10 805 maux. Quatre jeunes gens dans le vent d’un monde en crise.

En forme de jeu de massacre où se croisent et s’affrontent questionnements politiques, désirs individuels et espérances professionnelles, ce raccourci évoque une jeunesse qui peine à trouver sa place dans la société d’aujourd’hui.

Ils sont quatre. Deux garçons et deux filles. Ils viennent d’horizons différents, ont des histoires familiales divergentes, un background qui, avec leur approbation ou en dépit d’eux, les a façonnés. Étudiants aux Beaux-Arts, ils ont formé un groupe, uni leurs aspirations et leurs rêves pour accéder à la reconnaissance. Ce soir-là, justement, c’est la consécration attendue. Le Tout-Paris de l’art se trouve rassemblé pour voir leur travail. mais l’un d’eux, d’un coup, sur une impulsion, « disjoncte » et commet l’irréparable, qui provoque la fuite des invités et l’arrêt de la soirée. Les règlements de compte – en 10 805 mots qui sont autant de maux – vont faire apparaître les failles et les fractures de l’entité commune qu’on regroupe sous le nom de « jeunesse ».

Un quatuor qui se déchire

Il vient d’ici et d’ailleurs, et de milieux différents, ce groupe qui rassemble des personnalités aussi différentes que la délurée Victoire, impeccable gravure de mode dans sa tenue blanche, Tom le taiseux, plus enclin à confier à sa guitare ses états d’âme qu’à les exprimer ou Lola la silencieuse, transfuge de classe dans ce milieu qui ne lui ressemble pas et que la situation fera sortir de son mutisme. Il y a enfin Camille, chef de bande dictatorial assez macho, qui a sur tout un avis définitif et lapidaire, le leader en herbe, vindicatif et politisé. Et justement c’est par son acte de provocation inouï – une manière de dire « je chie sur l’institution et sur ceux qui la représentent, les galeristes, symboles de la réussite et de l’establishment » – qu’il a sonné le glas des espérances de vie et de carrière des autres membres du groupe.

Un grand déballage sur le mode de la frénésie et de l’excès

Alors, ce soir-là, c’est le moment du lavage du linge sale en famille et des règlements de compte. À l’intransigeance politique de Camille répondent les situations de chacun, leurs rapports à l’amour, au passé familial, au sexisme, au désir, leurs rêves de s’en sortir, leurs manières d’aborder les compromissions, de penser leur futur. Ils sont de plain-pied dans leur époque, notre époque, immergés dans les réseaux sociaux, les hashtags et les fake news, en permanence branchés sur youtube et instagram, dans le monde de l’info minute et tant pis si elle n’est pas juste. Ils ne font pas dans la demi-mesure. Ils sont excessifs, passionnés, à vif. Ils explorent les contradictions de notre temps et ils parlent d’eux au milieu d’un monde où l’authenticité est marchandise et où toute démarche se trouve prise dans un réseau de récupérations.

Et même si l’on se demande parfois en les écoutant si on est au théâtre ou simplement dans un processus cathartique, ce psychodrame d’une génération, avec ses outrances et ses jugements à l’emporte-pièce, a des accents de sincérité qui ne trompent pas et qui nous touchent, directement. C’est sans doute l’intérêt de ce spectacle, qui expose sans proposer les contradictions d’un monde dont personne n’a plus la clé.

10805 maux. Texte et mise en scène Alexandre Cordier

S Avec Hugo Merck, Elsa Revcolevschi, Milena Sansonetti, Benjamin Sulpice S Décor Mellie Chartres & Alexandre Cordier S Durée 1h10 S Production La Compagnie La Mission

Du 4 au 28 mai 2022, du mercredi au samedi à 21h15

Théâtre les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris

www.lesdechargeurs.fr