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Arts-chipels.fr

Molière et ses masques. Retrouver l’essence et l'impact d’un théâtre populaire itinérant.

Phot. © DR

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Simon Falguières crée un spectacle qui revient aux sources du théâtre de foire. Un hilarant hommage à Molière qui parle aussi de notre temps.

Devant les gradins qui font face aux murs de l’ancienne usine du Moulin de l’Hydre, en Normandie, où Simon Falguières et la compagnie le K se sont installés, une estrade d’un blanc virginal a été dressée. Un rideau de scène, blanc lui aussi, suggère le dénuement d’un lieu scénique réduit à sa plus simple expression tout autant que le vide originel dans lequel s’inscrivent tous les imaginaires créés par le théâtre. Et c’est bien de cela dont il s’agit dans cette évocation de la carrière de Molière, qui commence dans la gêne, sur les routes de France. Jean-Baptiste Poquelin a mangé, avec l’Illustre Théâtre, son acompte sur l’héritage maternel touché en 1643 et a même fait de la prison pour dettes. En 1648, voilà Monsieur de Molière lancé, avec la troupe, sur les routes de France, sous la protection du duc d’Épernon…

Phot. © DR

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Une vie de Molière aussi schématique que cocasse et documentée

Dès le prologue, le spectateur avait été prévenu. La « vraie » vie est absente, le portrait romancé, inventé, mensonger. Ce qu’on y dit de Molière le déborde très largement. L’état du théâtre n’a pas changé. C’est toujours la même chanson : un monde qui « oppose encore le puissant au faible », où « les dogmes demeurent encore et toujours le nid sombre des terreurs. » Mais l’atmosphère n’est pas au drame, même si Molière rêve de tragédie quand on ne lui demande que des farces.

Simon Falguières s’amuse avec les références mais respecte les grandes étapes de la chronologie. S’il convertit les policiers de Tintin, Dupond et Dupont, en historiographes de la famille royale, en reprenant pour le plus grand bonheur de spectateurs hilares leur mode si particulier de communication basé sur la répétition, il n’en apporte pas moins des informations sur la situation politique pendant les règnes de Louis XIII et Louis XIV et n’en aborde pas moins le rôle de l’ex-protecteur de Molière, le prince de Conti, dans l’interdiction du Tartuffe après que le prince se retrouva « confit » en dévotion. Et si l’on s’étonne de voir Molière monter Nicomède de Corneille pour se faire accepter du public parisien – Errare humanum est – et présenter du Racine à la fin de sa carrière en se faisant dindonner par cet auteur émergent qui propose sa pièce, Alexandre, à deux théâtres différents, seule la simplification et le commentaire sont inventés, tout le reste est réalité. Ainsi va la vie du théâtre, dans un mélange permanent du vrai et du faux…

Phot. © Bureau Nomade

Phot. © Bureau Nomade

Le choix de Molière

C’est de manière délibérée que Simon Falguières choisit le personnage de Molière pour incarner l’auteur de théâtre par excellence pour son projet d’itinérance. Parce que tout le monde le connaît et que son génie ne peut être contesté. Parce qu’il est l’écrivain qui a porté la comédie et la farce à un degré d’incandescence plus que remarquable. Parce que le rire est par essence libérateur et rassembleur. Parce que le personnage se situe à la croisée entre art populaire et art de cour et est révélateur des relations parfois difficiles entre art et pouvoir. Parce que les formes qu’il manipule sont héritées du théâtre populaire. Parce que son expérience théâtrale l’a mené sur les routes, à la rencontre de tous les publics et que c’est là que Simon Falguières veut se retrouver.

Il conçoit en effet le spectacle comme une forme légère, itinérante, sans éclairage ni décor, reposant entièrement sur les comédiennes et les comédiens du spectacle, au nombre de six pour jouer tous les rôles indépendamment de leur sexe et ressembler, par leur nombre, à une troupe. Une itinérance qui comptera quatre étapes dans la Meuse avant que le spectacle ne soit présenté dans des collèges ornais puis fasse l’objet d’une tournée à pied le long de l’Orne, ponctuée de six étapes où se déroulera chaque fois une représentation. Ce projet, avec la complicité d’Aurore Fattier, la nouvelle directrice du Centre dramatique national de Caen, l’amènera au pied du CDN. Le spectacle pourra ensuite tourner dans d’autres lieux et dans d’autres régions.

