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Arts-chipels.fr

Truffaut – Correspondance. Retour sur image dans la vie d’un cinéaste passionné.

Truffaut – Correspondance. Retour sur image dans la vie d’un cinéaste passionné.

On connaissait le rapport complexe de François Truffaut avec les femmes – les actrices en particulier. Ces textes extraits de sa correspondance permettent de découvrir d’autres facettes du personnage en dressant le portrait d’un homme en mouvement, infiniment réactif, dont la vie et l’œuvre sont intimement mêlées.

Un espace divisé en deux parties. Côté jardin, une grande table abrite un piano – c’est là que se tiendra le musicien. De l’autre côté, une table basse sur laquelle est jeté pêle-mêle un certain nombre de documents. Au-dessus, un écran révèle ce qu’une micro caméra filme sur la table basse. Couvertures de magazines, tickets de cinéma, pages manuscrites, raturées ou tapées à la machine défilent lentement à l’image. Le sol est encombré de livres et de revues. Les Cahiers du cinéma, référence à la carrière de critique de François Truffaut, y figurent en bonne place. En voix off sonne en boucle « Antoine Doinel » tandis que des voix diverses se mêlent à l’évocation. On reconnaît les chansons et les airs qui marquèrent le parcours de l’œuvre. Le Tourbillon de la vie, que chante Jeanne Moreau dans Jules et Jim. Les musiques du Dernier métro, des 400 coups ou de l’Amour en fuite émailleront le parcours comme les variations autour du Mépris ponctueront les échanges avec Jean-Luc Godard…

Truffaut – Correspondance. Retour sur image dans la vie d’un cinéaste passionné.

Une évocation subjective qui fait fi de la chronologie

Dans cette correspondance protéiforme, David Nathanson puise des éléments très divers. Hitchcock y croise Alain Souchon et Simenon. On y trouve aussi bien des refus à des offres de scénarios, les récusations plus ou moins polies et plus ou moins acerbes de suggestions de sujets à traiter, des considérations sur la manière de filmer de Truffaut ou sur son implication financière dans la production de certains films. Le réalisateur réagit de manière abrupte à la proposition d’adapter un roman noir américain pour en faire un film où le cadre géographique, le nom des personnages et les dialogues seraient « francisés » et adaptés au goût du public. Il écarte ironiquement une proposition de comédienne « commerciale ». Il parle de sa vision du cinéma, de sa manière de n’imaginer comment tourner qu’une fois les acteurs installés dans le décor.

Truffaut – Correspondance. Retour sur image dans la vie d’un cinéaste passionné.

Le noir « paradis » de l’enfance

Se retrouvent dans sa correspondance amis de toujours et ennemis d’un moment, vivants et morts. Et ses personnages, bien entendu. La figure d’Antoine Doinel, centrale dans cinq de ses films, des 400 coups à Baisers volés – qui couvrent différentes périodes de la vie du personnage, de son adolescence à ses amours, à son mariage et à son divorce – y occupe une place de choix. Parce qu’à travers le personnage d’Antoine Doinel, c’est de lui que Truffaut parle. D’une enfance difficile, malheureuse auprès de parents qui l’ignoraient et quittaient le domicile familial en négligeant de lui laisser de quoi se nourrir. De leur incompréhension face à ce gamin en révolte dont on ne pourrait jamais rien faire. De l’amitié et du soutien du critique de cinéma André Bazin, météore décédé à 40 ans qui fut l’un des fondateurs des Cahiers du cinéma et mit le pied à l’étrier du jeune Truffaut. De la famille de substitution qu’il lui offrit avec sa femme Janine, une famille pas seulement affective mais aussi nourricière au sens le plus matériel du terme. Se dessine la silhouette d’un être en souffrance, fidèle en amitié mais intransigeant sous des dehors avenants.

Truffaut – Correspondance. Retour sur image dans la vie d’un cinéaste passionné.

Amitiés, affections et inimitiés

Des accents de compassion et de vérité profonde imprègnent une lettre destinée à réconforter le critique Jean-Louis Bory. L’affection est palpable dans une lettre qu’il adresse à sa fille. À l’inverse, il ne prend guère de gants pour s’attaquer à un film dont il souligne la médiocrité, le peu d’intérêt et la platitude de la mise en scène – entre Godard et Antonioni, c’est-à-dire nulle part  –, et pour lequel on lui réclame de l’argent. Il répond vertement à un conseilleur malvenu qui lui suggère de s’intéresser à Un amour de Swan, chef d’œuvre sans doute mais que seul un charcutier comme René Clément pourrait imaginer de mettre en scène. Il décline la proposition de diriger un mémoire sur l’œuvre de Camus qu’il juge un auteur « consternant ». Enfin, il règle ses comptes avec son ancien compagnon de route de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard, dans une lettre d’une violence inouïe où il l’accuse de se conduire « comme une merde » et de n’aller au cinéma que pour alimenter le « mépris » qu’il a des autres.

Truffaut – Correspondance. Retour sur image dans la vie d’un cinéaste passionné.

Un engagement politique non politisé

Ce qui frappe aussi dans cette correspondance, ce sont les convictions qui forment comme le fil rouge du comportement de François Truffaut. Il prend la défense de Chris Marker au nom d’une liberté de filmer dans laquelle il voit l’équivalent de la liberté de la presse, prend la défense de la Cause du Peuple auprès du Président du Conseil de Sûreté de l’État, arpente les rues avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir pour vendre la Cause du Peuple. Non parce que les idées qu’ils défendent sont les siennes mais parce qu’il est contre toute atteinte à la liberté d’expression. D’ailleurs, ajoute-t-il, parmi les livres brûlés dans la dénonciation que constitue Fahrenheit 451, se trouve aussi Mein Kampf – on aimerait que soit entendue cette parole à l’heure où la dictature du « politiquement correct » s’attaque seulement au fait qu’un homme traduise une œuvre de femme ou que le second degré apparaisse comme une insulte.

François Truffaut écrit comme il parle, avec une rythmique quelque peu hachée et un déroulement en saute de vent. Il appelle aussi un chat un chat et c’est agréable dans notre monde si préoccupé de « consensus ». À ceux qui connaissent l’œuvre du cinéaste, ce spectacle a des saveurs d’autrefois qu’on aime à goûter. À ceux qui n’en ont qu’entendu parler, il donne l’envie d’aller voir. Peut-être en découvrant aussi le livre de Laurent Delmas et de Christine Masson, qui vient de paraître chez Gallimard : Truffaut, film par film

Truffaut – Correspondance

S Mise en scène Judith d’Aleazzo et David Nathanson S Jeu David Nathanson S Au piano Antoine Ouvrard ou Pierre Courriol S Scénographie Samuel Poncet S Lumières Julie Lola Lanteri, Erwan Temple

Manufacture des Abbesses - 7 rue Véron 75018 Paris

À partir du 1er décembre 2021, du mercredi au samedi à 21h et le dimanche à 17h

Relâche les 24 et 25 décembre et le 21 janvier

Réservations : www.manufacturedesabbesses.com

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