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Arts-chipels.fr

Un précurseur de Vermeer et un dessinateur singulier, hôtes de la Fondation Custodia à Paris

Jacobus Vrel, Femme à la fenêtre, daté 1654. Huile sur bois. – 66,5 × 47,4 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. GG 6081

Jacobus Vrel, Femme à la fenêtre, daté 1654. Huile sur bois. – 66,5 × 47,4 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. GG 6081

Deux artistes sont présentés par la Fondation Custodia du 17 juin au 17 septembre 2023. On y découvre, au-delà de Vermeer, un artiste inconnu de la peinture néerlandaise du XVIIIe siècle, Jacobus Vrel, et sa relation avec son époque. Et comme il est d’usage à la Fondation, un dessinateur contemporain, Rein Dool, vient occuper le second lieu d’exposition.

La Fondation Custodia, hébergée dans l’ancien hôtel Turgot, rue de Lille, présente chaque fois ses expositions de manière duelle. Au premier étage, une exposition, souvent réalisée en partenariat avec d’autres musées ou institutions artistiques, qui s’inscrivent dans le passé de l’histoire de l’art. Au sous-sol, une exposition monographique consacrée à un artiste néerlandais contemporain. Un dessinateur, puisque la Fondation a, au départ, été créée pour abriter, entre autres, les très importantes collections de dessins anciens, d’estampes et de lettres d’artistes de Frits Lugt et de son épouse. Des fonds mis à la disposition du public à travers la mise en ligne de plus de 1 800 fiches. Et des catalogues édités à l’occasion des expositions.

Jacobus Vrel, énigmatique précurseur de Vermeer rassemble des œuvres majeures du peintre disséminées dans les grands musées – Amsterdam, Bruxelles, Détroit, Munich, Vienne… Présentée au Mauritshuis de La Haye, l’exposition devait aussi figurer, à l’automne 2020, au programme de la Alte Pinakothek de Munich, partenaire de la recherche effectuée à cette occasion, mais elle a dû être annulée en ce lieu en raison de l’épidémie de covid. La seconde exposition, consacrée au dessinateur Rein Dool, présentée en partenariat avec le Dordrechts Museum, comprend des prêts du musée ainsi que du Rijksmuseum d’Amsterdam.

Jacobus Vrel, Paysage avec deux hommes et une femme conversant, avant 1656. Huile sur bois. – 37 × 28 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. GG 580

Jacobus Vrel, Paysage avec deux hommes et une femme conversant, avant 1656. Huile sur bois. – 37 × 28 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. GG 580

Jacobus Vrel, un peintre énigmatique

C’est à un véritable jeu de piste que se sont livrés les historiens de l’art qui se sont intéressés à ce peintre dont ne demeurent aujourd’hui que quarante-neuf tableaux recensés – l’exposition en présente vingt-deux – tous peints sur bois, et un dessin, conservé par la Fondation, lui aussi exposé. Parce que du peintre nous ne savons rien, ni où il résidait, ni où il exerçait, ni d’où il était originaire, ni quelle fut sa vie. La seule piste dont disposaient les chercheurs était la mention faite de deux de ses œuvres dans la collection de l’archiduc Léopold Wilhelm, gouverneur des Pays-Bas du Sud (l’actuelle Belgique) alors sous tutelle espagnole des Habsbourg, lors d’un inventaire réalisé en 1659. Le signe d’une certaine notoriété. La seule autre datation connue se trouve sur l’un de ses tableaux où est mentionné « 1654 ». Pour corser le tout, si le peintre signe ou monogramme ses œuvres (pour celles qui sont connues), la manière dont il orthographie son patronyme varie d’un tableau à l’autre – Frel, Vrel, Vrell, Vrelle – assorti de l’initiale de son prénom ou de « Jacobüs ». Si les recherches ont été nombreuses et en divers lieux et villes, elles n’ont cependant pas permis de lever le mystère. Jacobus Vrel restera le peintre qu’on ne peut approcher que par son œuvre… L’homme et son parcours nous resteront étrangers, du moins jusqu'à ce qu'une nouvelle piste, un jour, se révèle.

