13 Février 2025
Le Circus Baobab revient en France avec un spectacle qui se démarque des canons occidentaux et rend hommage au courage des femmes dans un pays où, malgré son interdiction, l’excision est encore une pratique courante.
Elles sont six femmes et trois hommes perchés chacun sur un bloc de parpaing, symbole d’une urbanisation galopante qui frappe le pays. Un perchoir instable qui ne manquera pas de s’effondrer sitôt qu’il abritera, non une seule personne mais plusieurs, imbriquées les unes dans les autres. Des acrobates éclatants de couleurs et de dynamisme tandis que des témoignages, en voix off, évoquent une situation féminine qui ne laisse pas d’interpeller. Des femmes qui travaillent tandis que les hommes restent oisifs, des femmes prises dans les diktats sociaux et familiaux qu’on voit peu à peu se préciser, au fil des interventions de ces voix off qui ponctuent le spectacle.
Circus Baobab : une initiative sur fond d’intervention sociale
Créé en 1998, Circus Baobab bénéficie, à ses débuts, du soutien du cirque Archaos et de son directeur, Pierrot Bidon, l’un des fers de lance du nouveau cirque. Il introduit, avec la Légende du singe tambourinaire, des agrès et des acrobaties inconnues sur le continent européen. La compagnie renaît en 2021, avec de nouvelles pratiques et de nouveaux interprètes, et avec le projet de créer un cirque social, solidaire et citoyen, assorti de programmes d’accompagnement permettant d’offrir des alternatives à la jeunesse défavorisée, guinéenne en particulier. Elle le réalise avec le concours de l’association R’ en Cirque, basée à Marseille et dédiée aux arts du cirque, aux cultures émergentes et aux sports urbains. L’objectif est de réinsérer, par les arts du cirque, des jeunes que l’on ne voit pas ou mal en proposant une rencontre entre création de haut niveau et préoccupations sociales.
Un travail d’acrobatie remarquable
Plusieurs disciplines circassiennes se trouvent associées dans Yongoyély. Trois d’entre elles – le mât chinois, mais sans hauban, la barre russe et la corde – se tiendront sur de petits troncs d’arbres, des « grumes » guinéens. Leur bois, utilisé en Guinée pour fabriquer les arcs des chasseurs traditionnels, a pour caractéristique une grande souplesse, qui lui permet de plier sans rompre. Sauts et retournés arrière, positions acrobatiques entre deux barres tenues par quatre membres de la troupe, jeux de rotation des barres portées par les femmes sur leur tête sans qu’elles ne se heurtent ni ne quittent la position horizontale, formant un ballet dans l’espace, se succèdent avec un niveau de difficulté et de virtuosité sans cesse croissant. Et lorsqu’il s’agira de les dresser en mât c’est un bloc support humain, donc fragile, qui se substituera au calage du mât dans les anfractuosités du parpaing. Partout la solidarité entre les artistes joue, et avec elle la confiance de laisser reposer sur le groupe l’accompagnement de la difficulté. Outre les roues avant et arrière, les pyramides humaines et les sauts aux retombées improbables, on trouvera une discipline peu présente dans les cirques européens mais traditionnelle dans les villages de Guinée pour chasser les oiseaux des champs : le fouet, dont les claquements font rythme et dont la manipulation dessine dans l’espace des formes que la persistance rétinienne amplifie.
Entre tradition et modernité, danse et cirque
Indissociable de ces pratiques où derrière la virtuosité acrobatique se dissimulent des pratiques ancestrales, tissant un lien entre hier et aujourd’hui, un autre leitmotiv court aussi : l’association de la danse et du chant. Le spectacle ne nous dira pas ce que chantent ces femmes, parfois accompagnées par les hommes, parce que le spectacle n’est pas surtitré. On devine cependant l’engagement total que ces chants supposent et leur relation à leur héritage culturel. Quant à la danse, qui met en jeu un ancrage fort dans la terre que frappes et piétinements font résonner comme pour l’unir aux danseurs, elle a le caractère incantatoire en même temps que dynamique d’une relation au monde nourrie de rapport au socle originel, moteur de mouvement.
Femmes guinéennes : la souffrance d’une mutilation non consentie
Transparaît aussi, dans le jeu des interprètes, un certain déchirement parfois, qui renvoie de plus en plus précisément à ce qui marque le destin des femmes guinéennes : l’excision. Quoique la pratique en soit interdite, les statistiques sont accablantes. La presque totalité des femmes guinéennes sont excisées : 39 % des enfants et jeunes filles, entre 0 et 14 ans, 95 % avant l’âge de 49 ans. Sans que le mot soit jamais prononcé, les extraits d’interviews qui jalonnent le spectacle, pas seulement féminins, abordent ce qu’on ne peut dire à voix haute : la « justification » de cette mutilation, le rôle des femmes de la famille, l’absence de liberté de choix, le cérémonial, la souffrance…
Traverse cependant, dans cette façon de faire du cirque en s’ancrant dans la tradition et en recourant à des accessoires volontairement « frustes » qui se démarquent de l’habituel arsenal occidental, dans cette forme originale qui déplace le regard, quelque chose de plus. Un mouvement. Une prise de position. En direction d'une identité culturelle et de ces femmes fières, qui ne pleurent pas et marquent avec force et assurance leur place dans le spectacle.
Yongoyély
Création collective Compagnie Circus Baobab S Direction artistique Kerfalla Camara S Mise en Cirque et scénographie Yann Ecauvre S Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré S Disciplines : Barre russe, Fouet, Banquine, Mât Chinois - Portés acrobatiques Main à Main - Acrobaties au sol - Danses traditionnelles et contemporaines – Krump etc. S Intervenants cirque Julie Delaire & Mehdi Azéma S Création musicale Yann Ecauvre & Mehdi Azéma S Chorégraphie collective Yann Ecauvre, Mehdi Azéma, Julie Delaire, Mouna Nemri & les artistes S Création de costumes Solenne Capmas S Lumières et son Jean-Marie Prouvèze S Producteur délégué Richard Djoudi, Compagnie Circus Baobab S Production déléguée R’en Cirque S Coproduction Centre Culturel Franco-Guinéen S Avec le soutien de FODAC (Fonds de Développement des Arts et de la Culture en Guinée) S Circus Baobab est une compagnie-associée à La Scala-Paris et à La Scala-Provence S Le spectacle a obtenu le Prix du Conseil National de Monaco et le Prix de la Fédération Mondiale de Cirque S Durée 1h
Du 12 au 23 février 2025, du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h
Du 25 février au 2 mars 2025, du mardi au samedi à 19h, dimanche à 15h
La Scala-Paris - 13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris https://lascala-paris.fr
Tournée
/ La Scala Paris du 12 février au 2 mars 2025
/ Scène de Bayssan, Béziers le 8 mars 2025
/ DSN, Dieppe Scène nationale le 22 mars 2025
/ Centre Culturel Jacques Prévert, Villeparisis le 25 mars 2025
/ Théâtre Le Reflet, Vevey (Suisse) le 30 mars 2025
/ Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse) les 2 et 3 avril 2025
/ Points Communs, Scène nationale de Cergy-Pontoise les 5 et 6 avril 2025
/ L’Avant Seine, Théâtre de Colombes le 8 avril 2025
/ Théâtre de Rungis le 10 avril 2025
/ Festspielhaus, St Polten (Autriche) les 13 et 14 juin 2025
/ Festival de Wiltz (Luxembourg) le 28 juin 2025
/ La Scala Provence Avignon du 5 au 27 juillet 2025