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Arts-chipels.fr

L’Autre voyage de Franz Schubert. Parcours achevé d’une œuvre inachevée.

Stéphane Degout (L’Homme), Chadi Lazreq (L’Enfant) © Stefan Brion

Stéphane Degout (L’Homme), Chadi Lazreq (L’Enfant) © Stefan Brion

Schubert est passé tel un météore dans le paysage musical romantique, laissant derrière lui un nombre considérable d’œuvres inachevées. En découvrir la richesse est le propos de ce spectacle qui tire de ce fonds inconnu un florilège dont la trame reprend les thèmes majeurs chers au compositeur.

Franz Schubert est mort à trente-et-un ans d’une syphilis qu’on soignait alors au mercure, ce qui ne contribuait guère au rétablissement du malade, foudroyé alors que sa notoriété commençait à prendre forme. Son catalogue compte plus de mille œuvres dont près d’un tiers est inachevé, et parmi elles quelques opéras, parfois embryonnaires, qui constituaient le moyen par excellence à l’époque de se faire connaître. Jamais achevés ou, pour les rares terminés, jamais joués ou avec un nombre si restreint de représentations qu’ils ne lui apportèrent aucune notoriété, ils restent totalement inconnus du grand public. Si l’on ajoute des lieder, qui sont la marque de fabrique de Schubert, et des pièces instrumentales, on complète le paysage dans lequel Raphaël Pichon et Silvia Costa ont plongé, écartant les pièces d’intérêt médiocre ou convenues pour faire émerger de la gangue les pépites. Un travail de longue haleine sur les marges de la création musicale, un thème cher à Raphaël Pichon parce que s’y s’inscrit l’œuvre en devenir, qui fait émerger, chez Schubert, des mélodies poignantes dans leur fallacieuse simplicité, qui révèlent une sensibilité à fleur de peau.

Stéphane Degout (L’Homme), chœur Pygmalion © Stefan Brion

Stéphane Degout (L’Homme), chœur Pygmalion © Stefan Brion

Un patchwork devenu œuvre

C’est au terme d’un long travail d’écoute et de tri qu’émerge l’idée de théâtraliser cette sélection en partant des thèmes chers à Schubert, qui nous racontent aussi le romantisme : la nostalgie, l’errance, le doute, la mélancolie, la solitude, l’élévation spirituelle. Ainsi commence cet Autre voyage qui entraîne le spectateur sur les rives d’un Styx qui hante Schubert pourtant plongé dans la convivialité amicale qui préside aux Schubertiades, ces réunions musicales où œuvres poétiques et jeux théâtraux avaient leur part. Reconstruction à partir de fragments pris dans diverses œuvres, l’Autre voyage recrée, à partir de ces extraits, une trame dramatique dans lequel les thèmes de prédilection du compositeur apparaissent.

Siobhan Stagg (L’ Amour) © Stefan Brion

Siobhan Stagg (L’ Amour) © Stefan Brion

Une aventure en terre inconnue

Le thème de la mort ouvre le bal. Une Parque tisse le fil rouge de la vie qu’elle finira par couper. La découverte d’un cadavre succède à ce tableau emblématique. Elle nous projette dans le monde contemporain et le médecin légiste qui le dissèque y reconnaît son propre visage. On remonte, de fil en aiguille, dans l’histoire de ce personnage qui porte le deuil de son fils jusqu’à l’évoquer vivant pour parvenir à une sublimation de cette perte qui en est en même temps son acceptation. Dans cet enchaînement de tableaux qui nous fait remonter, d’une certaine manière, de la mort à la vie, on retrouve l’onirisme cher au romantisme. Le thème du double y tisse une toile dense, à travers la figure de l’homme vivant qui se découvre mort, comme une image à double face d’une dépossession de soi entre comportement extérieur et réalité profonde, jeu social et impossibilité d’exprimer sa propre nature. Mais il se retrouve aussi, sous une autre forme, dans la projection père-fils, la mort du fils incarnant la part d’enfance disparue avec laquelle le poète se réconciliera à la fin dans un ailleurs de la pensée. Se dessine aussi dans le spectacle un autre thème caractéristique du romantisme : le roman noir ou roman gothique qui, pénétrant dans les profondeurs de l’âme humaine, erre, comme le double, dans les forêts-labyrinthes de l’inconscient.