Jacobus Vrel, Intérieur, femme peignant une fillette, un garçon près de la porte. Huile sur bois. – 55,9 × 40,6 cm. Détroit, The Detroit Institute of Arts, don de M. Knoedler & Co., 1928, inv. 28.42

Jacobus Vrel, Intérieur, femme peignant une fillette, un garçon près de la porte. Huile sur bois. – 55,9 × 40,6 cm. Détroit, The Detroit Institute of Arts, don de M. Knoedler & Co., 1928, inv. 28.42

Un précurseur de Vermeer

Vrel n’est cependant pas un inconnu et les historiens et critiques qui se sont intéressés à lui ont longtemps pensé, compte tenu des parentés existantes entre son œuvre et celle de Johannes Vermeer, qu’il en était un suiveur. Des recherches entreprises pour préparer l’exposition, on sait aujourd’hui que ses œuvres ont été réalisées autour de 1650 et qu’elles sont antérieures à la production de Vermeer – celui-ci est admis comme maître à la guilde de Saint-Luc de Delft en 1653. Si Jacobus Vrel développe des thèmes et des modes d’approche de la peinture qui rappellent ceux de Vermeer, ce n’est pas en raison d’une influence que ce dernier aurait exercé et, même si l’on peut trouver des similitudes à ces femmes aux fenêtres, avec la même fascination pour ce que la fenêtre fait passer, la palette de Vrel le rapprocherait, avec ses teintes brunes, un peu éteintes et étouffées, plutôt d’Hammershøi que de la luminosité des couleurs de Vermeer. La manière d’aborder le portrait féminin diffère aussi totalement. Là où Vermeer présente les femmes de face, le visage tourné vers le spectateur, en adresse directe, Vrel les montre de dos, comme absentes, absorbées par leurs occupations.

Jacobus Vrel, Femme saluant un enfant à la fenêtre. Huile sur bois. – 45,7 × 39,2 cm. Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 174

Jacobus Vrel, Femme saluant un enfant à la fenêtre. Huile sur bois. – 45,7 × 39,2 cm. Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 174

Un choix novateur de thèmes

Par ailleurs, Vrel s’empare de sujets qui ne figurent pas encore dans le répertoire esthétique de son temps. Car ce qu’il campe, à travers ses peintures, ce ne sont pas des nantis dans un décor opulent, pas plus que des sujets nobles. Il fait le choix des gens du commun, de ces anonymes saisis dans leurs occupations quotidiennes : une femme qui veille un malade, une vieille penchée à sa fenêtre qui observe un enfant dont la face apparaît à travers le carreau, une femme reprisant un bas, une autre occupée à son baquet ou attisant le feu. Jamais complètement de face, souvent de dos, concentrées sur des occupations triviales, elles n'ont pas d'individualité réelle. Quant au décor, point de tapisseries au mur. Nul luxe. Leur environnement quotidien, ce sont de modestes chaises paillées, des manteaux de cheminée agrémentés de faïences, des poteries, des paniers tressés.

Jacobus Vrel, Scène de rue animée. Huile sur bois. – 39 × 29,3 cm. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, inv. 16502

Jacobus Vrel, Scène de rue animée. Huile sur bois. – 39 × 29,3 cm. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, inv. 16502

Des villes imaginaires ?

Aux scènes d’intérieur font pendant des scènes de rues d’une étonnante modernité dans l’organisation géométrique qu’elles accordent aux façades. Là encore, localiser les endroits représentés s’est avéré quasi impossible, même si des historiens de l’urbanisme ont rapproché certaines vues de la topographie de la ville de Zwolle. Reproduisent-elles un univers familier pour ceux auxquels s’adresse le tableau ou sont-elles pensées comme une généralisation, un concept de ville et, plus particulièrement, de quartier populaire où se bousculent, presque les unes sur les autres, des maisons accolées toutes de bric et de broc ? Des fenêtres en bandes dont le percement est grossièrement enduit, des maisons de brique dont les murs apparaissent chaulés à la va-vite et sans souci de l’esthétique contribuent à poser la question des destinataires de ces tableaux, tant leur traitement apparaît insolite – c’est un peu plus tard, dans la deuxième moitié du siècle, que ces sujets rentreront dans le répertoire de la peinture. Ces tableaux ont cependant un public puisque Jacobus Vrel les duplique, amortissant l’investissement en temps et en énergie mis à composer le sujet. De ce que les recherches ont pu livrer, on pense que les copies sont l’œuvre du peintre lui-même, ce qui tendrait à dire que sa notoriété n’était peut-être pas telle qu’elle lui permette d’entretenir un atelier.

