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Arts-chipels.fr

Oblomov. L’oisiveté hissée au rang des arts.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

LM Formentin se livre avec succès à cette adaptation théâtrale pour deux personnages du roman mythique d’Ivan Gontcharov.

Les duos maître et valet sont légion au théâtre. Après Dom Juan et Sganarelle et, dans un autre registre, Maître Puntila et son valet Matti, entre autres, voici Oblomov et Zakhar, tirés d’un roman mythique de la littérature russe publié en 1859. Nous sommes encore loin de la révolution russe mais déjà la société russe traditionnelle se délite. Oblomov, salué par Tolstoï comme par Dostoïevski, pourtant peu enclin à la sympathie vis-à-vis de son auteur, est, en son temps, un véritable succès. À travers la vie d’un jeune aristocrate ruiné, oisif et paresseux, le roman est considéré comme une satire de la noblesse russe et la notoriété du personnage est telle que le nom de son « héros », qui provient d’un terme signifiant « cassure », « brisure » en russe, devient l’épithète appliquée à des personnages qui se laissent aller à une léthargie rêveuse.

Phot. © Pascal Gely

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Le roman d’un jeune homme perdu

Ilya Illitch Oblomov est un propriétaire terrien demeurant à Saint-Pétersbourg. N’ayant pas les moyens de posséder sa propre demeure, il loue un appartement et les créanciers se pressent à sa porte. Et Oblomov remet toujours à plus tard l’échéance de les payer – avec des moyens qu’il n’a d’ailleurs pas. Un demi-siècle avant Tchekhov et sa Cerisaie, Gontcharov met en scène une aristocratie en perte de vitesse, qui sera bientôt débordée par une mutation de la société.

Oblomov, comme ceux de sa caste, ne travaille pas. Mais il va plus loin : il a fait de l’oisiveté et de la paresse une règle de vie. Il dépense son existence sur son divan, se lève tard – quand il se lève –,ne sortant que pour quelques dîners. Il procrastine, s’ennuie avec application et délaisse l’administration de ses terres, se réfugiant parfois dans le souvenir d’une enfance heureuse et insouciante. Même son amour pour Olga ne le sortira pas de la couche sur laquelle il se vautre.

Phot. © Pascal Gely

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Une adaptation pour deux personnages

À travers le dialogue entre Oblomov et son valet Zakhar, son vieux serviteur, qui forme la matière de la pièce, on voit se dessiner le paysage de cette Russie féodale menacée en même temps que se précise le caractère du jeune homme. Le texte de LM Formentin fait bien ressortir toutes les facettes du personnage. Oblomov devrait travailler – il est même secrétaire de collège de 10e rang – mais ne se rend pas au travail et ne manque pas une occasion de railler ses collègues. Mais il y a chez Oblomov quelque chose de plus que la simple aboulie ou que son apathie permanente. Une forme d’autodestruction programmée qui conduira le personnage, inéluctablement, vers sa fin. Le vieux serviteur, qui protège l’enfant que le jeune homme a été tout en fredonnant des complaintes traditionnelles russes comme pour dire son attachement et son rattachement à une Russie en train de disparaître, lui renvoie une image faussée, complice, malgré quelques tentatives de le placer face à la réalité.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

Un duo inégal

Dans cette dualité du maître et de son serviteur, on pouvait attendre que le maître, scéniquement, domine. Ce n’est pas le cas. Si Yvan Varco donne de son personnage une interprétation juste, riche et non dénuée d’émotion, Alexandre Chapelon peine à extraire Oblomov de son rôle d’adolescent attardé réfugié sous sa couette. Trop jeune comédien, il ne parvient pas à donner à son personnage l’épaisseur qu’on attendrait de lui : une dimension comique en même temps que tragique et la conscience d'un homme qui sait sa mort programmée et y travaille à sa manière. Au lieu de cela, il surfe à la surface de l’eau qui dort et c’est dommage. N’en demeure pas moins la force du texte dont on se dit qu’il faudrait y retourner en lisant ou relisant le roman. Engendrer du désir, ce n’est pas si mal pour un fatigué de la vie !

Oblomov de LM Formentin d’après le roman éponyme d’Ivan Gontcharov
S Mise en scène Jacques Connort S Avec Alexandre Chapelon (Oblomov) et Yvan Varco (Zakhar) S Scénographie Jean-Christophe Choblet S Costumes Hélène Foin-Coffe S Assistante à la mise en scène Philippine Delormeau S Production Compagnie Chapelon S Durée 1h10

Du 15 février au 22 mars 2025, les jeudis, vendredis et samedis à 21h
Théâtre Essaïon – 6, rue Pierre-au-Lard, 75004 Paris
www.essaion.com

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