6 Février 2019
Une mise en scène exigeante dans son minimalisme alliée à un beau travail d’acteurs.
Quelque part en Norvège, un homme vient de naître, un homme va mourir. C’est le même. Recroquevillé à l’état de fœtus pensant dans le ventre de sa mère, Johannes va se déplier, se déployer peu à peu dans une gestuelle très lente qui caractérise le spectacle. Point de hâte en effet chez cet homme qui, projeté au soir de sa vie, croise les fantômes des morts et les silhouettes, devenues fantômes, des vivants. Dans une suite de soliloques entrelacés où le personnage principal parle de lui comme d’un étranger, se commentant lui-même, Johannes décrit ce moment où entre mort et vie, déjà mort sans en avoir conscience, il accepte d’une certaine manière son destin.
Dépouillement et nudité
Sur un large plan incliné qu’on pourrait croire plaque d’ardoise brute, un être émerge de l’obscurité. Johannes naît, pour le bonheur de ses parents, et avec lui naît la lumière. Elle mourra avec lui. Il va, au fil du temps, croiser les ombres de ceux qu’il aime, qu’ils soient vivants ou morts. Dans ce no man’s land dépouillé, entre deux mondes, se côtoient sa femme décédée et sa fille encore vivante. Son meilleur ami, un pêcheur dont les casiers de crabes nourrissaient le voisinage, a traversé la mer, tel le messager des Enfers, pour venir le chercher. Le Styx aux eaux étales de l’océan baigne le plateau monté sur pilotis. Les personnages pataugent dans cet océan originel et nourricier, matrice où tout commence et où tout finit. L’eau est la vérité première, le bain d’où l’on part et où l’on retourne quand est bouclé le cycle des années.
Rien ne vient déranger cette nudité ontologique, rien ne vient en troubler la pureté. La lumière sourd du fond de scène, elle se pose parfois un court moment sur les personnages, comme lorsqu’elle habille l’homme et son aimée d’éclats orangés provoqués par le miroitement intermittent des eaux dans le soleil couchant. Nous sommes dans l’os des vérités ultimes, dans une austère réflexion philosophique sur le néant dont nous sommes issus et auquel nous retournerons.
La magie du peu
Les personnages bougent à peine. Tout juste si un lever de bras, parfois, à rythme ralenti, étire dans le temps cette quasi absence de mouvement, si une étreinte esquissée introduit un peu de douceur dans ce monde aride, déjà dépouillé de ce qui fait la vie. Statiques, les personnages ne sont déjà plus des hommes, mais des concepts qui s’incarnent pour nous parler de la disparition de toute chose, et de nous-mêmes en particulier. Ils sont voix, rappelant en phrases simples les petites choses de la vie, l’affection, l’amitié, l’amour, mais aussi abstraction de la pensée immergée dans un monde qui n’a plus rien de réel et dont la matérialité – le sol, l’eau, le ciel en fond de scène – renvoie à l’élémentaire. Ils parlent et leur parole résonne, elle sonne juste.
Même si la fille de Johannes passe à travers lui sans le voir, on aurait tort de croire qu’ils sont purs esprits. L’immobilité, l’arrêt sur image que ces corps imposent leur confère une présence obstinée, un être-là manifeste. Gageure difficile, paradoxale, pour des comédiens que d’imposer une présence pour dire l’absence et le néant, mais pari réussi. La musique de Vincent Courtois se glisse à la perfection dans ce monde d’où le réel est évacué. Pour le spectateur, cette acceptation apaisante et résignée, presque religieuse, de la destinée humaine et de son nécessaire achèvement « là où il n’y a plus de mot » s’inscrit dans la lignée de ces films nordiques où s’exprime une foi austère. Peut-il en être autrement quand on vit dans le noir, une bonne partie de l’année, et que tant manque la lumière solaire ?
Matin et soir d’après Jon Fosse, traduit par Terje Sinding (éd. Circé)
Adaptation, scénographie et mise en scène : Antoine Caubert
Violoncelle, composition et interprétation : Vincent Courtois
Avec : Pierre Baux, Antoine Caubet, Marie Ripoll
Du 5 au 25 février 2019, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre de l’Aquarium – Cartoucherie de Vincennes
Route du champ de manœuvre – 75012 Paris
Tél. 01 43 74 99 61 – www.theatredelaquarium.net
TOURNÉE (en cours d’élaboration)
▪ 28 février 2019, Carré Sam, Boulogne-sur-Mer