24 Septembre 2024
Dans le domaine des supercheries littéraires, on connaissait les auteurs tels que Fernando Pessoa ou Romain Gary, cachés sous des pseudonymes comme autant d’identités. L’usurpation d’identité, qui forme le propos du spectacle, est l’autre face de la médaille.
Une comédienne et deux comédiens sont présents sur scène pour nous rapporter une étrange histoire qui a toutes les allures d’une fiction mais qui se trouvera avérée par les recherches qu’entreprend un jeune universitaire s’intéressant à la poésie. Elle repose sur l’homonymie de deux auteurs, le premier chilien, le second catalano-suisse. Ils se nomment tous deux Juan Luis Martínez, francisé pour le second en Jean-Louis Martinez. Tous deux sont poètes mais ne se connaissent pas. Un jour cependant, l’un des responsables de l’Institut français de Valparaíso offre au poète chilien un recueil de poèmes de son homonyme. Juan Luis Martínez est ému par le message de résistance qu’il y décèle. Nous sommes en 1988, au moment du référendum organisé dans le cadre des dispositions transitoires de la constitution chilienne de 1980 pour décider de la prolongation ou non de la fonction de chef de l’État du général Augusto Pinochet – le référendum débouchera sur une transition démocratique du Chili. Juan Luis Martínez envoie deux de ces poèmes à un journal chilien. Ils deviennent des étendards de l’opposition à Pinochet, un appel à la liberté, et paraissent en 2003, dix ans après la mort du poète chilien, dans un recueil intitulé Poemas del otro (les Poèmes de l’autre). Il faudra encore une dizaine d’années à un spécialiste américain du poète chilien pour remonter la piste et retrouver le Suisse Jean-Louis Martinez qui s’émerveillera, sans s’offusquer, que ces poèmes, « écrits dans une autre vie », aient eu « une vie autonome ».
Une matière documentaire qui fait fiction
Cette histoire véridique, rapportée par le quotidien suisse le Temps, inspire à la compagnie helvète Super trop top, amatrice de matériaux textuels détournés, le désir d’en faire un spectacle qui explore les prolongements de cette supercherie artistique qui interroge ce que cache en même temps qu’elle le dévoile cette homonymie troublante et ses prolongements. La pièce met en scène les protagonistes – les deux poètes et l’universitaire américain qui mène le travail d’investigation – et leur associe une comédienne en mal d’être – elle est le personnage-phare d’un feuilleton télévisé et peine à décoller sa peau du personnage qu’on lui a accolé. Tous trois dévoileront, à mesure que tombent les cloisons colorées qui les entourent comme autant de recouvrements successifs, de peaux occultantes, une vérité qui n’est pas exempte de questions.
Un questionnement sur l’art à partir d’un fait divers
C’est entre les termes d’« identité » et de « création » que chemine le questionnement. Entre Juan Luis Martínez, qui fait biffer son nom dans un de ses recueils, ces « poèmes d’un autre » publiés comme s’il en était l’auteur, le cas de Jean-Louis Martinez qui n’en revendique pas la paternité et le parcours d’un Fernando Pessoa qui, toute sa vie, passe dans son œuvre par des personnalités d’emprunt qui sont autant d’identités, le questionnement sur le « Qui suis-je ? » est l’aliment premier. C’est le titre de l’un des poèmes de Jean-Louis Martinez, qui proposent leur miroir à cette comédienne qui, pour se reconquérir, passe par l’identité des autres. On navigue en eaux troubles qui mêlent et peinent à démêler les rapports entre identité et auteur. Le poème de Jean-Louis Martinez n’existe-t-il pas seulement parce qu’il est repris par la jeunesse chilienne et par son homonyme ? N’est-ce pas, d’ailleurs, la démarche d’un Romain Gary qui devient Émile Ajar dans sa quête de renouvellement du regard de l’Autre ?
Le procédé scénique du dévoilement, couche après couche, de la vérité au travers des voiles qui se lèvent et de ces parois qui tombent est parlant. Le questionnement, malgré son caractère un peu abstrait qui fait remonter à la mémoire la trace de ces notes en bas de page des écrits universitaires, est passionnant. Gageons simplement que, passé les premières représentations qui rodent le texte, la relation entre les comédiens et celle des comédiens avec le texte se feront moins artificielles, plus fluides, plus « naturelles », en particulier dans un début qui tarde à se mettre en place.
Tous les poètes habitent Valparaíso
S Texte Carine Corajoud en collaboration avec Dorian Rossel S Conception et mise en scène Delphine Lanza et Dorian Rossel S Avec Fabien Coquil Karim Kadjar Aurélia Thierrée (sauf du 16 au 19 octobre où elle sera remplacée par Alexandra Marcos) S Dramaturgie Carine Corajoud S Scénographie Sibylle Kössler, Florian Gibiat S Lumières Matthieu Baumann, Yann Becker S Création sonore Anne Gillot S Costumes Fanny Buchs S Assistanat à la mise en scène Clément Lanza S Régie Yann Nédélec, William Penanhoat S Remerciements à Daphné Bengoa, Jenny Bettencourt, Julien Brun, Patricio Castilla, Rodolphe Dekowski, Irène Toro Jaramillo, Olivier Lopez, Rebecca Martin, Estervina Munoz, Miguel Norambuena, Paola Pagani, Raphaëlle Sabouraud, Robert Sandoz et le théâtre du Jura, Marcella San Pedro, Veronica Segovia, Scott Weintraub, MDC – Meyrin, commune de Veigy S Le texte Tous les poètes habitent Valparaíso est publié chez esse que éditions S Avec l’aimable autorisation de Juan Martinez pour l’utilisation de son poème et son regard amical sur ce projet S Production Cie STT/Super trop top S Coproduction Théâtre Forum Meyrin, La Grange –Centre-Arts et Sciences-Unil – Lausanne, Théâtre Sénart – scène nationale, la Maison des Arts du Léman – Thonon-Évian S Avec le soutien de la Fondation Meyrinoise du Casino, de la Loterie Romande Vaud S Coréalisation Théâtre de la Tempête S La Cie STT/Super trop top est soutenue par le canton de Genève, la ville de Genève et la ville de Lausanne. Elle est associée à la Maison de la Culture de Bourges – scène nationale et à la Maison des Arts du Léman – Thonon-Évian S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et soutenu par la ville de Paris S Durée 1h10
Du 20 septembre au 20 octobre 2024, mardi > samedi 20h30 dimanche 16h30
Théâtre de La Tempête - Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris
T. 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr