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Arts-chipels.fr

La mécanique du cœur. Au rythme d’un tic tac d’horloge, une fable amoureuse entre mime, théâtre et art clownesque

La mécanique du cœur. Au rythme d’un tic tac d’horloge, une fable amoureuse entre mime, théâtre et art clownesque

Que deviendriez-vous si, à la place du cœur, on vous greffait un petit coucou de bois en vous interdisant toute émotion violente, l’amour en particulier ? Un joli spectacle tout public, plein de poésie et de fraîcheur.

Par un soir d’hiver glacial en Écosse, un enfant vient de naître. Il fait si froid que son cœur gèle. Pour lui permettre de survivre, Madeleine, qui a une « étincelle dans son regard […] mais comme un faux contact dans le sourire », qui répare les corps brisés et accouche les prostituées, lui greffe un coucou à la place du cœur La mécanique horlogère viendra au secours de Jack, ce déshérité de la vie qu’elle adopte et élève comme son propre fils. Mais la réparation est fragile, elle interdit la colère et les accélérations soudaines du palpitant lorsqu’il rencontre l’âme sœur.

L’amour dans la différence : un danger de mort et de vie

Mais peut-on vivre vraiment vivre sans ce piment qui fait les jours différents, l’air tantôt plus léger, tantôt plus chape de plomb, la vie plus aimable ou plus hostile ? Toujours est-il que Jack grandit avec son cœur-coucou, en butte aux moqueries permanentes de ses camarades de classe dont il devient le souffre-douleur car ne pas avoir un cœur comme tout le monde, c’est insupportable ! À force de vexations répétées, surgissent révolte et colère. Lorsqu’en plus sa route croise une petite goualeuse espagnole à la recherche permanente de ses lunettes, Miss Acacia, et que l’amour déboule, l’accélération est trop forte et Jack s’effondre. Réparé par Madeleine et escorté par Méliès qui se fait, lui l’abandonné par sa femme pour ne pas lui avoir consacré le temps qu’il fallait, conseiller ès séduction, il part quelques années plus tard à la recherche de cette femme entrevue et jamais oubliée pour lui offrir un bouquet de lunettes en guise de fleurs...

La mécanique du cœur. Au rythme d’un tic tac d’horloge, une fable amoureuse entre mime, théâtre et art clownesque

Dans le pays de nos enfances…

Autour de Jack gravite une galerie de personnages hauts en couleur : un ex-flic passionné de musique et passé à la clochardise qui trimballe ses refrains de par les routes, le cinéaste Georges Méliès, fantaisiste et imprévisible qui bricole dans son atelier les images enchantées de son Voyage dans la Lune facétieux, poétique et un peu potache, les créatures étranges de l’Extraordinarium avec son train fantôme où Jack, qui n’a jamais fait peur à personne, se fait engager lorsqu’il se lance à la recherche de sa belle. Mais sa quête n’est pas exempte de dégâts et la mort guette patiemment. Celle de Madeleine d’abord, privée de son rayon de soleil parti en quête de sa flamme à lunettes perdues. Celle, partielle, de Jack ensuite, qui, malgré ses retrouvailles avec Miss Acacia, ne parviendra pas à concilier les limites de son cœur de bois avec l’étendue de son amour. En l’arrachant de lui, il grandit… mais meurt, du coup, d’une certaine manière, à la pureté de l’enfance.

… Une évocation pleine de poésie et de délicatesse

Nous ne sommes pas dans le monde réel mais dans un univers imaginaire qui traverse l’espace et le temps, fait dialoguer les morts et les vivants, se situe d’emblée dans l’invraisemblable. Mais c’est cela qui est joli, cet improbable qui fait naître des images, des sourires, des chansons, qui fait fi de toute cohérence pour nous installer dans l’imaginaire avec son cortège d’images décalées et insolites. Un caddie de supermarché se métamorphose en fauteuil, on conserve des larmes dans des bouteilles pour noyer les jours d’affliction, on entrepose ses souvenirs d’enfance dans des œufs enfermés dans une cage. Une armoire se métamorphose en petit théâtre ou en fenêtre ou en guichet de vente. Un parapluie éclairé en dedans par une guirlande de Noël se fait projecteur sur lequel jouent ombres et lumières.

La mécanique du cœur. Au rythme d’un tic tac d’horloge, une fable amoureuse entre mime, théâtre et art clownesque

Une mise en scène épatante

Nul souci de réalisme dans cette évocation douce et pleine de fantaisie. Le visage passé au blanc, les comédiens adoptent les postures du clown, l’exagération grimaçante des expressions, l’outrance du mouvement qui en souligne l’intentionnalité. Chocs, chutes, roulés-boulés, déplacements d’un temps à l’autre, d’un lieu à l’autre, chants et musique live rythment un ensemble mené sans temps mort. Lorsque les comédiens reprennent les techniques du mime, on se prend à penser au Baptiste des Enfants du paradis de Marcel Carné ou au mime Debureau qui lui servit de modèle. Naïveté affichée et sur-jeu vont de pair. Les mouvements d’ensemble ont des allures de chorégraphie millimétrée où les hauteurs respectives, la diversité des expressions, la cohésion entre les personnages forment des tableaux hauts en couleur et en expressions. Les personnages, réduits à des archétypes, sortent parfois d’un élément du décor tels de petits diables rigolards surgis de leur boîte.

On s’attendrit, on se laisse séduire par la poésie qui sourd de cette accumulation baroque d’images, par cette « fille minuscule avec des traits d’arbre en fleur » dont la voix rappelle « le chant d’un rossignol, mais avec des mots » et on rit de ce clochard sur lequel on a greffé la musique et qui fredonne « When the saints go marchin’in ». Délicatesse ouvragée du texte et beauté plastique de la mise en scène concourent à faire de la Mécanique du cœur un spectacle à voir en famille mais aussi entre adultes si l’on a préservé cette part d’enfance qui fait palpiter les souvenirs et enchante encore les moments de notre vie de longues années après.

La Mécanique du cœur d’après le roman de Mathias Malzieu (éd. Flammarion)

Adaptation et mise en scène : Coralie Jayne

Avec : Clara Cirera (Miss Acacia), Nicolas Avinée/Pierre-Antoine Lenfant (Jack), Gabriel Clenet (Joe et Luna), Mylène Crouzilles (Madeleine), Maxime Norin/Gregory Baud (Mélièes) et Laurent Vigreux (Arthur)

Musiques : Laurent Vigreux

Meilleure mise en scène aux P’tits Molières 2017

La Folie Théâtre, 6 rue de la Folie-Méricourt – 75011 Paris

Du 12 avril au 24 juin 2018, jeudi à 19h3, samedi à 18h, dimanche à 16h30.

Tél : 01 43 55 14 80. Site : www.folietheatre.com

En tournée

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