13 Septembre 2021
Elles ont une énergie qui semble inépuisable. Elles se démènent et sont en permanence montées sur ressort. Pourtant elles vont craquer. Elles craquent. En lumière, en musique et en chansons.
Au moment où l’on pénètre dans la salle, une musique de DJ inonde l’espace sonore. Côté cour, justement, une table de mixage recouverte de bandelettes de papier doré trône, seul élément de décor hormis une boule à facettes dont les miroirs éclatent la lumière. Au pupitre, une jeune femme. Car ce spectacle est un spectacle de filles, qui vont parler d’elles et plus généralement des femmes. Une voix off chante « Aujourd’hui j’ai seize ans… ce matin j’ai quarante ans… » Le temps a passé. Dans un éclairage de music-hall, rouge violent, trois femmes apparaissent. Robe à paillettes, perruques extravagantes. On pourrait croire qu’elles vont nous jouer les stars, strass et paillettes. Mais leurs mimiques sont grotesques, elles grimacent. Trois commères, trois sorcières qui vont évoquer, avec la quatrième, leurs états communs, leurs coups de fatigue et leurs raisons, leur fragilité.
Quatre comédiennes-chanteuses survoltées
À coups de gestes ratés répétés jusqu’à l’épuisement, poursuivies par le projecteur ou dans l’intermittence des lumières qui s’allument et s’éteignent, elles décrivent l’envers du décor de leur vie d’artistes. Elles ne nous offrent pas du rêve mais le résumé de journées quotidiennes vécues comme les 24 heures du Mans, sans prendre le temps d’un petit déj’, à cuisiner tout en paillettes, à chercher du boulot, corps bloqué et douleurs d’estomac sans fin pour se retrouver avec une perruque sur la tête – « c’est toujours mieux qu’une plume dans le cul ». Elles soulignent l’inanité du « Travaillez, prenez de la peine ». Elles disent l’absence de temps pour s’aimer, le sommeil sans rêve, l’envie de rester allongées quand le réveil sonne, la vanité et la vacuité des attitudes face à la caméra, l’incompréhension des autres face à leur calvaire, le seau de larmes que chacune porte avec elle, la charge qui pèse à l’intérieur de soi, dans son intimité la plus profonde. Elles englobent dans un même lot la femme au foyer, l’ouvrier et la travailleuse acharnée. Vannées, kaputt, HS, sur un rythme d’enfer, elles empruntent à Peter Gabriel, l’image de l’enfermement et du corps-cage…
« Mais mon esprit détient la clé »
Décider qu’il peut en être autrement est une clé pour briser la spirale infernale. Les corps sur scène se dévêtent, se dépouillent de leurs oripeaux chamarrés pour retrouver une presque nudité virginale. En adresse directe face au public, immobiles, ils exposent. Plus de chant, plus de danse mais une parole intime. La nécessité de se retrouver pour échapper à la violence que nous fait subir une société dans laquelle le paraître et la performance sont les maîtres-mots. Pour refuser ce que nous ne pouvons plus supporter, retirer une à une les couches dont on nous a vêtus, redevenir nous-mêmes.
Cependant le spectacle, malgré son propos sympathique auquel on ne peut que souscrire et la qualité de sa réalisation, laisse une impression d’inachevé. Peut-être parce qu’on reste dans les généralités, et que ces femmes, même quand elles parlent d’elles-mêmes, accordent peu de vie à leur personnage. Peut-être aussi parce qu’on aimerait que la réflexion sur le thème enfermement-récupération de soi soit menée plus loin théâtralement que la simple dénonciation et la litanie de la fatigue et que les personnages qui l’incarnent aient plus d’épaisseur. Comme à ce moment où Alvie Bitemo entame en congolais un chant magnifique dont on ne comprend pas les paroles. On perçoit alors toute la profondeur du lien qu’elle rétablit avec ce qui la compose, avec son être profond, son enfance, son passé, ses racines, et c’est très beau.
My Body Is a Cage - texte et mise en scène Ludmilla Dabo
Avec :Anne Agbadou Masson, Alvie Bitemo, Ludmilla Dabo, Malgorzata (Gosia) Kasprzycka, Aleksandra Plavsic collaboration artistique Catherine Hirsch assistanat à la mise en scène Jézabel d’Alexis chorégraphie Mai Ishiwata lumières Kévin Briard assisté de Zoë Dada son Aleksandra Plavsic production Compagnie Volcano Song ; en coproduction avec la Comédie de Caen – CDN de Normandie, le Théâtre Molière – Sète, scène nationale archipel de Thau, le Théâtre de Villefranche ; avec le soutien du Théâtre de la Croix-Rousse, de la DRAC Ile-de-France ; en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Théâtre de la Tempête - Cartoucherie Rte du Champ-de-Manoeuvre - 75012 Paris
infos et réservations www.la-tempete.fr et tél. 01 43 28 36 36
Du 10 septembre au 3 octobre 2021 (ma.-sam. 20h30, dim. 16h30)
Rencontre avec l’équipe mardi 14 septembre après la représentation
TOURNÉE
Théâtre de la Croix Rousse à Lyon 13>16 octobre 2021
La Comédie de Caen 9>12 novembre 2021
Théâtre de Villefranche 4 >5 février 2022
La Scène nationale de Sète 8 mars 2022