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Arts-chipels.fr

D’autres jours viendront. La mémoire d’une famille chilienne marquée par l’exil.

Phot. © Frédéric Blaise

Phot. © Frédéric Blaise

Le coup d’état dirigé contre Salvador Allende par le général Pinochet au Chili a provoqué, après 1973, le départ de centaines de milliers d’exilés politiques. Famille de théâtre, les Castro témoignent par le théâtre des répercussions sur leur famille de cet exil.

Un décor de maison comme il pourrait s’en trouver partout dans les années 1970 en Amérique latine. À cour, un salon ; à jardin, une grande table de banquet. Au centre, un piano et une table dotée d’un micro suggèrent un hors-champ. Sur les côtés, des musiciens se sont installés. Ils accompagneront de part en part l’ensemble du parcours auquel se livrent les comédiennes et comédiens du Théâtre El Duende – littéralement « l’elfe » ou le « démon domestique » selon le Dictionnaire de l’Académie royale espagnole, qui acquiert, au fil du temps, le sens de « charme mystérieux et ineffable » et, pour Federico Garcia Lorca, englobe le génie du peuple andalou et l’âme espagnole. Ce qu’ils racontent, c’est leur histoire d’exilés chiliens réfugiés en France après le coup d’état d’Augusto Pinochet le 11 septembre 1973 et le devenir de leur famille. Un travail de mémoire familiale qui croise la grande Histoire.

Phot. © Louise Bauduret

Phot. © Louise Bauduret

Je vous parle d’un temps…

Voici le spectateur projeté dans les souvenirs de celle qui est aujourd’hui devenue une aïeule, Anita Vallejo, et qui raconte à sa petite-fille sa version de l’exil, pour autant que ses souvenirs la lui rapportent, dans un va-et-vient entre mémoire et oubli, fantasme et réalité, et les circonstances qui l’ont entraîné, la prise de pouvoir de la junte militaire au Chili et la répression de triste mémoire qui s’ensuivit. Les souvenirs d’Anita seront donc récit à sa petite-fille Alma, présente sur le plateau, musique et chansons – puisqu’Anita est musicienne et compositrice en même temps que comédienne –, moments de théâtre, scènes reconstituant l’atmosphère familiale de l’époque et documents d’archives filmées, projetés sur l’écran situé derrière les deux femmes. Une évocation dans laquelle la photographie de l'embarquement de la famille d'Anita, à l’aéroport, sur la passerelle menant à l’avion qui les emportera vers la France, via Zurich, fait figure de moment-clé.

Phot. © Frédéric Blaise

Phot. © Frédéric Blaise

Une histoire familiale

La pièce nous met en présence d’une famille d’intellectuels chiliens au tournant des années 1970, qui se partage entre le théâtre et la télévision et où domine un sentiment de gauche lorsque survient le coup d’état. Anita et Oscar, avec le Teatro Aleph, une troupe de création collective militante qui se produit avec la volonté de jouer partout, y compris dans les bidonvilles, sont invités en 1973 par le Festival mondial de Nancy, qui rassemble le jeune théâtre. Après le coup d’état, ils continuent à prendre des risques malgré la censure, bravant les interdits avec la peur au ventre jusqu’à ce jour du 24 novembre 1974, un an après la prise de pouvoir de Pinochet, où la police sonne à la porte de la maison et arrête Oscar en même temps que sa sœur. Interrogatoires, tortures, ils feront partie des 150 000 personnes emprisonnées dans cette période pour des motifs politiques, dont plus de 27 000 seront torturées avec une cruauté sans nom. En 1976, c’est l’exil et une nouvelle histoire dans laquelle l’appartenance à la culture chilienne n’est nullement antagonique avec le sentiment d’être Français.

