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Arts-chipels.fr

500 ans de dessins de maîtres dans les collections du musée Pouchkine. Une extraordinaire traversée du temps au pays de l’art

Van Gogh, Portrait de jeune fille (la Mousmé), 1888

Van Gogh, Portrait de jeune fille (la Mousmé), 1888

La Fondation Custodia présente quelque 200 dessins extraits des 27 000 œuvres que conserve le musée d’Art de Moscou. Un voyage passionnant qui mêle le temps et l’espace, l’Europe et la Russie.

La Fondation Custodia poursuit le travail de fonds sur l’art graphique qu’elle mène en association avec les grands musées. Après l’exposition sur l’art américain réalisée à partir des collections d’estampes du British Museum (le Rêve américain) et celle sur les Estampes japonaises modernes (1900-1960), puisant dans les collections du musée Nihon no hanga d’Amsterdam, c’est au tour des dessins du musée Pouchkine de Moscou de faire l’objet d’une présentation à Paris. Crayon, fusain, sanguine, pastel, craie, encre, aquarelle, gouache se côtoient et se mêlent dans un ensemble où le tracé rapide au crayon ou à la plume s’accompagne de la légèreté et de la transparence de l’aquarelle, de la matité de la gouache ou de l’estompage des lavis.

Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, les Collecteurs d'impôts (1591-1596)

Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, les Collecteurs d'impôts (1591-1596)

Une collection hors pair

Plonger dans les collections de dessins du musée Pouchkine, c’est s’émerveiller que tant d’œuvres graphiques de l’art européen soient rassemblées dans un lieu si éloigné de leurs terres de création. Il faut dire que leur histoire témoigne d’une aventure peu banale tant elle croise l’Histoire avec un grand H. Les Russes en effet ne se sont mis à collectionner les dessins que sur le tard, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle à Saint-Pétersbourg et au siècle suivant à Moscou, longtemps après l’émergence de la tradition européenne qui remonte à la Renaissance. Mais les collections de dessins conservées en Russie bénéficient d’un contexte particulier. C’est en 1862 qu’est fondé le premier musée russe d’art public, le musée Roumantsiev. Il étoffe ses collections par l’apport de donations puis, après 1918, par la nationalisation de grandes collections privées. Les collections éparses, à Saint-Pétersbourg et ailleurs, sont ensuite regroupées, entre le début des années1920 et les années 1930, au musée des Beaux-Arts de Moscou. S’ajoutent les collections du Musée National d’Art Moderne Occidental (MNAMO) créé à partir des collections nationalisées de Sergueï Chtchoukine et Ivan Morozov. Des acquisitions plus récentes sont faites par le directeur du musée et son correspondant à Paris, Mikhaïl Larionov, constituant un riche parcours de cinq siècles d’art graphique.

Fragonard, l'Attaque (fin des années 1770)

Fragonard, l'Attaque (fin des années 1770)

Un raccourci de l’histoire de l’art

La sélection des 200 dessins présentée à la Fondation offre un large panorama de l’évolution de l’art graphique entre la fin du XVe siècle et le milieu du XXe siècle. Le portrait la scande tout au long comme un leitmotiv. Les artistes de la Renaissance allemande ou italienne découvrent avec délectation les leçons de l’anatomie dans la représentation des corps, ils se plongent avec délices dans une représentation qui magnifie l’homme, offrent de la Vierge ou du Christ souffrant une image très humanisée, s’attachent aux détails de la musculature, à la vérité de l’expression. Le XVIIe consacre, entre autres, le paysage et les scènes du quotidien. Il promène sur la nature, sur terre comme sur les eaux, en particulier avec l’art hollandais, un regard curieux de tout, qui s’attache à la vie paysanne et aux scènes de genre tandis que se poursuivent les thèmes de la « grande » peinture, les scènes mythologiques ou les magnifications historiques. Au XVIIIe, essentiellement français, place à la légèreté des scènes pastorales (de Natoire, par exemple) où des bergers très peu paysans courtisent d’aimables bergères, où joliesse et mouvement soulèvent les robes, emportent les personnages, où la mode des ruines, à la suite de la redécouverte de Pompéi et d’Herculanum, comme chez Hubert Robert, fait rage tandis que Greuze exalte les menus événements du quotidien. Le romantisme règne en maître sur le XIXe et l’orientalisme avec lui. L’âme est un paysage choisi et le paysage se fait le reflet de l’âme tandis qu’en parallèle le portrait s’embourgeoise. Les impressionnistes et postimpressionnistes, plus concernés par la touche picturale que par le dessiner, révèlent un savoir-faire non détaché des canons de leur époque. Mais avec l’émergence du concept de l’artiste, créateur à part entière détaché de son commanditaire, le parcours thématique se fait plus diversifié. Champ libre est davantage laissé à la fantaisie de l’artiste, à son imaginaire. Le symbolisme est aux portes et le XXe siècle consacrera cette liberté d’exploration dans des recherches formelles où cubisme, futurisme et abstraction figurent en bonne place.

