19 Octobre 2024
Joseph Paris porte un regard plein d’acuité sur le repli identitaire français qui se développe au cours du dernier demi-siècle en France. Une plongée historique et documentée qui n’oublie pas de situer celui qui filme dans l’analyse qu’il fait de la situation française.
Depuis les attentats de 2015 qui ont laissé dans les mémoires un traumatisme aussi sanglant qu’ineffaçable, nombre de mesures liberticides ont été prises. Si la proclamation de l’état d’urgence trouvait, pour la population, une justification dans la sauvagerie à laquelle les attentats ont donné lieu, cet état de fait, qui accorde au gouvernement des possibilités d’intervention au-delà des normes édictées par la loi ont perduré au-delà de la mise en danger du territoire national qui a « justifié » ces mesures. Aujourd’hui nombre de mesures entravent encore la liberté d’action des citoyens et permettent à la police d’intervenir à tout moment et en tout lieu pour des « atteintes » à la sécurité des citoyens dont il est difficile de tracer les contours. Mieux : à l’heure des téléphones portables devenus caméras filmant en direct les exactions policières, interdiction est faite de filmer et de diffuser ces images. Par une série de tours de passe-passe que l’on doit aussi bien aux gouvernements de gauche que de droite, le spectre du totalitarisme grandit à nos côtés.
La stigmatisation des »étrangers »
Remontant le fil du temps jusque dans les années 1980, Joseph Paris montre que, bien avant les attentats, un mouvement anti-étranger s’était amorcé, nourri par d’autres exactions qui ont émaillé le quotidien des Français, et nourri le repli identitaire qui prend aujourd’hui les dimensions alarmantes qu’on connaît. Il montre comment, dans un monde ouvrier en crise, on a reporté sur les immigrés la responsabilité des dysfonctionnements et comment, progressivement, immigrés et terroristes se sont confondus dans l’opinion alors même que le droit du sol a créé des identités mixtes qui ne sont plus « étrangères ». Étudiant, étape après étape, discours officiels, réactions de presse et résultats électoraux, s’appuyant sur les analyses d’historiennes et d’historiens, de sociologues, de chercheuses et chercheurs en sciences politique et de juristes, Joseph Paris dresse un bilan qui ne doit plus que peu de choses à la pression des événements mais bien davantage à un état d’esprit alimenté par tous les pouvoirs – politiques, syndicaux, etc. – et les médias.
Un fil rouge, militant des droits de l’homme
Un personnage traverse le film de bout en bout : Yasser Louati. Utilisé comme témoin par les médias étrangers, en butte aux opinions que souhaitaient véhiculer des médias très orientés comme CNN, qui fabriquent des images au détriment de la réalité, Yasser a analysé le processus de manipulation qu'on a voulu lui faire porter sous couvert d’information, pour pouvoir le contrer. Militant des droits de l’homme, il est de tous les combats, mais avec suffisamment de recul pour voir se dessiner, derrière la loi séparatisme de 2021 qui « cible » officiellement l’intégrisme musulman, un moyen de pression contre tout ce qui bouge – écolos, anti-nucléaires et autres, sans même parler des gilets jaunes. La question de l'immigration est un écran de fumée dans une société où le repli identitaire est d'abord le reflet de la crise politique et sociale.
Un documentaire qui dit « Je »
Au-delà de la très grande intelligence des faits qui se dégage du documentaire de Joseph Paris, ce qui frappe, c’est l’engagement de son auteur, qui se traduit par des interventions à la première personne mais aussi esthétiquement, à travers le parti pris que l’auteur-réalisateur applique au traitement des images. Il ne se contente en effet pas d’un montage des images d’archives et de leur alternance avec les interviews qu’il effectue au fil de sa remontée dans le temps. Il travaille ces images, en brouille le contenu pour en marquer l’ambiguïté, les dépouille du « sens » du discours qu’ils sont censés porter en triturant le son, les déchire pour en marquer l’inanité, les superpose pour en montrer les amalgames. Dans ce monde du non-vrai drapé dans les oripeaux d’une objectivité fallacieuse, il affirme l’artificialité de ces discours en utilisant la matière même de son support : le film.
On peut ne pas suivre absolument les positions et les analyses proposées par le film, avoir envie d’en débattre, d’échanger. Sans doute est-ce là sa grande réussite : déboucher sur une réflexion au lieu d’imposer un point de vue univoque, de refermer la discussion sur une prise de position. Quand, en plus, il prend la forme d’un objet esthétique, d’un acte de création, on ne peut qu’apprécier l’authenticité de la démarche…
Le Repli 2023 | 1h33 | Couleur et Noir & blanc
Sortie en salles le 30 octobre 2024
S Scénario & réalisation Joseph Paris S Image & Montage Joseph Paris S Avec Yasser Louati, Zohra Kraiker, Wassil Kraiker, Amal Bentounsi, Feiza Ben Mohamed, Mohammed Abaïd, Assa Traoré, Abdellali Hajat, Abdellali Hajjat (sociologue), Vincent Gay (sociologue et historien), Thomas Deltombe (historien), Slimane Dazi, Vanessa Codaccioni (chercheuse en sciences politiques), Mireille Delmas-Marty (juriste, professeure émerite) S Narration Logan de Carvalho S Musique originale Pierre Paris S Création & montage sonore Alejandro Van Zandt-Escobar S Illustrations Matthieu Fayette S Étalonnage Dimitri Darul, Éric Heinrich S Montage image additionnel Flore Guillet S Assistanat montage Robin Gaussé, Eugénie Gaubert, Matthieu Grosmaire S Mixage Michel Depuis S Production Drôle de Trame S Produit par Audrey Ferrarese S Distribution en salles Destiny Films S Avec le soutien de CNC, Région Île-de-France, PROCIREP & ANGOA