Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Dan Då Dan Dog. « Le jour où le chien nommé Jour est mort », ou quelques heures, quelques jours et quelques années de vies de rien.

Phot. © Xavier Cantat

Phot. © Xavier Cantat

Rasmus Lindberg offre, à travers une galerie de personnages hauts en couleur, une vision vitriolée de la société suédoise contemporaine qu’il peint avec un sens aigu de l’absurde mâtiné de comique.

On bobine et on rembobine. C’est le matin. Ou c’est le soir. C’est le matin. Ou c’est le soir. Deux ans après. C’est le matin. Ou c’est le soir. Et le temps s’écoule. Cinq ans. Dix-sept ans. Toujours identique mais à un rythme de plus en plus accéléré. Côté jardin, un homme est installé dans un fauteuil, sa femme sur l’accoudoir. À intervalles réguliers, elle reprend du café. Le fauteuil tourne et retourne, marquant la fuite du temps. Le décor est campé. Nous sommes dans une répétition monotone des jours, qui sue l’ennui. Puis l’homme, au bout du bout de cet égrènement des matins, des soirs et des années, finit par mourir. Son enterrement convoquera les personnages qui l’ont approché.

Phot. © Xavier Cantat

Phot. © Xavier Cantat

Une galerie de personnages empêchés

Le pasteur qui officie durant les obsèques traîne, comme une défroque trop lourde, un incommensurable ennui. Il représente le poids que la religion occupe encore dans la société suédoise. Mais il ne croit plus à rien, encore moins à son sacerdoce, prononce des paroles vidées de leur sens et nous prend à témoin dans un monologue troué par endroits par l’homélie qu’il prononce.

Les autres ne vont pas mieux. Son fils Kenny est un bon à rien qui a jeté son dévolu sur la petite-fille du mort, Amanda, qui n’en a que faire et passe son temps à le tenir à distance. Elle, ce qu’elle veut, c’est partir. Se casser. Tirer la route. Se faire une autre vie. Elle cherche avec qui prendre la tangente et jette son dévolu sur le médecin de la famille, Herbert. Mais celui-ci a des problèmes relationnels. Avec les femmes d’abord, c’est pourquoi il aime tant son chien. Et, de manière plus générale, à prendre la moindre décision. Quant à la grand-mère, maintenant que son mari est mort, elle veut profiter de la vie, partir, voyager. Mais las ! voilà qu’elle hérite d’un « insecte » sur la joue qui s’avèrera un cancer inopérable. Sofia, le dernier personnage, a quant à elle pour escorte la tragédie et l’exil.

À eux tous, ils forment un raccourci d’humanité et aucun d’entre eux n’échappe à cet engluement sans grâce ni perspective qui forme la trame de leur vie. Ils sont enfermés dans ce temps qui passe sans passer et l’énergie qu’ils dépensent se résume à la course immobile d’un vélo qui fait du sur place.

Phot. © Xavier Cantat

Phot. © Xavier Cantat

Mon royaume pour un chien !

Un personnage joue un rôle central dans cette fable qui voit les personnages se débattre pour trouver un sens à leur existence : c’est le chien d'Herbert. Parce qu’un beau jour il s’échappe. Mais ce chien-là aussi est une chimère. Réduit à n’être qu’une serpillère à franges, il est tenu au bout de sa laisse-balai par son maître-médecin qui se livre avec lui à une pantomime des plus cocasses. Car cette marionnette insolite ne cesse de vouloir prendre la poudre d’escampette. Il y parviendra, amoureusement bercé par la grand-mère qui trouve en lui un dérivatif à son absence d’avenir. Mais il ne sera pas dit qu’elle y parvienne. Parce que Kenny, jaloux d’Herbert, poursuit avec un fusil son rival qui n’a rien demandé, et surtout pas de partir, et que, ricochet après ricochet, la balle frappe le chien – c’est pas de chance, mais bien dans le ton du reste –, sonnant le glas de l’espérance de voir naître un jour nouveau.

Phot. © Xavier Cantat

Phot. © Xavier Cantat

La valse du temps et de l’espace

C’est dans un espace éclaté monté sur des plateaux mobiles qui avancent et reculent à vue sur la scène que se déplacent les personnages. Fauteuil, banc, table, lit, lampadaire et praticable suspendu figurant le pont par où la mort s’invite apparaissent et disparaissent au gré des besoins et accompagnent cette poursuite à vélo qui ne mène nulle part.

L’artificialité est de mise, comme pour souligner l’onirisme du propos qui tisse passé, présent et désir d’avenir dans une toile inextricable dont les personnages sont prisonniers. Le plateau matérialise la vacuité de leur monde, réduit à de simples accessoires. Perdus dans l’immensité du plateau volontairement vidé, nu, les personnages apparaissent tels qu’ils sont, égarés eux aussi dans un monde où ils ne trouvent pas leur place.

