19 Septembre 2024
Le très sonore orchestre La Sourde, toujours avide d’expérimentations, a tiré, de ses rencontres en Ehpad, dans des écoles et dans des établissements pénitentiaires, un corpus d’impressions sur le thème du « miracle » dont l’écho musical résonne dans le spectacle.
Ils sont quatre créateurs, déjà associés dans un projet commun d’écriture à travers le Concerto contre piano et orchestre inspiré d’un concerto pour clavecin de Carl Philipp Emanuel Bach : le musicien et metteur en scène Samuel Achache, qui a codirigé en 2019-2020 le Théâtre de l’Aquarium ; le musicien de jazz Florent Hubert, qui a obtenu le Molière du meilleur spectacle musical pour sa libre adaptation de Didon et Énée de Purcell en 2014 ; la pianiste, compositrice et improvisatrice Ève Risser, révélée par sa participation, de 2008 à 2013, à l’Orchestre National de Jazz dirigé par Daniel Yvinec ; le saxophoniste et compositeur Antonin-Tri Hoang, qui a également collaboré avec Daniel Yvinec, avec Hattice Özer pour Koudour et réalisé la musique des Incrédules, qui sera créé en juin 2025 à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy. Quatre artistes qui décident de regarder la musique autrement en interrogeant sa structure et son rapport avec la vie.
Avec le collectif La Sourde, qui rassemble acteurs et musiciens venant des musiques classiques, jazz, improvisées ou anciennes, tous passionnés de théâtre, qui compte aussi des scénographes, des costumiers, des éclairagistes et des régisseurs, ils forment un ensemble échappant aux catégories pour proposer une démarche qui croise musique à regarder et théâtre à écouter.
L’exploration de l’expression collective à travers la Symphonie…
Le Concerto contre piano et orchestre explorait le dialogue entre le soliste et l’orchestre, le singulier face au collectif. La Symphonie tombée du ciel, elle, s’attache à l’exploration du collectif, au faire ensemble qui rassemble des diversités dans un message commun. Contrairement au développement de la symphonie à l’âge classique, qui s’affranchit de la parole, la Symphonie tombée du ciel entretiendra avec le modèle symphonique une relation qui passe par la voix, porteuse de sens ou de son, comme par la musique, intégrant les sensibilités et les formations musicales des membres de l’orchestre, venus du contemporain comme du baroque, du jazz et des musiques improvisées. Compositrice, compositeurs et interprètes auront ainsi à « composer » ensemble, les instruments anciens tels que la viole de gambe ou la saqueboute, ancêtre du trombone, s’associeront au piano et à la batterie. Les musiciennes et musiciens se feront chanteuses et chanteurs et la composition laissera entendre, comme en échos lointains, musiques anciennes, reliefs de polyphonie et bribes de jazz apparaissant dans une musique de notre temps.
Du miracle comme un thème symphonique
Le projet d’exploration collective de la musique se double des rencontres réalisées par les compositeurs au fil de leurs activités : avec des détenus qui ont exprimé leur envies de musique ou d’images, avec des pensionnaire d’Ehpad qui ont exprimé leur rapport à la musique ou ont évoqué leur vie, par le biais d’un « bureau des miracles » installé dans le hall de l’opéra de Nancy où les gens sont venus déposer leurs histoires ou par un appel à témoignages dans la série « Un jour, un miracle », proposée par le journal Le Monde. De cette matière, quelques bribes de paroles ou histoires ont été conservées par le spectacle, d’autres ont fourni à la création musicale des rapports de timbres, de hauteur, une mélodie, une musicalité que le spectacle exploite.
Histoires et fables musicales
Teintés de mysticisme ou ancrés dans le quotidien, ces miracles balaient, d’une certaine manière, toute l’amplitude de la vie humaine. Le spectacle retiendra deux d’entre eux, plus « constitués » textuellement : l’histoire d’un homme qui vient en pèlerinage implorer une sainte, vestige d’un paganisme ancestral, pour qu’elle prolonge la vie de son père ; celle d’un jeune homme miraculeusement rescapé d’une avalanche, qui raconte son aventure.
On y trouve des bonheurs d’écoute car les membres du collectif, excellents musiciens, s’adaptent sans difficulté aux changements de rythmes et de structures imposés par une composition qui fait du disparate et du mélange une règle. Ils s’observent mutuellement et s’assemblent pour résonner ensemble tout en faisant entendre les infinies variations qui les relient cependant. Ils chantent et jouent dans un même mouvement, associant l’instrument et la voix, passant de l’ivresse de la danse au presque chuchotement ou de la tonitruance du monde extérieur au silence.
On regrettera cependant que la recherche n'ait pas été poussée plus loin. Tout se passe comme si des choix n’avaient pas été faits et qu’il reste des scories. Le questionnement sur les rapports de la parole avec la voix et la musique reste parfois erratique, les bribes de texte, en particulier au début, trop courtes pour être signifiantes – on aurait pu imaginer de les voir montées ensemble pour participer musicalement à la « symphonie ». On aurait souhaité, peut-être, que l’articulation entre texte et musique aille plus loin dans la non-illustration, déséquilibrant les rapports entre les deux et travaillant le témoignage comme une musique. Si l’expérimentation est sans conteste intéressante, il lui manque un petit quelque chose pour devenir œuvre, comme une symphonie peut l’être…
La Symphonie tombée du ciel
S Direction artistique Samuel Achache, Florent Hubert, Antonin Tri Hoang, Eve Risser S Avec l’Orchestre La Sourde. Trompette Samuel Achache, Olivier Laisney Contrebasses Matthieu Bloch, Caroline Peach Violes de gambe Pauline Chiama, Etienne Floutier Violoncelles Gulrim Choï, Myrtille Hetzel Flûtes, chant Anne-Emmanuelle Davy Trombone, sacqueboute Rose Dehors Clarinette basse, saxophones Florent Hubert Clarinettes, saxophones Antonin-Tri Hoang Violons Apolline Kirklar, Boris Lamerand Piano, flûtes Eve Risser Batterie, guitare Thibault Perriard en alternance avec Guilhem Flouzat S Collaboration son et dramaturgie Chloé Kobuta S Création lumières et régie générale Maël Fabre S Création et régie son Julien Aléonard S Costumes Pauline Kieffer S Regard sur la scénographie Lisa Navarro S Assistante Alice Le Coënt Administration, production, diffusion AlterMachine/ Elisabeth Le Coënt & Erica Marinozzi S Production La Sourde S Coproduction Athénée Théâtre Louis-Jouvet ; Le Grand R – Scène nationale de la Roche-sur-Yon S Soutien DRAC Île-de-France ; Région Île-de-France ; ADAMI ; SPEDIDAM ; SACEM S Avec le soutien du Cercle de l’Athénée et des Bouffes du Nord et de sa Fondation abritée à l’Académie des Beaux-arts S Remerciements Anna Lisa, Armand, Billie, Domenico, Florence, François, Frédéric, Hervé, Jacqueline, Martine, Véronique… S Durée 1h
Du 19 au 28 septembre 2024 à 20h
Athénée – Théâtre Louis-Jouvet – 2-4, square de l’Opéra-Louis-Jouvet, 75009 Paris
www.athenee-theatre.com
La précédente production de La Sourde, Concerto contre piano et orchestre, écrite et conçue par Samuel Achache, Florent Hubert, Antonin-Tri Hoang et Eve Risser d’après le Concerto Wq.43/4 pour clavier de Carl Philipp Emanuel Bach, sort actuellement en vinyle (https://la-sourde.sumupstore.com)