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Arts-chipels.fr

Un ennemi du peuple. Ibsen à la sauce contemporaine.

© Vincent Fillon

© Vincent Fillon

Peut-on avoir raison et se trouver désavoué par l’opinion publique ? Petite leçon de manipulation par le pouvoir et de dénonciation de la tyrannie de la majorité remises au goût du jour.

On connaît Ibsen en tant que pourfendeur acide et sans complaisance des faux-semblants de la société. Avec Un ennemi du peuple, il règle ses comptes avec les attaques virulentes dont son théâtre fait l’objet dans une curieuse pièce où l’authenticité et l’honnêteté sont violemment mises en cause dès lors qu’elles dérangent un certain ordre social.

Une histoire aux consonnances contemporaines

Le docteur Stockmann est en charge de l’établissement thermal de la ville. Il est question d’un large développement des activités des bains qui profitera à la cité en engendrant une relance économique importante. Chacun se réjouit donc – le maire, qui est aussi le frère de Stockmann, le premier. Mais depuis un certain temps, le docteur se fait cachottier. Il attend avec impatience un courrier qui tarde à venir. Lorsqu’enfin il arrive, c’est pour confirmer qu’une bactérie pollue les canalisations, qu’elle est de nature à transmettre des maladies et s’avère dangereuse pour la santé. Idéaliste, Stockmann n’imagine pas une minute qu’on ne remédie pas à cet état de choses. Mais le responsable en est son industriel de beau-père et le coût des travaux pour pallier le problème, qui est prohibitif, devrait être pris en compte par la municipalité. Il faut donc rendre inopérante la bombe que Stockmann vient de déposer en toute bonne foi sous les fesses de son frère…

© Vincent Fillon

© Vincent Fillon

Une fable sur la manipulation de l’opinion

Pour faire taire le trublion, tous les moyens sont bons. Employé par la mairie, il risque son poste et la survie de sa famille. Lorsque ce chantage s’avère infructueux, on recourt au désamorçage de la nouvelle : pression sur la presse locale, le Messager du peuple, auquel on fait comprendre qu’il risque de se trouver privé du lieu d’hébergement mis à sa disposition par la mairie ; instillations perfides auprès de la grande majorité et des petits propriétaires sur le coût pharaonique des travaux et les délais qu’il apportera au développement de la bourgade. Toutes les tentatives de Stockmann pour se faire entendre sont court-circuitées, mais celui-ci s’entête. Cet idéaliste qui œuvre pour le bien public est bientôt qualifié d’« ennemi du peuple » et se retrouve finalement seul contre tous, isolé face à l’opinion, victime alors même qu’il devrait être célébré comme un sauveur.

Un message contemporain

On perçoit aisément ce que cette trame a à nous dire aujourd’hui. On a vu ces récentes années éclater bien des scandales soigneusement cachés aux yeux du public au profit d’entreprises qui polluent la planète au nom du rendement et des institutions publiques masquer la dangerosité de certains produits et les erreurs commises. La mise en scène détache la pièce de sa temporalité d’origine – elle est écrite en 1882 et jouée l’année suivante – pour la projeter dans le monde d’aujourd’hui. Les comédiens sont vêtus de manière contemporaine. Les spectateurs sont installés tout autour de la scène, formant l’assemblée de l’« opinion » publique appelée à participer aux réunions de citoyens selon le schéma participatif qui fait florès aujourd’hui. La pièce se livre à un constat bien amer. Elle dénonce sans ambiguïté les dérives de la majorité « compacte » : le bon sens est une pauvre arme face à une opinion manipulable à loisir ; avoir raison n’a que peu de poids face aux moyens mis en œuvre pour contrer un juste combat.

Un ennemi du peuple librement adapté de la pièce éponyme d’Henrik Ibsen

Mise en scène : Guillaume Gras

Avec : Ivan Cori, Marie Guignard, Eurialle Livaudais, Bruno Ouzeau, Nicolas Perrochet, Gonzague Van Bevesselès. Lumière Grégoire de Lafond

Au 11 à Avignon

Du 12 au 29 juillet 2022

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