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Arts-chipels.fr

Le Redoutable. Un Louis Garrel épatant campe un Godard en pleine dériv

Le Redoutable. Un Louis Garrel épatant campe un Godard en pleine dériv

Règlement de comptes ou analyse désabusée des errances de toute une génération ? Cette évocation sans complaisance du Godard des années 1968 ne peut que laisser songeur ceux qui ont vécu peu ou prou cette période.

Tirée du livre d’Anne Wiazemsky, cette évocation sans complaisance du Godard des années 1968 que la très jeune fille de l’époque épousa nous livre une vision assez critique du réalisateur. On y découvre un Godard en plein doute à la suite du mauvais accueil de la Chinoise, déstructuré, cherchant ses repères, qui trouve dans les ferments révolutionnaires une nouvelle raison de vivre, mais aussi, dans son comportement quotidien, un époux finalement assez traditionnel qui considère qu’il est du devoir de son épouse de l’escorter en toute occasion.

Quand un génie du cinéma entre en crise

Certes Godard reste – et restera pour longtemps – le réalisateur d’À bout de souffle et de Pierrot le Fou, ce magicien du cinéma qui révolutionna, à l’aube des années 1960, avec ses petits camarades de la Nouvelle Vague, la vision qu’on avait du 7e art. Certes il demeure un maître de la caméra, ce merveilleux faiseur d’images qui passait son temps à déconstruire, à critiquer, à mettre à distance la beauté même des plans qu’il nous proposait, l’homme des rapprochements vertigineux entre les gestes d’une ouvrière et une peinture de Tintoret, celui du portrait-charge de la bourgeoisie de Week-end, véritable jeu de massacre s’étalant sur le parcours entrecoupé d’embouteillages et d’accidents du couple en déconfiture de Jean Yanne et Mireille Darc.

Mais en 1968, comme beaucoup d’autres, peut-être avec plus de hargne, de morgue et d’aplomb, Godard dynamite Godard comme il dynamite la société, ou plutôt comme la société se dynamite elle-même. Le grand rêve du pouvoir populaire est à nos portes, Mao – qui ne s’appelle pas encore Zedong mais Tsé-Toung – fait des adeptes qui brandissent fièrement le Petit livre rouge comme un flambeau. On fusille en esprit les contre-révolutionnaires, on honnit le tiède, le non-engagé. L’art se doit d’être révolutionnaire ou de ne pas être. C’est dans la rue que s’écrit l’histoire.

Alors Godard, avec sa figure de perdant magnifique, doute de lui-même. Il brûle ses idoles, pratique la table rase dans l’attente d’un futur forcément radieux où il sera parcelle au lieu d’être le tout, pris dans le vent de l’Histoire au lieu de s’en faire le héraut. Ce faisant, il se brûle lui-même, réduit en cendres son pouvoir créateur qui ne lui paraît plus à la mesure de l’Histoire.

Le Redoutable. Un Louis Garrel épatant campe un Godard en pleine dériv

L’art ou l’histoire ?

C’est ce moment que saisit Michel Hazanavicius. Godard se trompe, mais avec la superbe qui le caractérise. Il n’est pas de demi-mesure, il y passe le bras, la tête et la caméra, au risque de se perdre. C’est dans doute ce que voit Anne Wiazemsky, la jeune fille pour qui l’art a encore un sens et qui ne comprend pas comment peut se perdre un talent, un génie comme celui de Godard. La rumeur a fait vent de règlements de compte. C’est bien peu faire cas du contexte historique. Godard à ce moment ne fait rien d’autre que de s’inscrire dans le mouvement d’auto-culpabilité qui agite la jeune bourgeoisie au nom d’idéaux qui renvoient à la révolution populaire. Il épouse, fait sienne la remise en question de tous les fondements – fussent-ils légitimes. Et la fiction cinématographique, art de l’illusion par excellence, en fait partie. Le statut de créateur aussi.

Godard s’est-il perdu dans les méandres de la révolution permanente ? On peut le penser. Mais on peut penser aussi qu’il a, en dépit de ses dénégations, continué de créer une autre manière de voir, d’analyser le réel, de penser la fiction. On peut regretter que ce fantastique metteur en images ait refusé d’aller au bout de son talent. Mais lorsque l’époque a passé, que les vents révolutionnaires se sont taris, il est resté campé sur sa volonté d’être ailleurs, de contester la matière filmique, de jouer avec elle tout en la dénonçant.

Garrel dans tous ses états

Louis Garrel accomplit une performance d’acteur extraordinaire. Il adopte les tics de Godard, ses attitudes, son léger zézaiement. Il se glisse dans la peau du personnage pour lui apporter toute l’épaisseur qu’on attend de ce personnage si considérable. On rit des bons mots et des réflexions acerbes, on mesure son alacrité, on se désole de l’état de perdition du réalisateur à ce moment-là. Louis Garrel n’est pas Godard. Il joue Godard, comme un ultime clin d’œil, peut-être, à ce champion du regard sur, de la mise en question, de la mise en critique.

Mais au-delà du personnage et du biopic, le film, en décortiquant sans complaisance ce moment charnière où l’œuvre de Godard bascule, déroule l’interrogation sur ce que nous-mêmes avons fait de nos espoirs et de nos rêves et sur les reculades et les retours en arrière qui n’ont cessé de suivre les événements de mai. Alors qu’on va célébrer – sans doute en grande pompe – le cinquantenaire de mai 68, Godard s’est peut-être trompé, mais nous aussi.

Le Redoutable. Film français - 2017

Réalisé par Michel Hazanavicius

Avec : Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Micha Lescot. Participation de Jean-Pierre Mocky

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