Phot. © Louise Bauduret

Phot. © Louise Bauduret

Petite et grande Histoire

À la fable familiale se superpose l’histoire des événements dont elle est issue. Un demi-siècle plus tard, le Chili est redevenu une démocratie et la mémoire de l’instauration de la dictature n’appartient plus qu’à une génération ancienne. La pièce vient utilement nous remettre en mémoire, à travers des documents filmés d’époque, l’immense espoir que fit naître l’élection de Salvador Allende dans des conditions difficiles : un peu plus du tiers des voix lors de l’élection présidentielle et son « adoubement », conformément à la Constitution, par le Congrès chargé de choisir celui qui sera élu. Les images d’archives de la liesse populaire nous parlent d’un temps où l’on pensait que tout était possible et le monde ouvert. Elles nous racontent aussi la prise de pouvoir du général Pinochet, le siège du palais présidentiel de la Moneda par l’armée et son bombardement aérien qui conduisent au suicide d’Allende. Les images sont accompagnées d’enregistrements sonores restés inédits à l’époque, aujourd’hui débloqués par les autorités américaines. Ils concernent les échanges entre l’amiral Patricio Carjaval, chargé de proposer sa reddition et son départ à Allende, et Augusto Pinochet. Leurs échanges font froid dans le dos et suggèrent qu’un accident lors du voyage pourrait intervenir. Le théâtre prendra le relais en présentant le suicide du président Allende.

Phot. © Louise Bauduret

Phot. © Louise Bauduret

Une aventure exemplaire

Cette plongée dans l’intime qui croise l’histoire, même si trop de musique et de chansons la ponctuent et en égarent parfois le fil et si l’aventure familiale gagnerait à être resserrée, a cependant un caractère exemplaire. Outre qu’elle nous remémore un temps pas si lointain où l’impérialisme américain et les tortueuses manigances de la CIA modelaient le destin de l’Amérique latine, entre autres, pour ne pas parler du Vietnam, elle vient aussi nous rappeler ce que signifie le mot « dictature » et l’incidence que les extrêmes au pouvoir ont sur la vie des citoyens. La pièce nous conte aussi une histoire d’exil qui rencontre en écho les migrations d’aujourd’hui qui sont innombrables. D’Afghanistan, d’Ukraine ou des pays africains pour ne citer que quelques-uns, des familles fuient leur pays en guerre ou l’oppression qu’elles subissent. Le Théâtre El Duende, c’est l’histoire d’une reconstruction positive. Mais, en ce qui concerne le présent, une interrogation demeure : avec la multiplication des émigrations forcées, l’issue pour les migrants sera-t-elle la même ? On ne peut que l’espérer alors que la réalité nous livre des histoires contradictoires…

Phot. © Frédéric Blaise

Phot. © Frédéric Blaise

D’autres jours viendront. L’exil et la mémoire, chronique théâtrale
S Une création de théâtre musical par la Compagnie du Théâtre El Duende S Dramaturgie, mise en scène et mise en écriture Andrea Castro S Musiques originales et direction musicale Anita Vallejo S Création et montages sonores et visuels Alma Kerouani S Recueil de textes tirés du livre sur le Théâtre Aleph - Archéologie d’un rêve - la mémoire et l’exil de Luis Pradenas S Avec Louise Bauduret, Mathieu Cabiac, Andrea Castro, Sebastian Castro-Vallejo, Alma Kerouani, Mehdi Kerouani, Sébastien Naud, Anita Vallejo S Musiciens (en alternance) Anita Vallejo (piano), Luis Pradenas (guitare et charango), Timothée Durand (basse), Olena Powichrowski (flûte traversière), Soheil Trabrizi-Zadeih (trompette), Ruben Castro (percussions), Pascal Camors (trombone), Christophe Defays (contrebasse), Jesus Muñoz (violon) S Création lumière Romain Thomas S Scénographie Louise Bauduret S Son Vanina Adrover - Deck Oner S Production Association 1er Acte et Théâtre El Duende S Durée 1h25

Du 28 novembre au 15 décembre 2024, jeu.,ven., sam. 20h30, dim. 17h30
Théâtre El Duende - 23 rue Hoche Ivry-sur-Seine
Rés. 01 46 71 52 29
www.théâtre-elduende.com

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