29 Avril 2018
Samuel Maoz dénonce de façon virulente la militarisation à outrance de son pays et les dérives auxquelles elle conduit à travers le récit d’une double « bavure ». Un film qui fait froid dans le dos.
On sonne à la porte d’un appartement plutôt cossu. La mère ouvre, se trouve face à des militaires et tombe à la renverse. Ils se précipitent sur elle et lui plantent une seringue dans le corps comme s’ils l’agressaient. Ils viennent lui annoncer la mort de son fils, mobilisé dans l’armée. Le ton est donné. Hostilité muette du père, incrédulité, et l’envahissement des militaires dans l’appartement, jusqu’au rabbin qui règle tous les détails de l’enterrement pris en charge par l’armée. Un refus est opposé au père quand il demande à voir le cadavre de son fils. L’armée s’installe en maître dans les lieux comme dans les consciences, imposant ce qu’il faut penser et faire jusqu’à ce qu’une contre-nouvelle arrive. Il y a eu confusion de personne, c’est un autre Yonathan Feldmann qui est décédé. Stupeur du père qui exige, sans succès, qu’on ramène son fils afin de constater de visu sa « résurrection » avant de faire intervenir ses contacts pour obtenir ce qu’il demande.
Dieu que la guerre est laide !
La seconde partie nous transporte dans un baraquement de fortune qui s’enfonce lentement dans la boue. À l’intérieur, quatre soldats au milieu de nulle part. Ils gardent une frontière sur une route qui ressemble davantage à une piste. Une vieille barrière mangée par la rouille, avec l’immensité plate du désert de chaque côté. Tout juste si de temps en temps, la barrière s’élève pour laisser passer un dromadaire solitaire qui s’avance nonchalamment sur la route, ou quelques égarés inquiets de se trouver face à ces gamins équipés de mitrailleuses et de fusils.
Inexorablement le baraquement s’enfonce au fil des vérifications de véhicules et du pas lent du camélidé. On se croirait dans le Désert des tartares, avec ces soldats guettant un ennemi qui ne vient pas. Une attente vide, désœuvrée, dans un paysage où rien n’arrête le regard, dans un temps comme en suspension, à laquelle s’enchaîne cette question : à quoi bon ? À quoi rime cette barrière qui n’arrête rien, cette protection dérisoire qui sent l’abandon et la décrépitude ?
Mais voici qu’une voiture surgit. À l’intérieur quelques jeunes fêtards que l’absurdité de la situation semble amuser. Une jeune fille sourit. Autorisation leur est donnée de repartir lorsqu’une canette de bière tombe malencontreusement sur la chaussée. La paranoïa s’empare des soldats qui arrosent la voiture à la mitrailleuse : ils avaient cru à une grenade. La voiture finira enterrée par l’armée pour en faire disparaître toute trace tandis que Yonathan croque la situation sur son carnet…
Une mise en accusation qui emprunte aussi à la BD
La violence latente des rapports éclate à chaque séquence du film. Dans la relation des parents à l’autorité militaire qui les prend en charge, les réduit au silence et dans l’obstination hostile et farouche que le père leur oppose – Lior Ashkenazi est impressionnant de présence dans ses silences crispés. Dans les bandes dessinées que le fils élabore au fil du temps, où les pin-up ont les tétons barrés d’une large croix noire qui les occulte et où les personnages ont la bouche close par la même croix. Coercition à tous les étages, état policier et militaire, vérifications d’identité, suspicion, inanition des distractions des jeunes soldats qui s’initient au fox-trot, une danse dont le déplacement consiste à revenir au point de départ, bref à tourner en rond, qui est – ironie du sort – un terme du vocabulaire militaire : la terre promise laisse un goût amer. Plus : elle fait peur. Loin de l’espoir des premiers immigrés, elle offre avec l’idéologie de l’état de siège le désastreux spectacle d’une forme de totalitarisme.
Une fin qui laisse perplexe
La dernière partie rassemble les aventures des parents et du fils. Arrive l’ordre de rapatriement de Yonathan, dans ce silence qui a enfoui au cœur du désert toute trace de la bavure. Le camélidé, du haut de sa sagesse immémoriale, hante la piste du retour. Il provoquera l’accident du véhicule dans lequel le jeune homme trouvera la mort. Quant aux parents, que cette mort achève de briser, ils se séparent avant, finalement de se retrouver dans leur douleur commune. Toute l’histoire n’aura été qu’une suite de hasards malheureux… Après les coups de boutoir des deux premières parties, on a du mal à comprendre l’état de banalisation auquel revient le film : une mort bête pour le fils, une rupture et une réconciliation pour les parents – la vie quotidienne en somme. C’est bien dommage…
Foxtrot. Film franco-israélo-allemand de Samuel Maoz – 2018.
Écrit et réalisé par Samuel Maoz
Avec : Lior Ashkenazi (Michael Feldmann), Sarah Adler (Dafna Feldmann), Yonaton Shiray (Yonathan)…
Grand Prix du jury à la Mostra de Venise