Caspar David Friedrich, Deux hommes au bord de la mer (1830-1835)

Caspar David Friedrich, Deux hommes au bord de la mer (1830-1835)

Plaisirs et surprises

On s’émerveille devant la beauté de cette Vierge à l’Enfant de Hans Baldung Grien (avant 1516) sur papier brun, au dessin rehaussé de gouache blanche et d’or, devant cette mère toute de douceur qui contemple son bébé joufflu de fils qu’on retrouve aussi dans la délicatesse maniériste du Parmegianino. On s’amuse des délicieux putti de Dürer. On s’étonne de la modernité du Christ de pitié (1547-1553) de Baccio Bandinelli qui devait servir de modèle pour la reconstruction du chœur de Santa Maria dei Fiore à Florence. Le Christ, assis au pied de la croix, la couronne d’épines à la main, est mis sur le même plan, dans un continuum graphique à l’horizontale, que ses disciples se lamentant et que Marie-Madeleine, revêtue de haillons qui laissent voir, délicieusement, son sein dénudé. Les hachures qui forment le dessin à la sanguine et à la pierre noire soulignent le mouvement des Collecteurs d’impôts musculeux du Cavalier d’Arpin (1591-1596) saisissants de vérité, destinés à figurer dans la Vocation de saint Matthieu. Aux paysages peuplés de personnages vaquant à leurs occupations quotidiennes dont l’art hollandais est friand répondent les personnages de dos de Caspar David Friedrich, contemplant la nature comme pour nous dire qu’elle est le sujet premier. Matisse, très présent du fait de l’adjonction de la collection Chtchoukine, révèle la pureté de trait de son dessin qu’on retrouvera dans les papiers découpés. L’exposition présente entre autres du peintre des Baigneuses, Composition n° 2 (1909), femmes nues à la rivière ramenées à leur seule définition en tant que présence féminine. Initialement destinées à compléter les deux volets que constituent la Danse et la Musique, elles deviendront un tableau traité dans la manière cubiste. Le dessin, encre noire et aquarelle, rappelle dans la manière d’aborder le sujet, Cézanne qui est un grand absent, même si son ombre plane sur le Paysage d’André Lhote (1925-1928).

Portrait de Lydia Delektorskaya (1945). (c) Succession Matisse

Portrait de Lydia Delektorskaya (1945). (c) Succession Matisse

Le dessin, de l’immédiateté au travail graphique

L’une des grandes forces de l’exposition est d’offrir au regard des dessins de toute nature. Des croquis pris sur le vif, pour le seul usage de l’artiste, et des œuvres abouties destinées à d’autres cohabitent en ce lieu, comme pour dire la relation intrinsèque et nécessaire entre l’immédiateté et la durée, l’instant et l’éternité. L’œuvre en train de se faire côtoie l’Idée, la notation de l’impression première, le besoin de saisir la vérité d’une expression, d’une attitude, d’un mouvement, d’un moment. Au-delà des filtres des canons picturaux de l’époque, le dessin livre une parole plus libre, une exploration pour soi. On trouve dans les dessins de Tiepolo, de Francesco Montebasso, de Guardi ou de Fragonard (l’Attaque, fin des années 1770), une expressivité dynamique qui traduisent l’immédiateté originelle de l’impression, une vérité que la peinture perd parfois. Souvent passionnants, ils nous renseignent sur l’intention de l’artiste, sur ce qu’il a capté et ce qu’il veut transmettre. Poussés à leur extrême sophistication, ils deviennent œuvre à part entière, telle cette Tête d’homme rejetée en arrière qui offre un saisissant raccourci du mouvement et une énergie remarquable du trait, réalisée par le Berlinois Adolf von Menzel (1888).