Jacobus Vrel, Scène de rue avec une boulangerie près d’un rempart. Huile sur bois. – 50 × 38,5 cm.Hambourg, Hamburger Kunsthalle, inv. 228

Jacobus Vrel, Scène de rue avec une boulangerie près d’un rempart. Huile sur bois. – 50 × 38,5 cm.Hambourg, Hamburger Kunsthalle, inv. 228

Un univers de l’enfermement

Les paysages urbains livrent des horizons bouchés, presque dépourvus de ciel, un enfermement des hommes dans des façades enchevêtrées peuplées de silhouettes affairées qui semblent prises au piège d’un décor où les fenêtres jouent un rôle prépondérant. Presque toutes les scènes représentées – y compris, d’ailleurs, les scènes d’intérieur – montrent des personnages placés sous le regard des autres, comme dans un processus de surveillance généralisée. Ils sont observés derrière la vitre, suivis par des personnages penchés à la fenêtre, qui regardent ce qui se passe en contrebas. Les commérages vont bon train dans le marigot où les personnages sont plongés. L’observation dont ils sont l’objet a pour corollaire la neutralité des attitudes. Même saisis en pleine conversation, ils restent archétypaux, évocateurs d’une situation plus que pris pour eux-mêmes.

Gerard ter Borch (1617 – 1681), La Chasse aux poux, vers 1652-1653. Huile sur bois. – 33,2 × 28,7 cm. La Haye, Mauritshuis, inv. 744

Gerard ter Borch (1617 – 1681), La Chasse aux poux, vers 1652-1653. Huile sur bois. – 33,2 × 28,7 cm. La Haye, Mauritshuis, inv. 744

Jacobus Vrel et son temps

Trois salles de l’exposition sont consacrées aux contemporains hollandais du peintre ayant traité des sujets similaires, en intérieur comme en extérieur. Mais Vrel reste le premier peintre du Siècle d’or hollandais à avoir choisi de se consacrer aux scènes de genre, de traiter un sujet sans événement historique ou fait marquant. On découvrira parmi les œuvres contemporaines une Jeune femme épluchant des pommes de Cornelis Bischop (1667), un peintre de Dordrecht qui préfère aux maisons de la classe moyenne de Vrel des demeures plus luxueuses, ou une scène de mère épouillant son enfant par Gerard ter Borch le Jeune (v. 1652-1653), mais aussi de nombreux tableaux qui permettent de mettre en parallèle Vrel et les peintres de son époque, qui utilisent tous un répertoire de motifs similaires. Rembrandt van Rijn, Esaias Boursse, Pieter Jansens, dit « Eliga », Claes Hals, Jan Steen et bien d’autres introduiront un dialogue pictural avec Vrel, ainsi que les gravures de Geertruyd Roghman, seules œuvres féminines à figurer dans l’exposition. Des vues de villes de Haarlem, Amsterdam, Leyde, Zwolle ou Bois-le-Duc permettront de confronter la vision de Vrel avec celle d’autres peintres de son époque.

Enfant unique, 1970. Crayon et gouache. – 320 x 420 mm. Collection de l’artiste. Photo © Adriaan van Dam

Enfant unique, 1970. Crayon et gouache. – 320 x 420 mm. Collection de l’artiste. Photo © Adriaan van Dam

Rein Dool, les Dessins au cœur

Côté contemporain, Rein Dool, né à Leyde en 1933, a pratiqué la peinture, l’estampe et le portrait aussi bien que la sculpture ou la céramique. Mais c’est le dessin qui est au fondement de son travail, le médium par lequel se manifeste le plus directement son expression. Retracer le parcours de son œuvre dessiné en en suivant la chronologie, du début des années 1970 à nos jours, en accordant une place particulière aux œuvres récentes, forme le propos de cette exposition. Elle commence par le rappel des années d’enfance avec son père ferrailleur, aux convictions anarchistes et communistes, qui règne en despote sur une famille complètement isolée socialement. Désir de reconnaissance, amour et crainte accompagnent le sentiment de solitude qui émane de ces premières années, marquées par la maladie, un rhumatisme articulaire aigu qui le cloue au lit, en quarantaine, pendant des mois. Lorsqu’il en réchappe, c’est pour affronter les années de guerre au cours desquelles une tante providentielle lui fournit du papier en abondance. Il ne cessera plus de dessiner et fera, à Leyde, un apprentissage en tant que lithographe.

