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Arts-chipels.fr

Macbeth (the Notes). La riche et réjouissante mise en abîme d’une pièce culte

Macbeth (the Notes). La riche et réjouissante mise en abîme d’une pièce culte

Quand Macbeth fournit le prétexte d’un work in progress qui interroge le théâtre et la manière de le faire, c’est toute la magie d’un texte inoubliable qui vient se frotter à la réalité de sa mise en représentation. Un exercice de haute voltige réalisé avec brio.

Au départ il y a cette pièce « maudite », ce récit « plein de bruit et de fureur raconté par un idiot et puis qu’à un moment on n’entend plus, et qui ne signifie rien » comme la qualifie son auteur, peut-être pour se dédouaner des possibles critiques que ses considérations sur le pouvoir et une société qui a perdu ses repères et sombre dans le chaos pourraient occasionner. Une pièce fabuleuse où les sorcières délivrent des messages de pythies énigmatiques, où la forêt s’avance et où celui qui remet le monde à l’endroit, censé être l’ancêtre de la dynastie des Stuart, « n’est pas né d’une femme ». Un récit de sexe et de sang où le couple Macbeth présente une image inversée du rapport homme-femme dans une démesure de meurtres et d’hallucinations.

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Du théâtre dans le théâtre

Tragédie pour un homme seul, Macbeth (the Notes) révèle l’envers du décor. Sur un plateau qui ne sera pas celui de la représentation, un homme, le metteur en scène, fait le point avec toute l’équipe, comédiens et machinistes, du filage qui vient d’avoir lieu. Le cahier à la main, avec une fougue poussée jusqu’à l’épuisement, il s’adresse tour à tour à chacun. Aux acteurs, il indique la précision du geste à trouver pour mimer un meurtre avec un couteau qui peine à remonter du nombril aux mâchoires. Il met en lumière la différence d’attitudes des personnages, de Lady Macbeth en pasionaria vengeresse à son hésitant et timoré époux finalement englouti dans la suite des assassinats pour gagner puis préserver son pouvoir. Il entre dans le détail des petits rôles, partie intégrante de la pièce. Il commente la pièce. Aux techniciens, il reproche l’approximation de certains réglages ou de la lumière. Dans ce théâtre en train de se faire, notre metteur en scène alterne flatterie et vacherie avec un art consommé de la manipulation, disant blanc pour amener noir, caressant dans le sens du poil pour lancer un Scud dévastateur. Il danse en équilibre instable sur le fil d’un discours contradictoire, parfois désespéré, pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. De la chevelure flottant élégamment au vent de Mel Gibson dans Brave Heart aux exemples tirés de Game of Throne, tous les moyens sont bons pour expliciter ce qu’il veut obtenir…

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Le théâtre comme relecture

Au rythme, au jeu et aux indications techniques s’ajoute la relecture qu’opère la mise en scène sur la pièce elle-même. Ici, nous ne sommes pas dans une vision archéologique du théâtre, qui viserait à restituer les circonstances de sa création au plus près. Nous naviguons dans la tête du cerveau « créateur » qui la monte. Notre metteur en scène a de l’ambition… Il veut faire de cette pièce « écossaise » noyée dans les brumes et les nuées un fer de lance avant-gardiste du théâtre de la « distorsion », mêlant création vidéo et théâtre, utilisant pour le décor du château de Macbeth un hologramme miniature mêlé à des photos des moellons d’Inverness ou faisant tomber la pluie dans la cheminée. Parfois cependant la réalité le rattrape comme un acteur ensanglanté surgi d’une baignoire, vêtu d’un slip Spiderman au lieu d’être nu…

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Cher public !

Dans ce théâtre qui a retourné sa veste pour laisser voir l’envers du décor, le public joue double jeu. Il incarne à la fois l’équipe invisible que le metteur en scène interpelle et le spectateur en train d’assister au making of de la pièce. Qui sommes-nous au juste, nous qui sommes assis dans la salle ? des partenaires du spectacle lui-même où les destinataires de cet objet qui vise à dynamiter l’invisible quatrième mur qui sépare la scène de la salle ? Le metteur en scène y revient comme un leitmotiv lorsqu’il s’adresse aux prétendus comédiens. Briser la muraille de glace pour que le dehors et le dedans entrent en communication. Nous, spectateurs, sommes de plain-pied avec l’acteur qui n’est pas lui-même mais une multitude d’autres qui se démène, se traduit en mimiques, s’éclate en doutes, en récriminations, en désespoirs et en délires comme en enthousiasmes et en passions. David Ayala se livre avec un art consommé à ces dédoublements permanents qui ne nous laissent pas un moment en repos. Emporté par ce mouvement incessant au ressac permanent, on retrouve le plaisir bon enfant d’un rire intelligent et partagé.

Et lorsque la lumière se focalise sur le visage de l’acteur, renvoyant aux ténèbres le reste de l’espace scénique, remontent à la mémoire la force inoubliable du texte de Shakespeare, sa poésie intense et son tourment qui ont traversé les siècles et font de son créateur sans doute le plus grand auteur de théâtre de tous les temps. Se tisse la succession des événements, reviennent les moments phares, surgissent les citations qu’on n’a pas oubliées – « Tous les parfums d’Arabie… ».

Pour toutes ces raisons, ces Notes qui nous racontent une autre histoire de Macbeth, celle de toutes ses représentations théâtrales, méritent qu’on s’y plonge…

Macbeth (the Notes) d’après William Shakespeare

Écriture et adaptation : Dan Jemmett et David Ayala

Mise en scène : Dan Jemmett

Avec : David Ayala

Du 28 août au 13 octobre 2019, du mardi au samedi, 19h

Théâtre Le Lucernaire – 53 rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris

Tél. 04 42 22 66 87. Site : www.lucernaire.fr

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