Phot. © Cie Le K

Phot. © Cie Le K

Commedia dell’arte et farce populaire

C’est encore avec les moyens du théâtre que, loin de toute vraisemblance, Simon Falguières choisit ses personnages. Il les extrait des personnages de Molière : Mascarille, le valet arlequinesque de l’Étourdi qui sert un maître idiot, Lélie, mais aussi Léandre, amoureux berné qu’il emprunte à la commedia dell’arte, ou Anselme, candidat au mariage choisi par Harpagon qui devient sous sa plume le grippe-sou qui vend son esclave. On navigue ainsi en tanguant dans l’univers moliéresque. Scènes inventées et extraits de pièces se succèdent et se mélangent. On reconnaît sur le chemin Sganarelle et Dom Juan, on voit passer Alceste. Apparitions, disparitions, transformations surgissent au fil d’un rideau qu’on tire, d’un masque qu’on ajoute, d’une perruque insolite autant qu’anachronique, d’un habit de lumière qui rappelle plus le clown blanc que les personnages de la commedia… Le rythme est échevelé, les séquences s’enchaînent à bride abattue. Comiques de situation, de caractère, de répétition, de mots, de gestes se superposent. Les personnages sont outrés, les ficelles grosses, les allusions parfois égrillardes.

Phot. © Cie Le K

Phot. © Cie Le K

L’essentiel est aussi ailleurs

On ne cesse cependant de parler de choses sérieuses sous le couvert de la comédie au travers de l’alternance entre passages « historiques » et emprunts à Molière transformés pour les besoins de la farce. Le personnage de l’auteur, acteur, metteur en scène et chef de troupe, ici incarné par une actrice, est croqué en courtisan aussi obséquieux qu’en créateur entêté, critique et acerbe. Mais il déborde du cadre pour interroger la comédie humaine et l’aventure du théâtre. Car ce qui est en jeu, c’est l’indépendance de l’artiste et la pièce fait un bond dans le temps pour nous projeter en plein stalinisme, alors que Boulgakov se voit censurer ses pièces, dont une sur Molière en 1929-1930, et que, face au refus du « Petit Père des peuples » de le laisser s’exiler, il accepte un emploi au Théâtre d’Art non sans continuer d’explorer les rapports de l’artiste et du pouvoir, entre Molière et Louis XIV, Pouchkine et Nicolas Ier. Un petit saut de puce dans le temps et le spectateur contemporain se remémore l’époque où André Malraux, qui n’aimait pas les Paravents de Genet, défendit la pièce devant une bronca de députés au nom de la liberté de l'artiste. Aujourd’hui, on peut se demander si la même indépendance régit les décisions de financement des puissances publiques. Molière en ses masques dirait-il que oui ? La question reste posée…

Molière et ses masques
S Texte, mise en scène, scénographie Simon Falguières S Avec Antonin Chalon, Louis de Villers, Anne Duverneuil, Charly Fournier, Victoire Goupil, Manon Rey S Construction des tréteaux Le Moulin de L’Hydre Alice Delarue, Léandre Gans S Création des musiques Simon Falguières, Manon Rey, Antonin Chalon, Charly Fournier S
Création costumes Lucile Charvet
https://compagnielek.fr

TOURNÉE (en construction)
En itinérance autour du Moulin de l’Hydre (13 septembre 2024 Domfront, 15 septembre 2024 Saint-Pierre d’Entremont)
Du 23 au 28 septembre 2024 en itinérance avec Transversales à Verdun (Hononville, Stenay, Verdun, Dompcevrin)
– Tournée des collèges ornais sur la saison 24-25
– Tournée en itinérance entre le Moulin de l'Hydre et la Comédie de Caen au printemps 2025.

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