7 Avril 2022
Anthony Magnier montre le caractère éminemment moderne du plaidoyer de Molière en faveur des femmes sans oblitérer ni minorer la force de la farce et sa charge de grivoiserie.
L’histoire est connue. Arnolphe, vieux barbon, a élevé sa pupille la jeune Agnès dans l’ignorance des choses du savoir et de l’intelligence, et bien sûr de celles du sexe car il se réserve la jeune fille pour son usage propre et la veut docile et à sa botte. Mais il suffit d’un joli cœur qui passe sous ses fenêtres pour troubler la donzelle, qui se laisse aller – en toute innocence ? – à recevoir son galant, qui lui propose le mariage. Mais celui-ci a le mauvais goût de prendre pour confident son concurrent…
Une mise en scène détachée de tout contexte historique
Anthony Magnier choisit de situer la pièce en un temps difficile à situer, mais à coup sûr hors de l’époque de Molière et près de la nôtre. Si Arnolphe, avec son manteau long à large col semble tout droit sorti du XIXe siècle, il n’en va pas de même pour Horace le jeune premier avec son blouson d’aviateur et le chapeau de cuir qui l’accompagne. Quant aux serviteurs, Georgette et Alain, ils sortent tout droit de la commedia dell’arte avec les masques qui leur recouvrent le haut du visage et leur allure sautillante et parodique. Mais avec un accent campagnard qui hésite entre le Québec et le Nord de la France et un texte, où les dreadlocks, la poutine québécoise, les hamburgers (prononcés à la française) et les « Yes, Sir ! » émaillent un texte qu’une musique assez rock accompagne, ils s'éloignent de Molière tout en se rapprochant de l'esprit de sa farce…
Un comique bien grivois
Le texte est truffé d’allusions grivoises que la gestuelle des comédiens souligne. On a beaucoup glosé par le passé sur l'interprétation de « J’empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte », le moineau représentant de manière voilée le sexe masculin. On peut y ajouter l'allusion d'Agnès, qui se plaint des « puces » qui la tourmentent, une image qui renvoie, dans la littérature érotique, aux démangeaisons amoureuses. Et pour faire bonne mesure, lorsqu'Arnolphe cherche à savoir jusqu’à quel point celle qu’il s’était promise l’a cocufié, il n'obtient d’elle, après qu’elle a confessé avoir laissé son galant lui baiser les mains et les bras, qu’une phrase vague qui laisse supposer qu’il est allé bien plus loin. Que voilà une pièce joliment troussée !
Un comique de situations
Le rire est, bien sûr, de la partie, et la caricature l’accompagne. Arnolphe, madré et matois, dissimulateur et hypocrite, abuse autant qu’il le peut l’innocente Agnès qui avoue ingénument son amour avant de prendre progressivement la mesure de la situation difficile où elle se trouve et du sort qu’on lui réserve. Il en fait de même avec Horace qui lui emprunte de l’argent pour séduire sa belle. La situation sociale de celui-ci – Arnolphe est l’obligé de son père – l’oblige à ne pas le combattre de front. La volonté d’apprendre jusqu’à quel point il est cocufié et comment contrer l’obstacle que cet amour vient mettre à ses projets fait le reste. De dialogues en apartés, Molière s’amuse des fureurs du personnage, victime d’un système qu’il a lui-même mis en place. Et la mise en scène force le trait avec un Arnolphe tout en ruptures de tons.
Les dessous de la farce
La farce a beau être grosse et les ficelles des cordes, Molière l’écrit en vers, genre noble, comme pour démentir tout caractère grossier. Il faut dire que le thème est pour le moins décoiffant. Il s’agit de rien moins que de l’émancipation et de la liberté d’aimer des femmes, un thème que Melle de Scudéry et Mme de Lafayette ont exploré, chacune à sa manière. La mise en scène matérialise le statut où Arnolphe veut maintenir Agnès. Sur scène, un espace clos sur trois côtés et ouvert sur la salle par un rideau qui forme comme un quatrième mur figure l’enfermement dans lequel il tient la jeune fille. Quant à elle, revêtue d’un tutu rouge, elle se déplace, tel un automate, un jouet devant son propriétaire, à petits pas le long de trajets qui semblent préétablis. Mais il suffit que son barbon tourne le dos pour qu’elle retrouve une allure normale.
Un plaidoyer pour l’éducation des femmes et le droit à l’amour
Si Molière égratigne en passant la volonté d’Arnolphe de se hisser vers la noblesse en se hissant du col et en se targuant d’un titre de comédie et montre son obséquiosité, du plus haut comique, à l’égard de plus puissant que lui, c’est d’abord à la manière dont on maintient les femmes dans l’ignorance et dans l’obéissance à la religion – Arnolphe fait lire à Agnès les maximes sur les devoirs de la femme mariée extraites du Catéchisme du Concile de Trente – qu’il s’attaque. Au couvent, Agnès a appris à prier, broder et coudre mais pas à lire. À cette ravissante ingénue, il ne donnera « ni écritoire ni encre ni papier ni plume ». Molière pose la question de l’accès des femmes au savoir, interroge leur place dans la famille et s’attaque même, de manière détournée, à celle de leur sexualité. Lorsqu'à la fin de l’histoire, Agnès, débarrassée de son tutu, affirme « Je ne veux plus passer pour une sotte », elle résume le sujet de la pièce.
Sur scène, les trois comédiens qui assument tous les rôles passent de l’un à l’autre avec dextérité, soulignant, dans cette farce un rien déjantée, le trait volontairement grossier et l’aspect caricatural. On ne s’en plaindra pas, au contraire. L’hilarité qui saisit la salle en atteste et le « message » qui comporte, en ces temps d’écriture inclusive et de revendication des femmes, un contenu très actuel, passe…
L’École des femmes de Molière
S Adaptation, mise en scène et scénographie Anthony Magnier S Avec Eva Dumont ou Agathe Boudrières (Agnès & Georgette), Mickael Fasulo (Arnolphe), Victorien Robert ou Matthieu Hornuss (Horace & Alain) S Création musicale Mathias Castagné S Création Costumes Mélisande de Serres S Création Lumières Charly Hové S Décor Brock S Durée 1h30 S Administration Anne Keriec S Diffusion Coline Fousnaquer S Production Compagnie Viva S Coréalisation Théâtre Lucernaire S Partenaires Ville de Versailles, Centre Culturel Aragon Triolet - Orly, Centre Culturel Yves Montand – Livry-Gargan, Tanzmatten - Séléstat, Buc, Festival Du Mois Molière, Spedidam, Région Ile-De-France S Soutien Centre Culturel Georges Brassens – Avrillé
Du 30 mars au 29 mai, du mardi au samedi à 20, dimanche à 17h (sf 08/04, 18 & 19/05)
Lucernaire – 53, rue Notre-Dame des Champs – 75006 Paris
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