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Arts-chipels.fr

Des gens comme eux. Du fait divers à ses enseignements.

Des gens comme eux. Du fait divers à ses enseignements.

En abordant le quintuple meurtre du Grand Bornand, Samira Sedira reconstruit une fable qui a défrayé la chronique en offrant une vision enrichie des tenants et des aboutissants de cette affaire où frustration, jalousie et racisme se disputent le premier rôle.

Une paroi toilée sépare la scène en deux dans le sens de la longueur. Derrière se reconnaissent les échos d’une fête. On célèbre les noces de Lucie et de Simon et tout le village est là. La fête bat son plein lorsque surgissent les nouveaux voisins, les Langlois. Pleins aux as – lui est promoteur immobilier et ils « vendent du rêve » à des touristes avides de voyages atypiques –, ils se font construire un chalet luxueux en face de la maison d’Anna et de Constant, qui, eux, tirent le diable par la queue. Non seulement les Langlois ne sont pas d’ici mais Bakary, l’homme, est noir. Les pièces sont en place pour une évocation théâtrale qui passera chaque fois par la fête, ce moment où, l’alcool aidant, les langues se délient et expriment ce qu’on tient soigneusement caché.

Des gens comme eux. Du fait divers à ses enseignements.

Au point de départ, un fait divers : l’affaire Flactif

En 2003, un promoteur, sa femme et ses trois enfants, les Flactif, disparaissent au Grand Bornand. Comme le promoteur était impliqué dans des affaires pas très nettes – chantiers en souffrance, dettes impayées – après avoir été placé sous surveillance par la Brigade financière pour escroquerie, on pense d’abord à une disparition programmée pour se soustraire à la justice. Mais l’enquête révèle bientôt des indices qui conduisent à un couple de locataires des Flactif, qui accumulent grief sur grief et aigreurs contre leur propriétaire. Ils sont les assassins. Pour faire disparaître les victimes, ils se font aider par un autre couple. Le meurtrier, David Hotyat, assassine la famille entière pour ne pas laisser de témoins. 

Riche et pauvre, noir et blanc

Dans le roman et la pièce qui en est issue, les Flactif deviennent Langlois ; David Hotyat et sa femme Constant et Anna, et leurs complices, les Haremza, Lucie et Simon. Ce que la pièce met en évidence, c’est le grand écart qui sépare les Bakary des autres. Ils jouent la convivialité avec la population du village, rebaptisé Carmac, organisent de luxueuses réceptions où l’on mange, par contraste avec la fête du village où l’on consomme de la soupe aux choux, des saint-jacques au foie gras. Ils affectent une complicité d’origine – la femme était, elle aussi, d’origine modeste, elle n’était, dit-elle, qu’une petite secrétaire – avant qu’elle ne révèle sa vraie nature en engageant Anna pour faire le ménage dans son chalet. Tout les distingue : le parler, la manière de goûter le vin, le mépris affiché pour le coût des choses. Du côté des autochtones, le malaise se mue en hostilité, en envie, en aigreur, puis en colère.

Des gens comme eux. Du fait divers à ses enseignements.

Un récit de femme

Celle qui raconte l’histoire, c’est la femme du meurtrier. C’est elle qui fait revenir les personnages sur la scène, elle qui, dans un questionnement intérieur filmé en gros plan, détaille le cheminement crescendo de la haine, dessine le paysage du village mais aussi le rôle qu’elle jouera, en compagnie de tous les autres, dans le meurtre. Elle décrit l’opprobre qui la poursuit, le poids qu’elle porte dans l’opinion publique en tant qu’instigatrice des meurtres. On lui fait porter la charge psychologique, alimentée par les humiliations et la rancœur, des exactions de son mari. Elle éclairera, sans en masquer la monstruosité, l’acte de son mari, ancien sportif de haut niveau – perchiste, il touchait le toit du monde – ramené à une médiocrité de petit entraîneur de province.

Un vernis qui se fissure

La pièce décrit un monde dont les apparences éclatent, révélant une réalité moins chatoyante. Le portrait trop lisse des Langlois-Flactif se fissure. Parce que la différence de classe, qu’ils prétendent gommer, continue d’exister. Parce que le masque convivial derrière lequel ils se dissimulent utilise la crédulité des villageois pour les exploiter et les abuser et qu’ils font d’eux les dindons d’une farce sinistre en leur faisant miroiter une « affaire » juteuse qui s’avère être une escroquerie dans laquelle ils engloutiront leurs économies et celles de leur famille.

Des gens comme eux. Du fait divers à ses enseignements.

La force de la complexité

L'écriture sans complaisance de Samira Sedira s’attache à explorer les zones d’ombre laissées par le procès Flactif – en particulier le caractère raciste du meurtre, non retenu par la justice, pas plus que par les journalistes –, elle explore la complexité des motifs qui conduisent à ce quintuple assassinat. Elle évoque la méfiance avec laquelle les nouveaux arrivants sont regardés et les épithètes racistes que la levée des interdits fait fleurir les soirs de beuverie : « nègre parvenu », « bamboula »… Elle met en évidence le processus infernal qui mène de ces plaisanteries à la « normalité » du meurtre et ne fait pas l’économie de la responsabilité collective, dépassant le niveau individuel pour placer l’affaire au niveau sociétal. « Ce que je sais, affirmera Anna en dialoguant de manière imaginaire avec son mari, c’est qu’autour de toi, il n’y a pas d’innocent.e.s. Nous avons tous collaboré. » Une vision complexe qui met en cause un système global qui broie les individus sans les dédouaner individuellement de leur responsabilité.

Des gens comme eux
S Texte et adaptation Samira Sedira S Mise en scène Éric Massé S Avec Laure Barida, Louis Ferrand, Étienne Galharague, Gaëtan Kondzot, Marianne Pommier, Amélie Zekri S Collaboration artistique Selena Hernandez S Coach vocal Myriam Djemour S Scénographie Kinga Sagi S Création sonore Marc Chalosse S Création lumière Rodolphe Martin S Création costumes Loïs Heckendorn S Production Théâtre Point du Jour, Lyon ; Compagnie des Lumas S Coproduction Le Préau, CDN de Normandie-Vire S Avec le soutien du GEIQ Théâtre et de l'ENSATT, Lyon S Accueil en résidence Théâtre de l’Union, CDN de Limoges, TNBA, Bordeaux S Durée estimée 1h55

Du 3 au 11 octobre 2024
Théâtre du Point du Jour
– 7, rue des Aqueducs, Lyon 5e. www.pointdujourtheatre.fr

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