’il inflige à ses pas avait valeur de décalage. Bientôt ce seront les rotations du bassin qui viendront compléter l’ensemble. Le ton est donné. La distinction « traditionnelle » homme-femme n’a pas de raison d’être, l’expression artistique et les hybridations empruntant à toutes les cultures seront la règle.

© Marc Domage

© Marc Domage

Du voguing à la danse baroque

Singulis et simul s’enracine dans la culture New Harlem Renaissance. Dans les années 1920, un mouvement de revendication d’une culture et d’un art spécifiques à la communauté noire se fait jour à New York. Il concerne aussi bien la peinture ou la sculpture que la poésie ou la danse. Des revues, des expositions, des clubs de musique, des écoles sont créés. La culture voguing ou ballroom émerge alors. Dans ce moment d’effervescence, les femmes travesties afro-américaines (le mot « transgenre » n’existe pas à l’époque) organisent des concours de beauté dans les salles de bal, donnant naissance à une culture alternative LGBTQI+ qui reprend, en les détournant, les codes de la photographie de mode émergente à l’époque et popularisée par le magazine Vogue. Le spectacle à son tour jette des passerelles entre cette culture populaire née d’un désir d’affirmation de soi et la danse savante, extrêmement codifiée, des bals de la cour à l’époque baroque, eux-mêmes issus de formes populaires. Ainsi s’établit une circularité qui lie savant et populaire et ancre les formes chorégraphiées issues de la culture queer dans une « aristocratie » du mouvement et de la danse.

© Marc Domage

© Marc Domage

Un baroque passé au filtre du contemporain

Initialement commanditée à Cincinatti pour un orchestre symphonique, la pièce est créée en France pour une formation d’harmonie d’instruments à vent et de deux clavecins, créant une transposition contemporaine du répertoire baroque. Le choix des cuivres rappelle les Marching Bands américains et propose une relecture de Bach, Rameau, Boccherini ou Vivaldi. Cette formation, à la fois fanfare et orchestre de chambre fait sonner le répertoire autrement. Infusés et ingérés dans la gestuelle voguing, la musique comme le vocabulaire chorégraphique extrêmement codifiés de la danse baroque entrent en résonnance avec la liberté des corps, tout comme ils allient, en entrant en communication avec le baladi, cette forme de danse traditionnelle aussi bien que sophistiquée d’origine égyptienne, Orient et Occident, tradition et modernité. La revendication pour un droit à l’identité, à la singularité, passe ici par l’art. En dansant le baladi au Liban, une danse traditionnellement interprétée par des femmes, Alexandre Paulikevitch formule un dessein politique qui passe par la danse et le corps.

© J. P. Leong

© J. P. Leong

La vidéo comme miroir

L’utilisation de la vidéo répond dans le spectacle à un objectif multiple. Art à part entière, elle introduit une dimension esthétique particulière en créant, lorsqu’elle filme le spectacle, une autre manière de voir, une distorsion de la vision frontale, en filmant les danseurs depuis le dessus de la scène, où ils n’apparaissent plus que comme des points dans une organisation de l’espace, ou en cherchant à inverser le regard qu’on porte sur la chorégraphie en filmant les danseurs en plan fixe depuis l’arrière de la scène. Mais elle porte aussi son discours propre, avec des séquences filmées dans la rue, de jour comme de nuit, renvoyant au spectateur une image de sa réalité – la zone des CRS de Vélizy, le boulevard Lénine à Bobigny ou la dalle de Créteil Soleil –, créant un effet miroir qui le place sur la scène, partenaire direct de ce à quoi il assiste.

De ce chassé-croisé permanent qui mêle les temps, les lieux et les espaces émerge une impression de contemporanéité très forte. Dans le monde postmoderne qui est le nôtre, la vérité est dans le syncrétisme assumé, dans la diversité et la singularité portées comme un étendard, et dans la rencontre des grands écarts. Singulis et Simul répond, à sa manière, aux interrogations sur le monde d’aujourd’hui et sur sa nécessaire transformation.

© Marc Domage

© Marc Domage

Singulis et Simul - Frédéric Nauczyciel et le Studio House of HMU (Paris / Baltimore / Beyrouth)

S Chorégraphies Studio House of HMU S Conception et images Frédéric Nauczyciel assisté de Vinii Revlon S Conception musicale Sylvain Cartigny assisté de Blaise Cardon Mienville S Pratique Feldenkrais et assistanat Sara Lindon S Danse baroque Corine Miret S Textes Lisalo Performeuses et performeurs Diva Ivy Balenciaga, Dale Blackheart, Blaise Cardon Mienville, KEIONA, Missy, Frédéric Nauczyciel, Kory BlackSjuan Revlon, Marquis Revlon, Vinii Revlon, Yumi Rigout (en alternance avec Corine Miret), Riya Stacks S Danse baladi Alexandre Paulikevitch S Voix et chant Matyouz Ladurée S Clavecin Laure Vovard et Sibylle Roth S Avec l’Orchestre de Spectacle de Montreuil Thomas Bocquet, Blaise Cardon Mienville, Nils Kassap, Alexandre Koneski, Vincent Kreyder, Gauthier Lottin, Steve Matingu, Bryann Mayaut S Répertoire musical : Boccherini, Scarlatti, Rameau, Vivaldi, Bach, Julius Eastman et le Ballet royal de la Nuit (anonymes) S Durée 1h20 S Production Le Grand Gardon Blanc / House of HMU S Avec le soutien de la Direction Générale de la Création Artistique – ministère de la Culture et de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre du programme New Settings S Coproduction L’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay, Maison des Arts de Créteil, MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis - Bobigny, Scène nationale d’Orléans, Espace Lino Ventura - Garges-lès-Gonesse, Théâtre National de Bretagne - Rennes, La Filature scène nationale de Mulhouse S Avec l'aide à la création de la Région Île-de-France, du Conseil départemental du Val-de-Marne, de l’ADAMI et de la SPEDIDAM Avec le soutien exceptionnel de la DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT) Le spectacle a été créé le 16 novembre 2021 à l’Onde Théâtre Centre d’Art Vélizy-Villacoublay.

TOURNÉE 2022

• 22 et 23 avril > MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis - Bobigny

• du 12 au 14 mai > Maison des Arts de Créteil

• 21 mai > Espace Lino Ventura - Garges-lès-Gonesse

• 28 mai > Scène nationale d’Orléans

• 9 et 10 juin > Théâtre National de Bretagne – Rennes

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