Chœur Pygmalion © Stefan Brion

Chœur Pygmalion © Stefan Brion

La reconstruction musicale de l’Autre voyage

Le spectacle commence par la référence au joueur de vielle qui clôt Winterreise, le Voyage d’hiver, mais déjà s’en éloigne pour nous en livrer une réécriture par Brahms, Einförmig ist der Liebe Gram (le Chagrin de l’amour est monotone), leitmotiv des amours impossibles de Schubert. La Parque à son rouet, clin d’oeil à Marguerite à son rouet que le jeune homme de vingt ans envoie au vieux Goethe qui ne lui répond pas, incarnée par la soprano Siobhan Stagg, célèbre la cohabitation de l’amour avec la mort, omniprésente dans l’œuvre du musicien. On abandonne très vite toute référence à des œuvres connues du compositeur dans un parcours qui mêle les lieder, tels Der Doppelgänger (le Sosie) sur un poème d’Heinrich Heine ou Nacht und Träume (Nuit et rêves) d’après un texte de Matthäus von Collin, les opéras – Adrast, die Zwillingsbrüder (les Frères jumeaux), Lazarus, Sakontala, Alfonso und Estrella, Fierrabras, Rosamunde – et la musique sacrée.

Stéphane Degout (L’Homme), Siobhan Stagg (L’ Amour), chœur Pygmalion © Stefan Brion

Stéphane Degout (L’Homme), Siobhan Stagg (L’ Amour), chœur Pygmalion © Stefan Brion

Dans le cœur du spectacle

Quatre personnages hantent la reconstruction qui suit le prologue orchestré, comme dans la grande tradition de l’opéra, avec le concours de Robert Percival : l’Homme, père et médecin, incarné par Stéphane Degout , l’Amour, aussi mère et femme, qu’interprète Siobhan Stagg ; l’Amitié, incarnée par Laurence Kilsby et l’Enfant, en la personne de Chadi Lazreq. L’apport de l’orchestre et des chœurs de l’Ensemble Pygmalion et de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique complètent la palette musicale de l’œuvre schubertienne, de la forme orchestrale au lyrique et au sacré. Il faut saluer la délicatesse et la finesse d’interprétation des solistes et l’unité qu’ils forment avec l’orchestre – peut-être un peu trop plein de vigueur – et les chœurs ainsi que le soin apporté à la mise en scène. Les projections de films de la vie courante tournés par des amateurs, issus des collections du fonds d’archives de Bologne, Home Movies, que le super 8 projeté en grand écran rend floues et comme irréelles, contribue à installer ce voyage en plein cœur du quotidien en même temps qu’il l’ancre dans l’imaginaire, dans une exploration mentale, symbolique.

De cette « dramatisation » de l’œuvre de Schubert naît un nouvel objet qui apparaît comme un commentaire musical en même temps qu’il présente une œuvre. Sa force est en même temps le signe de sa fragilité dans la mesure où l’on ne distingue plus les apports des sources qui leur ont donné naissance. Cela n’empêche pas que le pari soit réussi. Œuvre grave, l’Autre voyage rend bien compte de la personnalité musicale d’un jeune homme tourmenté qui, sous des dehors affables, masquait les affres de son inachèvement et de sa recherche de lui-même.

Chadi Lazreq (L’Enfant), Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique © Stefan Brion

Chadi Lazreq (L’Enfant), Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique © Stefan Brion

L’Autre voyage d’après Franz Schubert

S Direction musicale Raphaël Pichon S Mise en scène et décors Silvia Costa S Collaboration aux décors Michele Taborelli S Dramaturgie Antonio Cuenca Ruiz S Adaptation des textes Raphaëlle Blin S Costumes Laura Dondoli S Lumières Marco Giusti S Réalisation vidéo Laura Dondoli S Assistant musical Jordan Gudefin S Assistante mise en scène Laura Ketels S Assistante costumes Léonor Boyot-Gellibert S Chef de chant Mathieu Pordoy S Interprètes Stéphane Degout (L'Homme), Siobhan Stagg (L'Amour), Laurence Kilsby (L'Amitié), Chadi Lazreq (L'Enfant) S Orchestre et chœur Ensemble Pygmalion S Chœur d'enfants Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique S Sources musicales, extraits de : Einförmig ist der Liebe Gram (Schubert / Brahms), Ouverture in c. moll D.8 (orchestration Robert Percival), Grab und Mond D.803, Lazarus D.689, Fierabras D.796, Deutsche Tanz D.89 n° 5, Rosamunde D.797 n° 6 & 3b, Adrast D.137, Alfonso und Estrella D.732, Der Doppelgänger D.957 n° 13, Gruppe aus dem Tartarus D.583, Licht unf Liebe D.352 (orchestration Robert Percival), Die Zwillingsbrüder D.647 n° 6, Deutsche Messe D.872 n° 7, Nacht und Träume D.827 (orchestration Max Reger), Sacontala D.701 (orchestration Robert Percival) S Production Opéra-Comique S Coproduction Opéra de Dijon S Spectacle en allemand surtitré en français et en anglais S Durée 1h40

Les 1er, 3, 5, 7 & 9 février 2024 à 20h, le 11 février à 15h

Opéra-Comique, Salle Favart – 1, place Boieldieu, 75002 Paris

01 70 23 01 31 www.opera-comique.com

6 & 8 mars 2024, Opéra de Dijon

Diffusion France Musique le 9 mars 2020 à 20h

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