Dan Då Dan Dog. « Le jour où le chien nommé Jour est mort », ou quelques heures, quelques jours et quelques années de vies de rien.

L’incommunicabilité comme règle

Les monologues forment dans la pièce l’essentiel du texte, qui se réduit à une succession de récits intérieurs en phrases courtes, percés par endroits de rares incursions dialoguées. Les personnages apparaissent complètement étrangers les uns aux autres et leur environnement qui peine à exister renforce encore cette solitude. Errant en eux-mêmes, ils jouent la comédie sociale a minima sans manquer de porter sur elle et sur les « paradis » modernes un regard acide.

En phrases courtes, inachevées, laissées en suspens, ils laissent aux intervalles de silence leur poids d’incommunicabilité. Par un effet de ritournelle obsédante des mêmes mots, des mêmes membres de phrases, ils chantent la ballade obsédante de ceux pour qui le temps s’est arrêté, pour qui ne restent que les regrets de n’avoir pas vécu, pas été.

« Si seulement », martèle comme un refrain entêtant Herbert – impayable et clownesque Jean-Baptiste Szézo  –, emblématique de tous les autres, qui imagine une autre vie, plus ouverte, plus amicale, plus festive, plus compassionnelle, qu’il n’aura jamais parce qu’il refusera d’en prendre le risque en partant avec Amanda. Ce leitmotiv, placé dans la course contre la montre inopérante que mènent les personnages, parce que le temps qui passe n’est pas changement mais demeure immobile, traverse toute la pièce.

Un seul d'entre eux parviendra à échapper à cet enfer : Amanda, unique personnage « positif » de la pièce, que campe Mathilde Viseu en jeune révoltée débordante d’énergie qui secoue à toute force le cocotier des autres sans que rien n’en tombe. Tous, isolés dans leur parole, contribuent à dessiner un tableau très beckettien souligné par un soubassophone très flonflonesque, où le tragique le dispute au comique, le noir à la drôlerie. Si le jour et un chien fuient la terre, las de nos turpitudes, le dérisoire est ici érigé comme un des beaux-arts.

Phot. © Xavier Cantat

Phot. © Xavier Cantat

Dan Då Dan Dog
S Texte Rasmus Lindberg (Éditions Espaces 34) S Adaptation de Le Mardi où Morty est mort S Traduction Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres S Mise en scène Pascale Daniel-Lacombe S Dramaturgie Marianne Ségol-Samoy S Assistanat à la mise en scène Juliet Darremont-Marsaud S Scénographie Philippe Casaban, Eric Charbeau et Pascale Daniel-Lacombe S Création lumière Thierry Fratissier, assisté de Manon Vergotte S Création sonore Clément-Marie Mathieu S Création costumes Matthieu Duval S Composition musicale Pascal Gaigne S Soutien chorégraphique Compagnie Ex Nihilo Jean-Antoine Bigot et Anne Le Batard S Fabrication décor Les ateliers du Théâtre de l’Union – Limoges S Équipe de création accessoires scénographiques Jérémie Hazael-Massieux, Clément-Marie Mathieu, Annie Onchalo, Laurent Boulé, Laurent Patard, Karlito Bouet-Levandoski et Etienne Kimes S Avec Mathilde Viseux, Etienne Bories, Jean-Baptiste Szezot, Benoit Randaxhe, Mathilde Panis, Etienne Kimes, Ludovic Schoendoerffer, Marcel Gbeffa S Spectacle créé au Méta Centre Dramatique National Poitiers Nouvelle-Aquitaine en janvier 2023 S Production déléguée Le Méta CDN Poitiers Nouvelle-Aquitaine S Coproduction Théâtre de Lorient – CDN, Théâtre de l’Union CDN du Limousin S Avec le soutien Le Préau – CDN de Normandie – Vire ; TAP – Théâtre Auditorium Poitiers SN ; Le Moulin du Roc – SN à Niort ; Scène Nationale du Sud-Aquitain – Bayonne ; Centre d’Animation de Beaulieu – Poitiers ; Fonds d’insertion de L’Éstba financé par la Région Nouvelle-Aquitaine et la DRAC Nouvelle-Aquitaine et du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT S Durée 1h25

Du 13 au 17 mars 2025
T2G, Théâtre de Gennevilliers CDN
- 41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers
www.theatredegennevilliers.fr Tél. 0141322626

TOURNÉE
29 et 30 avril 2025 Théâtre de Lorient CDN
12 et 13 mai 2025 Le Nest Théâtre - CDN de Thionville

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article