2 Novembre 2017
Au début des années 1990, alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale mais aussi pour aider ceux qui sont atteints de la maladie. Au-delà de l’intérêt documentaire, ce retour en arrière s’ancre, au-delà des slogans, dans le quotidien de milliers de malades, sans pathos et avec une acuité bouleversante.
On rentre d’entrée de jeu dans le quotidien de ces années-là : les assemblées passionnées d’Act Up, « un groupe d’activistes qui vise à défendre les droits de toutes les personnes touchées par le sida » et leurs prises de parole parfois contradictoires, leurs actions coup de poing destinées à marquer l’opinion publique, le sentiment d’urgence et de vie – ou de volonté de survie – qui les anime. Il s’agit ici de faire bouger les lignes auprès des pouvoirs publics, des laboratoires engagés dans la recherche, de l’opinion publique pour lui faire comprendre la nécessité d’intervention ici et maintenant. Enfant de la société de communication, Act up rassemble des participants de tous bords : séropositifs ou négatifs, hémophiles contaminés, homos et hétéros, hommes et femmes, membres des familles.
Aventure collective, expériences individuelles
À cette plongée documentaire au cœur des années sida, Robin Campillo mêle des aventures individuelles, crée des personnages qui sont autant de spécificités et surtout d’individualités. Il y a d’abord Nathan. Nouveau venu dans le groupe, Nathan n’est pas malade. Son histoire lui a fait côtoyer de près cette mort qui l’épargne. Il tombe amoureux de Sean dont la radicalité s’accompagne d’un humour empli de désespoir. Sean se bat jusqu’à la limite de ses forces avec une hargne et un humour qui forcent l’admiration. Même au fond de son lit d’hôpital, mourant, il refuse de se laisser sombrer, de renoncer au plaisir, physique, qui forme une part nécessaire de sa vie. Nathan l’assiste, le regarde se dégrader et s’éteindre. Il l’aidera même à mourir. Mais la vie continue et le désir reste là. Il célèbrera la mort de Sean dans le lit d’un autre…
Vérité documentaire et réalité fantasmée
Cet espace du dedans des personnages, il nous est montré dans les scènes d’amour, lentes, ralenties, comme suspendues dans le temps. Mais il apparaît aussi au détour d’une image quand la Seine, à l’image de ces morts innombrables, se teinte de rouge sang. Il naît aussi du choc des histoires comme le rapprochement d’une manifestation d’Act Up avec un texte sur la Commune. Car c’est, au-delà de l’aspect militant, là que réside le film : dans cette nécessité de nous faire voir le dedans des choses, de retourner la peau pour voir ce qui s’agite dessous. Les 120 battements par minute, ce n’est pas le moment où nous vivons notre vie de tous les jours mais celui où le rythme cardiaque s’accélère, où l’urgence se fait jour.
Une plongée au cœur du quotidien
Le film ne se contente pas de montrer cette rage au ventre qui anime ces jeunes engagés pour leur survie, cette volonté farouche de profiter des moments qui leur sont donnés de reste, cette tension permanente qui les fait exister, leur donne envie de bouger, cette soif de vivre. Il montre aussi des aspects moins connus mais tout aussi terribles : la ronde des soins médicamenteux et leurs conséquences sur l’organisme, cette double peine que sont la maladie et son traitement ; les nécessités concrètes, logistiques, qui régissent la vie – et la mort – de ceux qui doivent mourir, de ceux qui vont mourir. On n’est plus à côté, en train de voir, d’analyser ce qui se passe, mais dedans, aux côtés de ceux qui souffrent et de ceux qui les accompagnent. Là réside sans doute la force du film : dans cette proximité qui ne fait plus du sida une abstraction mais une réalité qui nous concerne tous.
120 battements par minute. Film de Robin Campillo - 2017
Grand Prix du Festival de Cannes
Réalisé par Robin Campillo
Scénario : Robin Campillo, avec la collaboration de Philippe Mangeot
Avec : Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haennel, Antoine Reinartz, Felix Maritaud, Aloïs Sauvage…