Mûrier, 2001. Fusain et aquarelle. – 620 x 790 mm. Collection de l’artiste. Photo © Adriaan van Dam

Mûrier, 2001. Fusain et aquarelle. – 620 x 790 mm. Collection de l’artiste. Photo © Adriaan van Dam

Une œuvre dessinée multiforme

On mesure l’étendue des talents de Rein Dool à travers la diversité des matériaux et des techniques qu’il utilise tout au long de sa vie. Pratiquant l’eau-forte, le dessin à la plume à l’encre, de Chine ou pas, le pinceau, la craie lithographique, la gouache mais aussi le fusain, le pastel et les crayons de couleur, recourant parfois au lavis ou à l’aquarelle, voire même à la tempera au rouleau, il en mêle aussi les techniques. De la même manière, il tire parti du support sur lequel il dessine, en exploitant, par exemple, au fusain la granulation particulière du papier oriental sur lequel il dessine. Ainsi s’élabore une œuvre où le délimité, le tracé, la forme pleine, parfaitement définie, le dispute à des effets produits par un tramage pointilliste plus ou moins appuyé de la densité colorée.

Wantijpark (Dordrecht), 2015. Fusain sur papier oriental. – 700 x 970 mm. Dordrechts Museum, Dordrecht, inv. DM/021/T2009. Photo © Jørgen Snoep

Wantijpark (Dordrecht), 2015. Fusain sur papier oriental. – 700 x 970 mm. Dordrechts Museum, Dordrecht, inv. DM/021/T2009. Photo © Jørgen Snoep

Entre dessin traditionnel et art moderne

Figuratifs, tous les dessins de Rein Dool le sont, même si parfois certaines œuvres, telle une vue de l’île de Skye en Écosse (2001) qui semble s’étirer tout en ombres chinoises et en lumière, prennent les allures abstraites de la rêverie nées de la mouvance des formes ; ou si la géométrie s’invite, comme dans les années 2019-2020, pour rejoindre les figures humaines simplifiées et réduites à une suite de courbes qui sont caractéristiques de l’artiste. Mais c’est dans le traitement même de la figuration qu’on reconnaît la force particulière qui émane d’une réduction à gros traits du sujet ou qui naît au contraire de la complexité de l’agencement des formes qui explore les possibilités du médium. Brossés pour dessiner un mouvement, granuleux pour matérialiser des amas, floutés pour dire les lointains, les paysages offrent une diversité fascinante où le réalisme le dispute à l’artificialisation créée par le dessin et affirmée comme telle. Et lorsque la couleur s’invite, dans les années 2017-2018, c’est en teintes franches, lumineuses et bien découpées qu’elle accompagne ces figures ondoyantes qui rejoignent la cohorte volontairement schématique des personnages des années 1970.

Dans leur diversité même, les dessins De Rein Dool donnent à voir l’étendue des recherches qui jalonnent plus d’un demi-siècle d’activité de ce voyageur qui d’Égypte au Sénégal, de Birmanie au Canada ou d’Espagne en Russie quand ce n’est pas d’Écosse en Ardèche reste cependant attaché à ce coin de Dordrecht où il se fixe.

Île de Skye (Écosse), 2001. Pinceau et bistre sur papier oriental. – 245 x 315 mm. Collection de l’artiste. Photo © Adriaan van Dam

Île de Skye (Écosse), 2001. Pinceau et bistre sur papier oriental. – 245 x 315 mm. Collection de l’artiste. Photo © Adriaan van Dam

Jacobus Vrel, énigmatique précurseur de Vermeer et Rein Dool. Les dessins

Fondation Custodia – 121, rue de Lille, 75007 Paris www.fondationcustodia.fr

Du 17 juin au 17 septembre 2023, 12h-18h (sf lundis)

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