Etude pour la Composition à la tête de mort (1908). (c) Succession Picasso

Etude pour la Composition à la tête de mort (1908). (c) Succession Picasso

Extraordinaire XXe siècle

L’exposition, qui suit dans l’ensemble un parcours chronologique, juxtapose à cette approche des regroupements italiens, allemands, flamands, français ou russes au fil des différentes époques. Une large part est consacrée à l’art moderne, pour notre plus grand bonheur. Ce moment où les conceptions traditionnelles de l’art explosent et où la recherche se fait tous azimuts, sans loi ni contrainte, est toujours fascinant. Les avant-gardes, dans leur exploration systématique hors des sentiers battus, bouleversent les codes. Ils n’en dessinent pas moins. Il suffit pour s’en convaincre de voir ces tracés à la plume, très purs, de Matisse, ou de regarder se former l’approche cubiste de Picasso pour s’en convaincre. La volonté d’aller à l’essentiel caractérise la démarche d’Alexandre Deïneka qui exalte les valeurs du travail et des célébrations soviétiques. Elle rencontre l’expressionnisme d’Emil Nolde, la violence muette des estropiés de la Première Guerre mondiale dépeinte par Georges Grosz. Elle croise l’héritage de Toulouse-Lautrec chez Boris Grigoriev présentant dans une maison close (Entrée – scène de genre. Paris, 1913) une galerie de personnages aux traits accentués, déformés, dans une vision frontale. On suit en Océanie les traces de Gauguin avec Max Pechstein, on voit Franz Marc, représentant éminent du Cavalier bleu (Der Blaue Reiter) progresser de 1912 à 1913, dans ses figurations animales, de formes pleines inondées de couleurs vers une représentation géométrique se rapprochant du cubisme. Masques et cirque sont présents dans la tragique Tête de clown (1904) de Rouault, où les teintes foncées et les noirs renforcent le regard plein d’inquiétude du clown, double de l’artiste, ou chez Paul Klee, qui livre à la grande rétrospective d’art allemand organisée en Russie en 1924-1925 des Masques dans un pré (1923) : une vision toute en bruns et en noirs bleutés, une collection de personnages grotesques aux formes volontairement frustes où se reconnaissent une danseuse et une acrobate. Fernand Léger offre une vision cubiste saisissante d’un Homme descendant l’escalier (1913). Primitivement offert à Maïakovski, ce dessin en lavis de noirs et de gris sur tracé en graphite aborde le thème à partir de formes géométriques simples – droites, rectangles, trapèzes, cercle. Léger retrouvera une liberté plus grande avec les Trois fleurs et les dominos (vers 1937). Fortunato Depero témoigne de l’irruption du futurisme dans l’histoire de l’art. Plus révolutionnaire encore, la démarche de Kandinsky fait surgir la poésie de l’inconnaissable et introduit l’abstraction des paysages mentaux. On les retrouvera dans les œuvres de Filonov, à la croisée entre représentation et représentation mentale.

Vassili Kandinsky, Composition E (vers 1915)

Vassili Kandinsky, Composition E (vers 1915)

Énumérer la somme de merveilles contenues dans l’exposition serait fastidieux. De Carpaccio à Larionov et Gontcharova, d’Avercamp et van Goyen à Van Gogh et Toulouse-Lautrec, de Watteau à Marquet et Survage, dans les croisements et la diversité, l’œil est à la fête pour notre plus grand plaisir…

Le Musée Pouchkine. 500 ans de dessins de maîtres.

Du 2 février au 12 mai 2019, tlj de 12h à 18f sf lundi

Fondation Custodia – 121, rue de Lille – 75007, Paris

Site : www.fondationcustodia.fr, tél. 01 47 05 75019

Visites guidées de l’exposition sur réservation les 1er, 16 et 30 mars, le 16 avril et le 8 mai à 12h30

Catalogue raisonné.

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